Prédication 4 octobre 20 (Philippiens 4.6-9)

Philippiens 4.6-9 : Ne vous inquiétez de rien, mais en toute chose faites connaître vos besoins à Dieu par des prières et des supplications, dans une attitude de reconnaissance.  Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce que l’on peut comprendre, gardera votre coeur et vos pensées en Jésus-Christ.

Enfin, frères et soeurs, portez vos pensées sur tout ce qui est vrai, tout ce qui est honorable, tout ce qui est juste, tout ce qui est pur, tout ce qui est digne d’être aimé, tout ce qui mérite l’approbation, ce qui est synonyme de qualité morale et ce qui est digne de louange.  Ce que vous avez appris, reçu et entendu de moi et ce que vous avez vu en moi, mettez-le en pratique. Et le Dieu de la paix sera avec vous.

 

Chers frères et soeurs en Christ,

A travers les mots de Paul  il est possible d’entendre  l’écho de la magnifique  leçon sur la prière que Matthieu nous a  transmise dans son Evangile : «Ne vous inquiétez pas de ce que vous mangez  pour vivre, ni de ce dont vous habillez votre corps… (..)  Qui de vous, par ses inquiétudes, peut ajouter un seul instant à la durée de sa vie? (..) Ne vous inquiétez donc pas de demain, car  demain prendra soin de lui-même. A chaque jour suffit sa peine. »

Paul ne nous dit pas autre chose :

« Ne vous inquiétez de rien,(..)car la paix de Dieu, qui dépasse tout ce que l’on peut comprendre, gardera votre coeur et vos pensées en Jésus-Christ. »

Nous apprécions et connaissons ces mots par cœur.  Mais ils sont difficile à entendre tant, là, aujourd’hui,  nous pouvons dire et affirmer, tous sans exception,  qu’au fond de nous  l’inquiétude nous habite et même nous occupe.

Inquiets, nous le sommes, effectivement, devant une épidémie dont nous sommes loin  d’imaginer encore ni la durée, ni tous les effets, encore moins les conséquences tant c’est à travers les nécessaires  mesures précautionnistes et hygiénistes inventées « pour notre bien » que pourraient naître nos pires lendemains.

Inquiets, nous le sommes, certainement, dans nos corps qui suffoquent du fait de nos visages qui se masquent et de nos regards qui fuient. D’autant que cela à suspendu la marche économique des choses et des relations tout en libérant, et même,  en névrosant nos subjectivités qui, submergées par une leughorrée médiatique,  en deviennent complètement irrationnelles au point de reconfigurer complètement la manière dont nous nous rapportons aux autres et au monde dans lequel nous essayons simplement de survivre.

« Ne vous inquiétez de rien,(..)et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce que l’on peut comprendre, gardera votre coeur et vos pensées en Jésus-Christ. »

C’est bien dit de la part de Paul mais, incontestablement, pour nous chrétiens de ce début de XXIeme siècle, ces mots  sont difficiles à entendre devant un avenir qui nous inquiète   tant la route semble barrée et entravée, et  où nous nous retrouvons encagés dans un présent sans lumière comme des souris de laboratoire.

Inquiets c’est même peut dire lorsque nous réalisons, pertinemment, au fond de nous, que dès que nous sortirons de l’épidémie, ou que nous l’aurons simplement intégré dans nos existences masquées, muselées et vaccinés,  nous nous retrouverons confrontés, parce qu’ils sont déjà là,  à des risques écologiques énormes  dont nous savons que nous ne les surmonterons que bien difficilement. Et de surcroit, cela n’apaise en rien notre inquiétude de voir se dessiner toutes sortes de conflits et des dangers migratoires angoissants, avec la perspective de voir, autour de nous,  une forte présence d’hommes et de femmes qui n’ont aucunement l’intention de partager notre civilisation désœuvrée. Nous ne sommes plus, malgré tous nos réseaux connectants, qu’une humanité en régression et en miettes, en proie à bon nombre de  menaces existentielles.

