Prédication 5 juillet 2020 (Romains 8.9-13)

Romains 8.9-13 : Pour vous, vous ne vivez pas selon la chair, mais selon l’esprit, si du moins l’Esprit de Dieu habite en vous. Si quelqu’un n’a pas l’Esprit de Christ, il ne lui appartient pas.  Et si Christ est en vous, le corps, il est vrai, est mort à cause du péché, mais l’esprit est vie à cause de la justice.  Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Christ d’entre les morts rendra aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous.

Ainsi donc, frères, nous ne sommes point redevables à la chair, pour vivre selon la chair.  Si vous vivez selon la chair, vous mourrez; mais si par l’Esprit vous faites mourir les actions du corps, vous vivrez.

Chers frères et sœurs en Christ,

Convenons que l’Evangile de Paul est toujours difficile à saisir. Et pourtant nous devons faire l’effort de l’entendre et de le comprendre sans quoi nous oublions que Dieu se dit dans  les Ecritures, dans toutes les Ecritures sans aucune exception.

Tous les mots que nos Pères nous ont transmis, tous les écrits qui nous précèdent sont là pour nous enseigner c’est à dire pour nous faire signe dans ce que sont nos existences. Voilà pourquoi, nous ne pouvons pas, nous ne devons pas enfermer ces paroles dans une sorte de lettre étouffante, celle de la version commune reçue d’une tradition qui ne sert plus, convenons en, qu’à transmettre un « monument » c’est à dire étymologiquement un tombeau. C’est bien cela, ce tombeau, cette lettre de mort  qui faisait  déjà dire, en son temps, à saint Augustin : « Le sens des Écritures pris à la lettre me tue. » Comprenons bien qu’il voulait dire par là que si le sens des Ecritures n’est pas  mis en question par ce que nous sommes, par notre langue qui les reçoit en héritage et telle que nous l’exprimons aujourd’hui, nous interdisons lentement, par agonie, par asphyxie, l’accès de la parole de Dieu au monde. Autrement dit, la tradition isolée et prise au mot n’interroge plus le monde qu’elle entend éclairer. Et donc nous ne remplissons plus la mission qui nous a été confiée.

Tout enseignement spirituel, considéré sous l’angle d’une construction et d’un cheminement intérieur concret, ressemble à une carte, la carte de randonnée de nos propres vies qui nous indique quelle direction emprunter. Bien entendu, la subtilité de l’itinéraire à suivre va demander beaucoup de discernement, de précaution, de persévérance. Il y a tellement d’occasions de mal interpréter une instruction précise, de ramener au niveau ordinaire ce qui appartient à un autre ordre de réalité que la progression s’en trouve facilement entravée. L’enseignement de Jésus, de tous les apôtres qui l’ont suivi comme celui de tous les Pères de l’Eglise, se trouve voué à de multiples incompréhensions et il est d’une difficulté extrême de les dissiper.

La raison principale en est que le domaine de l’intériorité a ses lois propres et que ces lois sont constantes, quelles que soient les conditions extérieures, géographiques ou historiques.

On entre alors peu à peu dans ce qui relève de l’expérience personnelle et d’une compréhension vécue qui se confirme puis s’approfondit d’année en année et tout au long de notre vécu.

Dans la tradition monastique chrétienne primitive, les Pères insistaient beaucoup sur ce qu’il appelait la praktiké. C’est à dire non pas un simple savoir intellectuel mais une connaissance réelle issue de l’expérience et de notre vécu quotidien. Ce qui signifie que bien plus qu’un message ou qu’une biographie, l’Évangile est toujours une opération. Il agit en nous. Il ne délivre pas simplement un contenu, mais il nous fait quelque chose. Car l’Évangile est à lui-même son propre à-venir à savoir celui d’être parole d’encouragement et de joie qui nous est adressée. L’Évangile s’adresse à nous en parlant à l’intime c’est à dire au lieu qui désigne ce qui est ou qui pourrait  être l’à-venir de chacun.

