Prédication du 8 mars 2020

2 Timothée 1.8-10 : N’aie donc pas honte du témoignage à rendre à notre Seigneur, ni de moi son prisonnier, mais souffre avec moi pour l’Evangile en comptant sur la puissance de Dieu. Il nous a sauvés et nous a adressé un saint appel. Et il ne l’a pas fait à cause de nos oeuvres, mais à cause de son propre plan et de sa grâce, qui nous a été accordée en Jésus-Christ de toute éternité et qui a maintenant été révélée par la venue de notre Sauveur Jésus-Christ. C’est lui qui a réduit la mort à l’impuissance et a mis en lumière la vie et l’immortalité par l’Evangile,

Chers frères et soeurs en Christ,
Pendant longtemps, nous avons appris l’Évangile au catéchisme. Il fait donc partie des idées reçues. Rien ne rend plus sourd à tous les possibles de Dieu, ce qu’habituellement nous appelons sa puissance, que les idées reçues. L’Évangile du Christ, n’est pas fait et ne nous est pas donné pour raconter des vieilles histoires.
D’une façon ou d’une autre il a réussi à s’imposer dans notre culture occidentale… Mais cela se retourne contre lui tant il faut constater qu’il est tombé aujourd’hui dans l’insignifiance plutôt générale. Il ne reste plus de lui que des mots, des « paroles d’évangile », comme on dit. C’est à dire des mots comme des coquilles vides.
Si un sondage, aujourd’hui, demandait de quoi parle l’Évangile, la réponse tournerait autour de l’idée qu’il est un message d’amour ou qu’il est simplement la vie de Jésus. C’est oublier que bien plus qu’un message ou qu’une biographie, l’Évangile est d’abord et avant tout une réalisation et une opération à savoir qu’ il agit et même plus précisément qu’il agit en chacun de nous. Il ne délivre pas un simple contenu, mais il nous fait quelque chose dans le sens qu’il nous transforme. Car l’Évangile, « l’eu-angellio », la bonne et joyeuse annonce, est à lui-même son propre à-venir à savoir celui d’être une parole d’encouragement et de joie qui nous est adressée. Cela signifie alors qu’il nous faut être à l’écoute de ce que cette annonce nous fait, qu’il nous faut être attentif à ce qu’il opère en nous. D’où l’importance d’observer comment l’Évangile est une parole qui nous éprouve, pour reprendre le mot de Paul. C’est une parole qui nous met à l’épreuve, qui nous fait ressentir en nous parlant de façon intime, en interrogeant notre intériorité, en s’adressant au lieu profond qui désigne ce qui est l’à-venir de chacun de nous.
Notre problème, et parce que nous sommes de ce temps qui est le notre, c’est que l’individualisme de notre époque, que nous pouvons qualifier de narcissique et de forcené, cet individualisme ne connaît pas l’intériorité. Il ne connait plus l’intime. L’intime a disparu pour laisser la place à ce que nous appelons le « privé », au repliement sur soi, sur son « ego », c’est à dire à tout ce qui nous prive de la possibilité d’être en relation et de faire du commun. Et c’est si vrai, que l’actualité nous montre tous les jours combien même le privé n’est plus guère privatif puisqu’il vire immédiatement au prosaïsme et même à la vulgarité. Regardons combien ce qui désormais s’appelle les réseaux sociaux, loin de faire et de créer du commun ou du social, malgré leur appellation, ce résument a nous montrer que le privé veut voir et surtout être vu…
Il y a bien longtemps que Paul n’est plus. Pour autant la parole qu’il adresse à Timothée demeure pour chacun de nous. À l’heure de la compulsion généralisée de tous les egos affichés, s’adresser à l’intime relève d’un sens commun et d’un don partagé. Cela signifie que l’Évangile n’est bonne nouvelle qu’en tant que nous y entendons, encore et toujours, ce qui résonne au plus profond de nous comme une bonne, comme une heureuse, une joyeuse annonce à laquelle nous désirons associer tous ceux que nous côtoyons au quotidien là où nous sommes et tels que nous sommes…
L’Évangile vaut mieux que la parole édulcorée que trop souvent nous en faisons. Comprenons que lorsque Paul nous demande d’être témoin de l’Evangile il souhaite que nous comprenions que ce n’est pas nous qui devons le faire parler. C’est lui, parce qu’il est justement et en tant que tel heureuse annonce, c’est lui qui doit parler avec ses catégories propres d’inversion et de conversion. C’est cela qui nous met à l’épreuve. C’est à cela que nous devons prendre notre part. C’est cela l’exhortation de Paul qui nous dit que « par les possibilités que nous offre Dieu, éprouvons l’heureuse annonce ». Et cette annonce, l’Evangile tient finalement en quelques mots que rajoute Paul : « Dieu nous a sauvés par Jésus-Christ ».
