Prédication 12 juillet 2020 (Romains 8.18-23)

Romains 8.18-23 : J’estime que les souffrances du temps présent ne sauraient être comparées à la gloire à venir qui sera révélée pour nous. Aussi la création attend-elle avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu.Car la création a été soumise à la vanité,-non de son gré, mais à cause de celui qui l’y a soumise, avec l’espérancequ’elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu.Or, nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement.Et ce n’est pas elle seulement; mais nous aussi, qui avons les prémices de l’Esprit, nous aussi nous soupirons en nous-mêmes, en attendant l’adoption, la rédemption de notre corps. Car c’est en espérance que nous sommes sauvés.

Chers frères et sœurs en Christ,

Nous oublions trop souvent, que la Bible dont nous venons d’entendre un passage de la lettre de Paul aux Romains, s’est écrite et transmise par répétition des mêmes mots qui n’étaient pas toujours là pour dire la même chose. Dire cela, c’est d’abord dire que la Parole vivante nous parle au moment présent. Ou, elle se tait. Et, elle se tait non parce que Dieu nous rejette, mais parce que c’estnous qui le rejetons. Dans la croissance démesurée et l’opulence que nous vivons, ce silence nous dit : « vous avez déjà votre récompense ». Dans le flot sonore qui nous assaille et submerge, il n’y a plus de parole décisive possible, et la Parole de Dieu ne veut pas entrer en concurrence de puissance avec les paroles et les bruits des hommes et du monde…

Ensuite, il est nécessaire de comprendre, c’est ce que nous enseigne la prédication chrétienne,qu’il n’y a jamais un sens unique quand il y a du sens.Le même mot revient pour dire autre chose, à quoi on ne s’attendait pas. Et il faut souvent plusieurs mots pour dire non pas tout à fait la même chose mais pour dire qu’une chose est importante à dire, et que de ce fait elle réclame plusieurs mots et même plusieurs générations de mots pour tenter d’exprimerl’entêtement du sens à se dire.

Soyons bien conscient, que notre langue, quelle qu’elle soit, avec tous les mots qui la composent, sert à décrire nôtre monde, celui dans lequel nous vivons. C’est grâce à notre langue que nous pouvons formuler une idée, faire parler une émotion, communiquer notre état, exprimer un désir, écouter un cantique ou une chanson, écrire une lettre comme le fait Paul et, bien sûr, confesser notre foi en Christ.

À notre époque où nous sommes en permanence connectés à quelque chose, et rarement à quelqu’un… Dans cette époque où les mots sont en passe de tomber en désuétude, remplacés par desémoticônes et autres pictogrammes modernes, dans ce monde toujours plus rapide et où la réalité devienttellement virtuelle, nous en arrivons à vivredésormais, en différé avec nous-mêmes à un tel point que nous ne nous comprenons plus.Le décalage entre le sens d’un mot et son interprétation grandit d’heure en heure, de même que les malentendus et les non-dits. Peu à peu, nous perdons la capacité de nous comprendre et de nous faire comprendre, nous perdons la capacité de dire des choses complexes avec des mots simples,avec des mots vrais, authentiques, honnêtes… La conséquence est que notre message devient inaudible dans un monde qui pourtant, comme le dit Paul « attend avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu »

