Predication 26 juillet 20 (Romains 8.28-30)

 

Chers frères et soeurs en Christ,

Cette parole de Paul que nous venons d’entendre est certainement une des plus grandes promesses que Dieu nous accorde. Cette parole s’adresse à nous qui sommes ici ainsi qu’à tous ceux qui aiment Dieu et qui sont appelés selon son projet pour la création. Et, comme nous l’avons entendu, et, parce que le mot se trouve effectivement dans toutes les traductions, cette parole fait référence à ce que le jargon et le patois théologique appelle la « prédestination ». Tous les grands théologiens, sans aucune exception ni confession, en sont arrivés à remplir des volumes entiers de manuels pour nous expliquer le sens de ce mot… Notre ancêtre réformateur Calvin, lui, a été même jusqu’à nous parler de la double « prédestination »… Il n’est pas sûr que cela nous ait permis d’en comprendre doublement le sens… Quoiqu’il en soit, sans bien saisir ce que cela suppose, tout le monde entend qu’être « prédestiné » c’est mieux que de ne pas l’être même si, paradoxalement, toutes les Evangiles, nous apprennent qu’en Christ il n’y a plus ni destin, ni déterminisme, ni fatum ou autre fatalité… Et, comme nous avons du mal à comprendre, nous nous retrouvons tels les apôtres qui, découragés devant les exigences de Jésus, lui demandent : « Maître, qui peut être sauvé ? » Autrement dit même si nous percevons bien que la prédestination a rapport au salut, au fait même d’être sauvé, au fait d’être élu pour la vie éternelle, il n’en reste pas moins que nous ne savons pas quoi faire pour cela… Dans tous les cas, à parler de prédestination en vue d’être sauvé, actuellement, dans le moment présent, cela nous arrangerait bien d’apprendre que la communauté scientifique ait mis au point un vaccin efficace contre le coronavirus… Là, dans cet exemple, nous voyons très clairement, sans avoir à lire un manuel, ce qu’est le salut dont l’étymologie veut effectivement dire « guéri », « sain », « en bonne santé »…

Par contre, lorsque Paul nous parle de prédestination pour évoquer le salut nous avons un problème. A savoir que le mot « salut » n’éveille plus grand-chose, à un tel point qu’on ne sait même plus ce qu’il signifie… alors qu’il a été l’une des préoccupations majeures de toute notre culture occidentale pendant des siècles, et même ce qui l’a peut-être le plus intéressé et le plus passionné. Il devient regrettable de voir nos milieux chrétiens, être arrivés à l’employer machinalement, de façon rituelle, comme par exemple le mot « amen », sans beaucoup se demander ce que le salut suppose exactement. D’autant que pour les non chrétiens comme d’ailleurs pour tous les déchristianisés de notre temps, c’est à dire pour beaucoup de nos proches dans nos propres familles, le salut ne correspond plus à une inquiétude, à une aspiration, à une recherche ou une attente. Lorsqu’il arrive, parfois, à signifier quelque chose, il évoque alors quelques spéculations naïves sur ce qui suit la mort, mais certainement pas quelque chose qui concerne nos propres existences.

Pourtant, l’Evangile de Paul est là pour nous rappeler que l’annonce et l’affirmation du salut jouent un rôle capital, essentiel, décisif dans notre foi chrétienne et donc dans notre vie. Croire que Jésus nous sauve, l’accepter comme sauveur, voilà ce qui fait de quelqu’un un chrétien. Tout le reste vient après et est subordonné. Tous les Réformateurs l’ont, en particulier, fortement souligné tant il est vrai que les Ecritures ne dissent de Dieu, ne dissent du Christ ou de l’être humain que ce qu’il nous est nécessaire de connaître pour le salut. Ainsi, notre foi chrétienne ne se centre ni sur un savoir ou une gnose, ni sur une contemplation, encore moins sur une mystique ou une quelconque pratique rituelle. Elle a pour seul centre, pour unique objet le salut qu’annonce l’évangile et surtout qu’opère le Christ éternel et universel…

Paul nous précise que : « (..) ceux que Dieu a connus, il les prédestine à devenir conformes à l’image de son Fils. Ceux là, Dieu les appelle et leur accorde la gloire ». Comprenons bien que lorsque Paul parle de ceux que Dieu a connu il fait référence, conformément à l’utilisation fréquente du verbe dans l’Ecriture, où « connaître » n’est pas une activité cérébrale, mais c’est un sentiment affectif du domaine de l’amour. Et tous ces humains que Dieu aime, il les dispose d’avance dans une perspective précise…

Et lorsque Paul rajoute que «ceux que Dieu a connus d’avance, il les a aussi prédestinés». Il veut nous dire qu’être prédestiné c’est, étymologiquement, «décider d’avance au sujet de quelqu’un pour lui ouvrir un horizon, un au-delà des limites connues… » Ainsi, contrairement à ce que beaucoup pense et suggère, la «prédestination» se comprend non d’abord en rapport avec l’élection, avec le fait d’être choisi, mais avec sa finalité comme l’annonce Paul :« (..) ceux que Dieu a connus, il les prédestine à devenir conformes à l’image de son Fils. » L’image, l’icône en grec, c’est plus fort que la ressemblance, c’est une forme de présence réelle. Devenir conforme à l’image du Christ Jésus c’est littéralement devenir une présence de Jésus.