Entendons bien cela. « Dieu nous a sauvés », c’est un fait, c’est acquis. Pour autant, pour que l’humanité entre dans ce salut, il faut que l’Evangile du Christ soit annoncé et proclamé. C’est là notre « vocation sainte » pour reprendre l’expression même de Paul qui signifie que le projet de Dieu a besoin de notre collaboration. Le projet de Dieu a besoin que chacun de nous en prenne tout simplement sa part afin d’arriver à ce que toute l’humanité ne soit plus qu’un en Jésus-Christ, afin que toute l’humanité puisse devenir le Corps dont le Christ est la tête. Notre vocation particulière comme disciples du Christ s’inscrit dans cette vocation universelle de l’humanité.
« Dieu nous a sauvés ». Nous avons là toute la découverte progressive de cette réalité par le peuple de l’Alliance :« Dieu nous a sauvés ». C’est à dire qu’il nous veut libre et qu’il intervient sans cesse pour nous libérer de toute forme de servitude.
Il y a longtemps que nous aurions dû comprendre que la liberté est le visage éthique de l’espérance.
Ainsi Paul lorsqu’il nous parle de ce « Christ en vous, espérance de la gloire » il nous introduit dans le règne de l’espérance de la gloire qui n’apparaît que dans la résurrection. Car c’est bien dans la mesure où Christ est vainqueur de la mort qu’il y a pour nous une espérance.
Mais cela nous avons beaucoup de mal à le comprendre.
Non seulement nous avons du mal à le comprendre mais même à l’entendre lorsque Paul va jusqu’à nous dire que  : « Notre Sauveur, le Christ Jésus, s’est manifesté en détruisant la mort, et en faisant resplendir la vie et l’immortalité par l’annonce de l’Évangile. » Curieuse phrase effectivement de Paul au moment même où, là dans sa prison romaine, il se prépare à être exécuté. Curieuse phrase qui nous renvoie à ce que dans quelques semaines nous parlerons de la mort de Jésus lui-même. Curieuse phrase de Paul tant nous savons, quant à nous, qu’il faut bien admettre que tous, nous sommes appelés à mourir.
Ce qui revient à dire que la résurrection nous est inaudible. Et, elle est d’autant plus inaudible que nous angoissons à la seule idée que « ressusciter » passe par la condition d’être assimilé à la mort du Christ. Et c’est parce qu’elle est inaudible que nous préférons, que nous nous contentons d’en faire un fait historique ou un simple symbole, plus faciles à gérer…
Et pourtant, nous oublions qu’au sommet de tout ce qu’on écrits les évangélistes et Paul se trouve le récit de la Passion qui raconte comment le Christ a souffert de la volonté de puissance pour mieux en révéler l’impuissance et la dissoudre dans le pardon donné d’avance : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » .
« C’est là, écrit Paul, que Christ a tué la haine ». Cela nous avons beaucoup de difficulté à le comprendre et à le traduire dans nos vies. La conséquence c’est que ce fléau, que sont la haine, le rejet et le mépris, déferle à nouveau parce que nous ignorons tout de son remède à savoir et la grâce du pardon.