Paul lui-même, dans son contexte, a vécu cela et c’est rendu compte que le pacte du langage, c’est à dire ce qui nous met en relation, ce pacte est toujours fragile et vulnérable. Mais, et toutes les Ecritures sont là pour ne le rappeler, c’est de cette faiblesse même, aux confins de l’intelligible, que renaît sans cesse le désir de dire, le désir de faire sens, qui, lui aussi,est toujours vulnérable et toujours éphémère.Paul sait, ce que nous savons tous parce que justement c’est le fondement de notre foi, c’est que le sens, le sensdu monde,le sens éternel de la création toute entière, le sens est venu à nous de manière tellement réelle qu’ à tout moment, nous pouvons le toucher et mêmele regarder. N’oublions jamais cela, la Parole, le Verbe que Jean place au sommet de son prologue, le logos comme il l’appelle, signifie également «le sens» dans sa langue.Et comme il le dit : « le Sens s’est incarné ». Le sens s’est fait chair, humain dans la fragilité et la finitude humaine… Le sens, le logos, la Parole, le Verbene s’est pas fait trans-humain, ni géant, ni héros encore moins génie. Mais chair c’est à dire en tout point semblable à nous, porté, dans la plus grande simplicité,comme chacun de nous, dans le sein d’une mère… Voilà pourquoi, le sens n’est pas seulement une idée générale inhérente au monde ; le sens nous concerne. Le sens est une parole qui nous est adressée pour qu’à notre tour nous l’adressions, le sens nous connaît pour que nous le fassions connaître, il nous appelle et il nous guide pour que nous appelions et guidions nous aussi… Le sens estlittéralement un trésor qui est, là,sous notre langue… C’est un trésor qui n’attends que sortir de nous,qui ne demande qu’à s’ex-primer c’est à dire à sortirpour naître, pour être neuf pour devenir autre…

« (..) la création,nous précise Paul, attendavec un ardent désir la révélation des fils de Dieu. (..) En attendant, rajoute t’il, toute entière elle soupire et souffre les douleurs de l’enfantement ».

Entendons bien que lorsque l’apôtrenous ditque la « création entière gémit et souffre»,il ne fait pas, comme cela est le cas aujourd’hui, son combat de la pollution des océans et duréchauffement climatique.Pour autant cela ne veut pas dire qu’il n’a pas eu de grands défis à affronter.Comme nous le conte si bien le livre des Actes, face aux immenses problèmes qui étaient les siens, Paula su d’abord faire preuve d’indignation, pas de colère ravageuse et destructrice ; il a fait preuve de lucidité et d’acceptation, pas de fatalisme et de résignation. Il a fait preuve tout simplement d’espérance en regardant ce mondequi l’entoure.L’espérance ce n’est jamais qu’une réponse de l’homme au silence de Dieu. Celuiqui espère n’accepte pas la décision de Dieu de se taire. Il se bat pour que Dieu tienne ses promesses. Comme le précise Matthieu : « Le Royaume des Cieux est aux forcenés qui s’en emparent »Autrement dit, l’espérance est une force spirituelle qui consiste à frapper à la porte et peut-être, si cela est nécessaire, frapper à la porte jusqu’à l’épuisement…

En Christ, chacun de nous peut et doit faire preuve d’espérance en regardant notre monde. Aujourd’hui, si la création gémit et souffre, c’est, comme nous le savons, parce qu’elle est enfermée dans une logique de surconsommation, de surexploitation et de démographie imposante qui peuvent la perdre et nous perdre avec elle. Pour autant, si la création souffre et gémit, c’est parce qu’elle est aussi travaillée de l’intérieur par une poussée de vie, par quelque chose de la Vie quicherche à naître et à devenir autre.

