Méditation 29 mai 2020 (2 Cor 12 7-9)

2 Cor 12 7-9 : Et pour que je ne sois pas rempli d’orgueil à cause de ces révélations extraordinaires, j’ai reçu une écharde dans le corps, un ange de Satan pour me frapper et m’empêcher de m’enorgueillir. Trois fois j’ai supplié le Seigneur de l’éloigner de moi, et il m’a dit: «Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse.» Aussi, je me montrerai bien plus volontiers fier de mes faiblesses afin que la puissance de Christ repose sur moi.

Chaque tragédie ou chaque drame de l’existence, et l’épidémie de Covid-19 en est un, fait obligation d’apporter la réponse à la question « Où est Dieu ? » Une réponse qui pour certains est l’évocation de l’absence, à savoir « Dieu n’a rien à voir avec une épidémie ». D’autres ont plutôt énoncé une présence exagérée comme le fait, dans Tintin, Philipulus le prophète lorsqu’il déclame « C’est un châtiment providentiel ! Convertissez vous car la fin est proche ! »…

Dans les deux cas nous sommes loin de la culture évangélique au point que nous n’entendons plus  la question de Jésus à ses disciples dans la barque au milieu de la tempête  :

« Pourquoi avez-vous peur ? Comment n’avez-vous point de foi ?  »

Mais dans l’épreuve que nous traversons et qui semble s’achever,  force est de constater que ce n’est pas cette question qui a semblé préoccuper le mondes des communautés croyantes. La  question que chacun c’est très vite posée a été : « comment pouvons nous fonctionner à tout prix  dans la continuité de nos habitudes ? ». L’habitude est une passion.  Et même pour reprendre la formule de Spinoza c’est une « passion triste » parce qu’effectivement elle consume notre être. En ceci que l’habitude est  une passion mécanique, plus précisément machinale. En un mot qui tient de la machine au point d’en fasciner l’opérateur qui va donc tout mettre en œuvre pour la faire fonctionner. 

Nous avons là le sens du  « deus ex machina ».  C’est à dire, dans le monde de la tragédie grecque depuis Euripide et Aristophane (5eme siecle avant notre ère et période de l’exil à Babylone), un dieu descendu, sorti, à l’aide d’une grue (une mèchanè en grec)  qui signale l’arrivée totalement inattendue d’un artifice de machinerie qui permet au dramaturge de conclure sa pièce de la manière qu’il désire.

Le confinement, ce couvre-feu que nous venons de vivre en ce printemps et qui dans notre mémoire ne ressemble  à rien sinon peut-être à la cour endormie de la Belle au Bois dormant, et bien ce confinement  a contraint l’Église de trouver, avec l’aide du  « deus ex machina », avec l’aide des artifices de la technique, les moyens d’assurer une maintenance sans faille et sans interruption.   Nous avons alors vu une déferlante d’options virtuelles. Leur multiplication s’est trouvé inversement proportionnelle à leur originalité. Partout, de façon quasi identique, le cultuel s’est donné en spectacle sur les réseaux sociaux. Qu’importe la manière, l’Eglise, dans un grand soulagement,  a pu garder ses habitudes jusqu’à l’ébahissement…

Ceci étant, reconnaissons que le bon coté du confinement est qu’il nous a évité l’exhibition incongrue de manifestations religieuses  dans le registre de l’exorcisme du mal… même si nous avons pu assister, ici ou là,  à une étrange alliance mondialisée entre intégristes catholiques, évangéliques protestants, ultra-orthodoxes juifs,  certains groupes chiites et  sunnites  pour refuser de se conformer aux consignes face au mal.  Signalons, quand même, d’autres comportements extravagants, pouvant susciter de l’ironie  voire de l’irritation…  Par exemple, expressions  de la pensée magique, la bénédiction de la ville,  depuis le Sacré-Cœur de Montmartre, par l’archevêque de Paris. Bénédiction également par l’archevêque de Panama, à partir d’un hélicoptère survolant la ville. Et plus prés de nous le prêtre de Baillargues parcourant les rues de sa  paroisse avec l’ostensoir  fixé sur le toit de sa voiture…entrainant, en ce jour d’avril 2020, telle une remontée moyenâgeuse, quelques rares fidèles à  s’agenouiller dans la rue à son passage… Répétons le, le bon coté c’est que nous avons évité des choses bien plus fantasques…

Le mauvais coté, c’est qu’à l’exemple de Paul c’est avec beaucoup de prudence que nous devons nous réjouir de cette maintenance que nous avons pu mener à bien avec l’aide de cette virtualité qui nous a envahi.