Devenir une présence de Jésus, une icône de Jésus. Voilà ce qu’il faut entendre par prédestination… Dieu ne nous propose pas un destin… Il propose à chacun de nous une « destination », un itinéraire, une feuille de route personnelle, une vocation… Entendons bien cela : Dieu nous propose. Il n’impose pas, il n’impose rien. Encore une fois, preuve de son amour incommensurable, il s’adresse simplement à notre liberté. Il s’adresse à cette liberté sans laquelle il n’existe aucune possibilité de vie en Christ. Sans laquelle il n’existe ni l’amour, ni l’espérance, ni le bien, ni la vertu… Paul est particulièrement explicite à ce sujet. Tout simplement parce que l’amour ne peut être amour que si les deux qui s’aiment sont libres. De même que  la liberté ne peut être liberté que si elle s’exprime dans l’amour, sans quoi elle devient nécessairement empiétement, asservissement de l’autre, expression d’une volonté de puissance comme notre temps nous en livre, en ce registre, beaucoup d’exemples que nous ne percevons même plus.

 « (..) ceux que Dieu a connus, précise Paul, il les prédestine à devenir conformes à l’image de son Fils. »

Connus de Dieu, chacun de nous, a comme objectif et vocation, chacun de nous comme prédestiné, a vocation à devenir une présence du Christ. A travers son Fils, nous avons réalisé que Dieu ne peut être une réalité de l’histoire qu’en s’incarnant. Et, aujourd’hui, réalisons qu’il ne peut s’incarner qu’à travers notre visage et à travers ce que nous sommes, nous ses disciples. Dieu ne peut rien, en nous, sans nous. Si nous ne nous prêtons pas à cette incarnation, rien ne peut se passer… et alors, la conséquence est que Dieu, dans notre monde, devient de plus en plus absent, de plus en plus irréel et illusoire…

Pour que l’humanité retrouve Dieu, il faut que nous créions l’humanité en nous, il faut que nous devenions cet espace où le Dieu vivant peut s’exprimer et peut se respirer à travers chacun de nous.

Et l’espérance, malgré toutes nos défaillances, l’espérance d’aujourd’hui c’est que, justement, notre avenir immédiat ne se fonde pas sur cette espèce de machine ou de robot que nous sommes tous en passe de devenir, mais sur cette humanité en avant de nous-même que nous avons à révéler, sur cette humanité qui peut donner à Dieu une assise pour qu’il apparaisse dans l’histoire comme une présence réelle.

 

Si nous réalisons que nous sommes prédestinés, si nous l’envisageons comme notre itinéraire, si nous revenons toujours à cette rencontre intérieure avec une présence cachée au plus intime de nous, si nous essayons de donner, à cette présence, un espace, de ne pas l’éteindre comme dit si bien Paul, de ne pas la déformer, si nous essayons de la laisser transparaître, si nous comprenons qu’elle nous est confiée, alors incontestablement notre vie de même que la vie de tous ceux qui nous entourent ne peut que se transformer…

Ainsi, il ne s’agit pas de trembler pour notre salut mais de trembler, encore et toujours, pour la crucifixion de Dieu. Nous ne risquons rien du côté de Dieu, par contre c’est lui qui risque tout de notre côté, car nous pouvons nous fermer, nous pouvons nous refuser, nous pouvons nous distraire, nous pouvons nous absenter… Il ne s’agit pas de se sauver, mais de sauver Dieu de nous, de sauver Dieu de nos ténèbres, de nos limites, de nos refus, de nos absences, de nos distractions, afin, comme dit Paul, de ne pas éteindre l’Esprit.

« (..) ceux qu’il a connus, nous dit Paul, Dieu les prédestine à devenir conformes à l’image de son Fils. Ceux là, Dieu les appelle, les déclare juste et leur accorde la gloire ».

Le résultat de l’appel de Dieu, c’est que nous sommes des justifiés. Nous sommes des « ajustés » au désir de Dieu sur chacun. Et, l’horizon de cet ajustement, c’est la gloire de Dieu en Christ.

Nous le savons, et le proclamons, Dieu est Amour, Dieu n’est qu’Amour, il ne peut qu’aimer… Pour autant, quand l’Amour n’est pas aimé, il meurt… N’importe qui peut le tuer, et c’est pourquoi Graham Greene a pu dire dans son livre, la Puissance et la Gloire  : « Aimer Dieu, c’est vouloir le protéger contre nous- même. »

Ce n’est pas Dieu qui nous condamne, jamais…Par contre nous nous pouvons le condamner. Ce n’est pas Dieu qui nous rejette, jamais. Mais nous, nous pouvons le rejeter. Le jugement de Dieu, c’est sa Crucifixion, le jugement de Dieu, c’est Jésus qui montre ses plaies. Le jugement c’est nous qui nous perdons parce que nous crucifions Christ qui accepte de l’être éternellement par nous et pour nous. Il ne s’agit pas de nous sauver comme si nous étions menacés par un Dieu implacable, il s’agit de le décrucifier, de le détacher du bois du supplice, il s’agit de le sauver de nous-mêmes, de nos limites, de nos refus, de nos ténèbres, de nos reniements… Et c’est cela justement l’immense aventure chrétienne. C’est cela notre destination. C’est cela à quoi nous sommes prédestinés…

Nous-nous plaignons de la déchristianisation du monde. Nous-nous plaignons de l’athéisme, de la révolte.. Pour autant, la vrai question est de savoir ce que nous faisons pour rendre Dieu présent au monde. La question est de savoir ce que nous faisons pour faire rayonner le Visage du Christ dans ce monde. La question est de savoir ce que nous faisons nous qui sommes appelés depuis le commencement du monde pour rendre la vie humaine plus grande, plus noble, plus libre et plus belle. C’est pourtant notre feuille de route.

Entendons bien que la parole de Paul est une incroyable promesse. Parce qu’il nous connait Dieu nous donne comme horizon de nos vies de devenir conformes à l’image de son Fils. Pour cela il nous ajuste à son désir en nous accordant la gloire de la vie éternelle. Nous sommes prédestinés à cela.

Telle est bien notre destination.

Amen

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