« Ne vous inquiétez de rien,(..)et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce que l’on peut comprendre, gardera votre coeur et vos pensées en Jésus-Christ. »

Autrement dit, Paul nous rappelle que quand le monde ne va pas, quand, sous nos yeux, il court à sa perte, créant en nous une inquiétude permanente, cela n’empêche en rien, l’événement c’est à dire le royaume de paix de Dieu  de venir et de s’avancer car  sa grâce ne dépend absolument pas de nos petits mérites existentiels.  Prétendre accomplir demain  par nos seuls pouvoirs et nos seuls projets,  ramener notre futur  à ce à quoi volontiers l’on s’attend,  remodeler demain  selon des spéculations, c’est se vouer à n’avoir plus d’avenir…  Avenir qui n’est pas le simple développement de ce qui va de l’avant, mais qui pour nous dans le foi chrétienne est  l’événement de Celui qui vient, la présence jaillissante de l’autre, qui nous tire de la logistique de la réussite et de la consommation  vers une logique de la rencontre et de la relation.

Mais pour que « le Dieu de la paix soit  avec chacun de nous » comme le souligne Paul  encore faut-il vivre selon l’Evangile du Christ vivant.  Notre problème c’est que non seulement l’inquiétude nous accable mais que de surcroît nous ne vivons pas l’Evangile. Et pour cause…

Revenant sur le geste « fondateur » de la Réforme, quand Luther placarda ses 95 thèses  le philosophe Kierkegaard a eu ce mot extraordinaire :  « Une thèse, une seule suffit. Cette affaire est bien plus terrible et se résume en une seule thèse  : La foi chrétienne du Nouveau Testament n’existe absolument pas. »  En ayant ce mot, le philosophe avançait ainsi qu’un christianisme sans Évangile n’est qu’un simulacre inventé pour n’avoir pas à conformer sa propre vie à la parole du Christ. Autrement dit, un christianisme « du dimanche », rituel, identitaire, superficiel et léger, n’est en rien conforme à la signification originaire de ce que le Christ Jésus nous a transmis.

« Il n’y a pas de chrétiens » : tel est le constat sur lequel débouche en définitive la radicalité de l’exigence chrétienne portée par Kierkegaard. Et si quelque chose devait être le sujet de nos inquiétudes, c’est bien cela.   « Il n’y a pas de chrétiens »: tel pourrait être un jour le constat de l’extinction du christianisme, du moins dans nos pays européens où nous en sommes arrivés à  ne même plus être pris au sérieux dans le quotidien. La thèse de Kierkegaard peut choquer. Mais, elle n’est choquante que pour celui qui se croit disciple du Christ. Par contre pour ceux qui pressentent que l’Évangile n’a pas dit son dernier mot ou encore ceux qui, mal à l’aise dans leur existence, aspirent à exister enfin, il se pourrait que le christianisme à venir soit bien plus prometteur que toutes nos projections d’un futur passablement inquiétant et désespérant.

C’est bien ce que Paul affirme : « Ce que vous avez appris, reçu et entendu de moi et ce que vous avez vu en moi, mettez-le en pratique… Et le Dieu de la paix sera avec vous ».

Réalisons que Paul, Paul l’homme d’il y a deux mille ans, l’homme qui se dilate dans des lettres et épîtres, cet homme là a aussi l’angoisse de l’effondrement du monde.Voilà pourquoi, il ne cesse, en Christ et par l’Evangile, d’agir, et d’agir  sur son temps de déréliction en vue de ce qu’il appelle le jour du jugement c’est à dire en vue de ce jour où son Messie, le Christ vivant de toute éternité  va venir et créer en cela l’Événement.

Intensément, colériquement, mystiquement, tragiquement, l’urgence existentielle de Paul est bien de convaincre les hommes et les femmes de son temps, et, de nous convaincre nous aussi, deux mille ans après, dans le temps où nous sommes, que l’Événement va bien avoir lieu. Et pour ce faire, à son exemple, Paul  nous demande  d’affronter  le contexte qui est le notre pour  dire et proclamer qu’il est possible d’exister autrement. pour  dire et proclamer que l’Évangile dans ce qu’il a d’inouï et inédit est l’à-venir de l’humain, de l’humanité et de la création.