« (..) pour que je ne sois pas rempli d’orgueil à cause de cela, nous dit Paul, j’ai reçu une écharde dans le corps, un messager de Satan qui doit m’empêcher de m’enorgueillir ».

Comprenons, avec Paul, qu’il est réducteur de faire de Satan un accusateur, un féroce adversaire… Il est bien plus que cela dans la subtilité de son être. D’abord c’est une fonction  bien plus qu’un personnage… C’est en quelque sorte un « fonctionnaire »  qui barre la route, qui fait obstacle, qui masque ou plus précisément, extraordinaire modernité, Satan fait écran. Satan c’est l’écran entre l’homme et lui-même, entre l’homme et les autres et bien sûr entre l’homme et Dieu. Convenons qu’il est particulièrement présent en ces temps. D’autant que cet écran, souvenons nous la Genèse, bien plus que d’accuser, insinue, suggère et même distille et coule un poison… Ce qui en latin nous donne le mot virus. Satan agit tel un virus envers tout le monde, envers tout le peuple. C’est en cela qu’il  est tout-peuple, pan-demos, pandémie, en vue de mettre en place son ordre à lui, en vue de mettre en place ce qui compte pour lui, son numerus. Ce qui signifie que, et bien avant que le terme soit devenu courant,  tout est numérique en lui pour arriver à son domaine, à son espace que  le poète anglais John Milton a qualifié du néologisme, rentré dans notre langue, de pandémonium, lieu où règnent corruption, chaos et décadence, et surtout confusion. Le pandémonium, cet espace de satan, c’est le royaume sans Dieu. C’est le monde du tohu-bohu de la Genèse qui était là avant l’expression du souffle et de la parole créatrice de Dieu. Parole qui depuis lors, dans une grâce, un don abondant,  nous  affranchi de l’amalgame et surtout permet le discernement en nous mettant à distance des préjugés et des conduites « mondaines ».

« (..) pour que je ne sois pas rempli d’orgueil à cause de cela, nous dit Paul, j’ai reçu une écharde dans le corps, un messager de Satan qui doit m’empêcher de m’enorgueillir ».

Les temps qui viennent nous dirons vite si l’Eglise a vraiment su proposer du sens à travers son épisode d’exposition virtuelle en temps de confinement. D’autant  que d’autres initiatives religieuses comme séculières, sans parler du télétravail, se sont manifesté sur le même mode connecté, pour le meilleur et pour le pire : Yoga, méditation, offres culturelles gratuites, musées virtuels… Sans parler des tutoriels de toutes sortes qui nous ont appris à nous laver les mains, faire des masques, cuire un oeuf au plat ou encore arriver à dire le Notre Père sans émettre de gouttelettes…Bref, toute notre intimité est devenue virtuelle et le virtuel a envahi notre intimité telle « l’écharde dans le corps, messager de Satan » dont parle Paul.

Et pour cause tant le numérique s’est révélé être le pandémonium de la pandémie. Il a su réunir en lui tous les démons, de celui de la surveillance à celui de la déshumanisation… 

Nous pouvons dire que ce virus, aussi bien dans sa définition infectieuse du Wuhan ou dans sa définition insidieuse du pandémonium,  nous pouvons dire que ce virus s’est révélé être étonnant. Dans ce qu’il dit, permet, autorise et légitime de notre rapport au numérique à proportion de ce qu’il interdit, de ce qu’il ne permet plus et délégitime dans notre rapport charnels aux autres qui, quoiqu’on dise ou fasse,  est le fondement même de notre foi.

Qu’il soit «hygiénique» ou autre, l’avenir de contrainte qui nous est  promis va modifier la nature même de nos sociétés, groupes et communautés et notre caractère des individus qui la composons.

Dans ce contexte, s’il appartient à la liberté gracieuse de notre deus d’arriver sans machina, alors nous n’avons que d’autre choix que  de nous réinventer, semper reformanda,  pour arriver à  exprimer notre foi  sans « machinerie » ni artifices  si nous ne voulons pas nous mettre à confondre la grâce, la grâce surabondante c’est à dire la vie bonne, l’euangellion avec la technique, avec le « deus ex machina » qui semble la représenter. Et les mots que Paul a entendu de Christ devraient en être notre devise qui nous accompagne dans les temps à venir  :

«Ma grâce te suffit, car ma dynamique s’accomplit dans la fragilité. »

Amen

 

Pasteur Jean-Paul Nunez

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