Et si nous avons du mal à saisir cela c’est bien parce que dans  notre époque, dans ce temps dans lequel nous vivons, l’individualisme narcissique, qui est devenu premier dans nos façons de vivre, ne connaît pas l’intime. Notre époque place en avant le privé, le repliement sur soi, ce qui nous prive, même dans nos relations ecclésiales, de la possibilité de faire du commun et de la relation. Et de surcroit, depuis quelques années, même le privé n’est plus guère privatif puisqu’il vire immédiatement à la vulgarité et dans l’étalement : il veut voir et être vu… L’exemple se trouva dans  l’obscénité risible et pathétique de ce qui s ‘appelle le selfie, à savoir cette photo bouffone prise de soi-même à bras portant avec son téléphone portable…

Quoiqu’il en soit, réalisons que si l’Évangile veut à nouveau honorer son enjeu d’originalité, ce sera uniquement pour nous révéler à quel désir de vie nous sommes destinés en relation avec les autres. Et c’est bien en cela que réside l’interpellation de Paul lorsqu’il nous dit :

« Mais, si vous vivez selon la chair, vous mourrez; mais si par l’Esprit vous faites mourir les actions du corps, vous vivrez… »

Notre difficulté lorsque nous entendons cette interpellation de Paul nous vient du  mot « chair ».

Ce que Paul appelle « chair », a peu à voir, comme nous le pensons souvent, avec  ce que nous appelons le corps. De même que ce que Paul appelle l’Esprit, a peu de chose à voir avec ce que nous appelons l’âme sans trop savoir d’ailleurs ce que nous mettons précisément derrière ce terme. D’ailleurs Paul n’oppose pas les mots « chair » et « Esprit », mais deux expressions : « vivre selon la chair » et « vivre selon l’Esprit ». Répétons le, il n’y a là aucune connotation morale. Paul n’a jamais voulu nous dire que notre corps est mauvais. Après tout, Dieu lui-même a bien pris un corps humain en Jésus. 

Paul souhaite tout simplement nous faire comprendre  que comme chrétien un choix de mode de vie s’impose et il nous faut savoir  choisir. Pour le dire autrement, il faut choisir nos maîtres, ou encore plus simplement il faut savoir choisir notre ligne de conduite dans l’existence.

« Vivre selon la chair », pour Paul, c’est vivre sans Dieu. C’est vivre de nos seules forces, replié sur son ego, enfermé dans les limites de l’intelligence et des forces humaines.  Mais, vivre sans Dieu finit toujours par vouloir dire vivre loin de Dieu. C’est en quelque sorte vivre comme Adam qui veut devenir comme Dieu, mais sans l’aide de Dieu.  Force est de constater que le temps que nous vivons et que nous appelons la post-modernité, ce temps qui ne croit plus en Dieu, pense que l’homme explique tout et donc fait de celui-ci un dieu. Comme elle fait de celui-ci un dieu, elle entend installer le règne sans partage de l’illimité, de l’égalité et de la sécurité afin de sauver le monde. Certains s’en réjouissent. Mais ils ne réalisent pas que, folle d’elle-même, l’humanité est en passe, déjà, d’être l’otage des délires de l’homme-dieu. Si l’on n’y prend pas garde, le monde prend le risque de connaître un chaos tel qu’on n’en a jamais connu… Pour autant, encore, nos avons le choix : S’il y a en nous un homme-dieu capable d’étourdir l’homme, il y a aussi en chacun de nous un homme capable de vaincre cet homme-dieu. La tyrannie de celui-ci n’est donc pas une fatalité.

 Encore faut-il faire le choix de  « vivre selon l’Esprit », c’est  à dire de nous laisser guider par lui.  Plus concrètement, il suffit de remplacer le mot « Esprit » par le mot « amour » pour réaliser que « vivre selon l’Esprit » c’est se laisser souffler par lui des paroles et des gestes d’amour. Et ces gestes, Paul a pris le temps de nous expliquer qu’ils sont « joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi »,  en un mot l’amour décliné selon toutes les circonstances concrètes de nos vies.