Paul ne cesse de dire et de répéter, ce que chacun de nous devrait avoir bien compris, à savoir que nous sommes tous englués dans une même histoire qui se donne à découvrir dans toutes  les Écritures, et qui n’est rien d’autre que l’histoire du salut promis à tous sans exception aucune. Autrement dit, notre vie n’est  pas que matérielle, elle est nouée, fondue, travaillée, dans la trame d’un avenir et d’une espérance commune, dont il appartient à chacun de patiemment tisser les fils.

« Ce que vous avez appris, reçu et entendu de moi et ce que vous avez vu en moi, mettez-le en pratique… »  Effectivement, à l’exemple de Paul, notre mission à nous qui pressentons que l’Évangile n’a pas dit son dernier mot, notre mission est de faire comprendre à tous ceux qui nous entourent que nous sommes engagés dans une même aventure, dans une même idée d’humanité,  pour leur dire que, quelle que soit notre position ou notre situation nous sommes tous frères et soeurs  et, parce que nous le pouvons,  nous devons nous réconcilier, avec nous-mêmes et avec autrui, sinon le Ciel, avec quoique ce soit que nous mettons derrière ce terme, les Ciel va  immanquablement  nous  juger avec fracas. Et notre inquiétude n’y pourra rien.

« Ce que vous avez appris, reçu et entendu de moi et ce que vous avez vu en moi, mettez-le en pratique… Et le Dieu de la paix sera avec vous ».

Réalisons que Paul, bien plus qu’Alexandre le Grand, est l’acteur de la plus grande des inventions politiques possibles. Il pense une politique aux dimensions de l’univers, puisqu’il veut faire vivre ensemble ces hommes et ces femmes, rencontrés, admonestés et exhortés  sur les routes de l’Empire romain, et les convaincre qu’ils sont liés, ensemble qu’ils sont pris dans le même faisceau des vivants, qu’ils doivent abandonner leurs petites idoles quotidiennes pour faire un nouveau monde. Qu’ils doivent partager une spiritualité commune, qui seule leur permettra de surmonter leurs différences, sans les nier, sans les craindre, mais en les rendant composites et orientées pour se mettre au diapason de la paix et de la fraternité.

Certains diront que Paul a échoué… Cela peut se discuter. Mais ce qui est sûr c’est que nous, nous les modernes de notre temps, en tuant toute espérance et en nous recroquevillant sur nos inquiétudes, nous échouons incontestablement et même plus dramatiquement encore. Nous oublions la leçon du Verbe, du Sens, de la raison qui s’est incarné dans notre humanité, nous oublions la leçon de Jésus qui s’est donné jusqu’à l’indicible, nous oublions la leçon de Paul qui a annoncé l’Evangile sur la chaussée des hommes, nous oublions la multitude de nos pères dans la foi qui nous ont transmis la nécessaire détermination de toujours  rester debout.

Tous à travers leurs extraordinaires  vies,  tous n’ont eu cesse de nous dire que  sans cette possibilité à méditer et à ruminer, sans cette quête spirituelle, individuelle, collective et planétaire,  nous n’aurons pas la paix, nous n’aurons pas collectivement le bonheur, que la fraternité nous échappera sans cesse et que toute espérance s’évanouira…

A moins de flétrir dans une inquiétude demesurée en nous repliant sur nos petites possessions consommables nous n’avons aujourd’hui  pas d’autre choix que de reprendre la tâche là où nous sommes, tel que nous sommes et quelque soit notre âge si nous voulons nous préserver du vacarme qui vient.

Comprenons bien que pour repenser le monde et rendre possible la fraternité, le détour à l’Evangile transmis par Paul reste un antidote à l’incertitude du temps afin de pouvoir proclamer avec lui que

« Quoiqu’il se passe nous ne sommes inquiets de rien, car la paix de Dieu, qui dépasse tout ce que nous pouvons comprendre, garde notre coeur et nos pensées en Jésus-Christ vivant et éternel. »

A lui seul soit la gloire. Amen

Pasteur Jean-Paul Nunez

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