Nous le savons et nous le voyons, nous pouvons même l’éprouver comme nous venons de le vivre à partir d’une pandémie, tout ce qui a été créé soupire d’une même voix et souffre en commun dans les douleurs jusqu’à ce « maintenant » de la nouvelle naissance. Entendons par ce maintenantla vérité révélée en Christ,c’est à direcomme le temps de l’éternité, comme le temps de la vie sans fin… Pour autant,comme le disait le poète ArthurRimbaud : « Nous ne sommes pas encore au monde puisque la vraie vie est absente ». Effectivement, encore et toujours,le vrai monde, le monde authentique est en avant de nous, comme notre propre existence est en avant de nous. Le monde qui nous concerne, le monde de l’esprit, le monde spirituel, le monde proprement humain, le monde inviolable dans sa dignité, le monde sacré,le monde que nous avons tous à développer, à porter, à assumer, et même à créer avec Dieu, c’est un monde qui n’est pas encore, un monde que nous avons à créer en commençant parnous créer nous- même. C’est à dire que nous avons à nous créerdans notre dimension proprement humaine, à nous créer dans ce domaine où éclate notre responsabilité, où notre vie peut enfin devenir une réponse à l’Amour infini de Dieu. Comprenons bien que la création n’a pas de senss’il elle n’est pas cette réponse d’amour. Toutes les forces aveugles, inconscientes, féroces, qui sont à l’œuvre dans l’univers matériel,toutes ces forces destructrices d’exploitations outrancières, de pollutions diverses,toutes les forces qui grouillent dans notre inconscient, cet inconscient où se récapitule toute l’évolution matérielle de l’univers, tout cet océan de forces, d’énergies indomptées, indisciplinées, tout ce monde n’estau final que matière pour construire le monde que nous avons le devoir de construire commenouvelle Jérusalem de la lumière et de l’amour.

Dieu est Amour. Nous n’arrêtons pas de le dire. Très bien, alors, il faut que le monde le devienne. Dieu est liberté, alors il faut que cette liberté circule dans toutes les fibres de la matière.

Il ne nous revient pas, comme beaucoup le font,d’opposer le Dieu de la conscience au spectacle du mal parce que ce Dieu intérieur, ce Dieu qui est tout amour, ce Dieu qui est l’espace où notre liberté respire, ce Dieu qui est le seul chemin vers nous-mêmes, ce Dieu silencieux,ce Dieu qui ne s’impose jamais, ce Dieu qui meurt d’amour pour ceux qui refusent éternellement de l’aimer, ce Dieu-là est frappé et malmené par tous les coups qui atteignent la création,qui atteignent la créature humaine, animale, végétale comme par tous les coups qui dégradent l’univers. Et il n’y est pour rien. Et même plus précisément, il n’y peut rien…parce que son action, c’est son Amour, parce que son être tout entier n’est que son Amour et que l’amour est sans effet si ne surgit en retour une réponse d’amourd’où jaillit la lumière…

Alors effectivement, tant que le monde est dans les douleurs de l’enfantement, tant qu’il est soumis par nous à la vanité, le monde n’existe pas encore.

Il n’y a rien d’accablant dans cela. Ce n’est pas une fatalité. Au contraire, comme le dit Paul :

« c’est en espérance que nous sommes déjàsauvés. » Et de cela nous devons témoigner. Nous avons àtémoigner, non pas seulement par des paroles ou des gestes individuels, mais aussi par une certaine manière d’être dans ce monde, nous qui appartenons déjà au monde qui n’est pas encore là. Nous avons à témoigner tout simplement parce que noussommes en quelque sorte le cadeau, le don de Dieu au monde, pour lui faire connaître ce qui va advenir de lui à savoir une nouvelle naissance, une nouvelle création, un enfantement à l’amour et à la liberté.

Paul l’annonce clairement : « la création, nous dit-il, attend avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu ».

Comprenons bien que notre espérance n’est pas une idée dans les nuages. Elle ne se trouve pas dans un repliement communautaire dominical aussi chaleureux et fraternel soit-il. Notre espérance se manifeste par un comportement, par un comportement relationnel, par un comportement civique, par un comportement social qui affirme la parole chrétienne de salut pour ce monde qui a une peur panique de mourir dans la souffrance et les douleurs de l’enfantement et qui paradoxalement semble tout faire pour que cela arrive…

Incontestablement nous avons a porter à nos contemporains une raison de vivre qui effectivement fasse vivre… nous avons a annoncer une espérance qui ne soit pas une mystique désincarnée qui produirait une nouvelle aliénation… Malgré les gémissement et les souffrances de la création,nous avons a proclamerune espérance qui permette de vivre lucidement, ici et maintenant l’enfantement à l’amour et à la liberté comme révélation éternelle des fils de Dieu.

Amen

Pasteur Jean-Paul Nuñez

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