Voilà pourquoi , la grande et bonne nouvelle pour Paul ce trouve dans ces mots :  « L’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Christ d’entre les morts rendra aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. »

Réalisons ce que Paul nous dit. Celui qui habite la maison, c’est le maître, c’est lui qui dirige. En Christ, nous sommes en mesure de devenir  littéralement des maisons de l’Esprit. C’est un libre choix sur lequel insiste Paul lorsqu’il nous dit  :  « vous n’êtes plus sous l’emprise de la chair ». Ce qui signifie qu’en Christ, nous ne sommes plus ni jamais esclaves des forces maléfique de l’homme-dieu. Au contraire en devenant une maison de l’Esprit nous devenons capable de faire triompher des valeurs comme celle de l’amour, la paix, la vérité, la justice… Nous en avons désormais la force. Mais, pour autant, par notre liberté réelle d’enfants de Dieu, nous n’y sommes pas obligés non plus : à chaque instant, le choix est à refaire. Comprenons bien que c’est par expérience,  que c’est à partir de la praktiké  que Paul nous transmet cet enseignement.

Pour lui, rencontrer le Christ ressuscité sur le chemin de Damas a tout changé. Il a expérimenté le grand paradoxe selon lequel Jésus crucifié était en fait vivant. Sa façon de penser  a non seulement changé, mais sa façon d’être dans le monde s’est également transformée. L’homme-dieu persécuteur de chrétiens qu’il était, est devenu le «vase choisi» du Christ, choisi et envoyé «pour porter son nom devant les nations» comme le précise le livre des Actes.

Chacun de nous souhaite certainement faire sien les enseignements du Christ, le Verbe fait « chair » comme le dit si bien Jean sans aucune idée négative. Ce Verbe fait « chair » est d’ailleurs devenu, sans aucune ambiguïté,  « Maison de l’Esprit » dès son baptême au Jourdain… C’est donc plus qu’honorable de vouloir l’imiter. Mais, cela nous semble souvent impossible… Alors, nous pouvons aussi commencer par imiter Paul et comme lui, surmonter, dans nos propres vies, la ligne stricte, qui nous habite tous, entre le bien et le mal, entre le mal et la vertu…Comme Paul nous sommes à même de surmonter, en chacun de nous, ce  paradoxe qui veut que nous  soyons à la fois pécheur et saint.  Ces contradictions ne s’annulent pas. En conflit en chacun de nous, elle nous rappelle que nous sommes  des paradoxes vivants et que les autres le sont aussi. Réalisons cela et alors commençons  à voir la vie d’une manière véritablement spirituelle.

Pour nous enseigner en ce sens, Paul présente souvent deux idées apparemment opposées, telles que la faiblesse et force,  la loi et  la grâce, foi et œuvres, juive et grecque, homme et femme… et bien sûr, chair et esprit. Trop souvent notre pensée dualiste se contente de vouloir  prendre  un côté pour rejeter l’autre… Ce qui n’est pas si simple. C’est la raison pour laquelle, Paul, à la suite de Jésus,  nous force à prendre conscience du dilemme qui est en nous et nous invite donc à lutter contre le paradoxe qui nous habite pour nous amener à une réconciliation intérieure qui nous permette justement de bien poser nos choix dans l’existence. Malheureusement, devant la difficulté, nous préférons nous replier sur notre petit moi, sur notre ego, qui se prend au sérieux… Et alors nous  optons pour le conflit intérieur. C’est d’ailleurs pour cela que  beaucoup d’entre nous n’aiment pas Paul et ne cherchent même pas à le comprendre…

C’est regrettable car il est bien l’héritier de toute la tradition des prophètes qui nous enseigne depuis Moïse comme réellement « vivre selon l’Esprit », c’est à dire littéralement « vivre en Christ ».  Tous affirment que notre relation à Dieu se vérifie simplement dans la qualité de notre relation aux autres. Tous affirment  que vivre selon l’Esprit de Dieu, c’est aimer et servir nos frères et nos soeurs. Paul ne dit pas autre chose : « (..) si vous vivez selon votre ego, vous mourrez; mais si par l’amour vous faites mourir les actions de l’ego, vous vivrez… » A chaque instant ce choix nous appartient.

Amen

Pasteur Jean-Paul Nuñez

 

 

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