Nous ne comprenons pas le sens de cette passion du Christ et la grâce du pardon qui en découle et qui se traduit par ce mot qui, aujourd’hui, sonne si mal à savoir le «rachat ». Le « rachat » qui nous dit que le pardon, que la grâce infini de Dieu nous est donné et nous libère de cette dette de la vie que jamais nous ne pourrons nous acquitter par nous-même. Le « rachat » qui signifie que, dès lors, nous n’avons plus à payer pour mériter quoi que ce soit. Et pourtant tel Ivan Karamazov, le héros de Dostoïevski nous continuons à crier notre incompréhension devant les souffrances de nos proches et du monde… Et nous crions d’autant plus fort lorsque cette souffrance touche un « innocent ».
Alors lorsque Paul affirme que « Notre Sauveur, le Christ Jésus, s’est manifesté en détruisant la mort, et en faisant resplendir la vie et l’immortalité par l’annonce de l’Évangile. » nous préférons nous résigner face à ce monde qui est une vallée de larmes… La religion qui culpabilise l’humanité se croit religieuse. Elle ne l’est guère car il est beaucoup plus facile d’être malheureux que d’être heureux et beaucoup plus facile d’être coupable que d’être innocent. Dans tous les cas, celui qui est malheureux a des raisons de haïr, de mépriser et de rejeter.
Paul souhaite nous faire comprendre le « rachat » c’est redonner tout son sens à la grâce du pardon en découvrant l’immense sens du devenir de l’humanité, allant de la vie au salut, à l’œuvre dans la révolte face à la résignation et au fatalisme comme face à toute culpabilisation.
Le « rachat » c’est comprendre, osons le jeu de mots, que la Passion du Christ, c’est le coup de grâce.
Le coup de grâce, le coup de ce pardon infini qui nous « a été accordée en Jésus-Christ nous précise Paul de toute éternité ». Le coup de ce pardon infini qui nous permet de prendre la résurrection au mot a savoir la possibilité de ce qui nous semble si naturel mais qui l’est beaucoup moins qu’il n’y paraît, c’est à dire la possibilité de se réveiller et de se lever.
Effectivement, la « résurrection » c’est la Vie qui se réveille à l’appel de la foi. Incontestablement lla « résurrection » c’est la « levée » de ce « moi » frappé de mort et qui se tient désormais en avant de soi comme une promesse d’à-venir.
Le coup de grâce c’est le Crucifié « relevé » qui nous révèle que la perte est la manière qu’a la Vie de se donner.
Voilà ce dont il faudra garder la mémoire, si l’on ne veut pas tomber dans l’oubli négateur qui est la marque de notre époque. Si Paul insiste en nous disant que « notre Sauveur Jésus-Christ a mis en lumière la vie et l’immortalité par l’Evangile » c’est parce que désormais la vraie question n’est pas celle de Dieu ou de l’homme, mais de la vie.
Et, nous sommes cette vie. Nous sommes un point de la vie infinie, ce souffle créateur s’incarnant et s’individualisant afin d’amener toute chose à la liberté et à la création. A travers chacun de nous, si le monde n’a pas de sens, la vie en a un. Témoin le fait que nous aimons la vivre. Et que vivant ainsi, nous faisons vivre le monde en créant un monde vivant. Et ce sens de la vie n’est pas simplement extérieur à nous, déposé devant nous dans le monde. Il est en nous. Il est la vie infinie nous poussant à vivre, afin que nous puissions faire vivre le monde. Paul nous l’a dit : Dieu a bien un plan. Il veut que nous soyons ce sens en le faisant vivre. Quand tel est le cas alors, chacun de nous devient l’icône de la vie dans lequel Dieu et l’homme se rencontrent. Ainsi, la question de Dieu ne réside pas tant en Dieu que dans le Christ, à savoir dans cette unité de Dieu et de l’homme, dans cette unité du fini et de l’infini. Ou pour le dire comme paul « Notre Sauveur, le Christ Jésus, qui nous est accordée de toute éternité, s’est manifesté en détruisant la mort, et en faisant resplendir la vie et l’immortalité par l’annonce de l’Évangile. »
Amen

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