Prédication 1er novembre 20 (1 Thes 2.7-11)

1 Thess 2.7-11 : (..) mais nous avons été pleins de bienveillance au milieu de vous. De même qu’une mère prend un tendre soin de ses enfants,  nous aurions voulu, dans notre vive affection pour vous, non seulement vous donner l’Evangile de Dieu, mais encore notre propre vie, tant vous nous étiez devenus chers. Vous vous rappelez, frères et soeurs, notre peine et notre fatigue: c’est en travaillant nuit et jour, pour n’être à la charge d’aucun d’entre vous, que nous vous avons prêché l’Evangile de Dieu.  Vous en êtes témoins, et Dieu l’est aussi: nous nous sommes comportés envers vous qui croyez d’une manière sainte, juste et irréprochable.  Vous savez aussi que nous avons été pour chacun de vous ce qu’un père est pour ses enfants:  nous vous avons encouragés, réconfortés et suppliés de marcher d’une manière digne de Dieu, qui vous appelle à son royaume et à sa gloire.

 

Chers frères et sœurs en Christ,

« Frères et soeurs, nous avons été plein de bienveillance, plein de douceur avec vous ». Ce que Paul nous dit, là, semble parfaitement compréhensible. Pour autant il faut s’y arrêter, car les traductions de ce qui est rendu par le mot bienveillance ou douceur est d’abord une recommandation en particulier à ceux qui exercent l’autorité. Ce qui signifie que Paul ne nous parle pas ici de préciosité ou de mièvrerie. Disons-le d’emblée, la bienveillance dont parle Paul n’a rien à voir avec un reflet narcissique et son infantile culte de l’ego. Pas plus qu’elle n’a à voir avec  les bo ns sentiments. Avec ceux-là, comme le disait l’écrivain André Gide, on ne fait même pas de bonne littérature. Il n’est donc pas étonnant, comme le disait en son temps, Platon que « la perversion de la cité s’épanouit dans la fraude des mots »  Effectivement, convenons qu’aujourd’hui la distorsion de la langue, son appauvrissement, son mauvais usage, son euphémisation grandissante, sa relégation dans les oubliettes, sont des signes patents de la falsification à l’œuvre. Vider les mots de leur substance, en pervertir le sens ou les passer par les armes de l’oubli est devenu un exercice  à l’œuvre  dans nos sociétés déboussolées. Et, ce sont, plus que tout, les médias surpuissants  qui en dicte l’agenda chaotique.

En fait, par « douceur », par « bienveillance » Paul nous parle de la vertu des forts qu’il souhaite ardemment que chacun de nous devienne.  D’ailleurs l’image d’une mère qui entoure de soins ses nourrissons nous rappelle que l’autorité au beau sens de ce mot veut littéralement  dire « faire grandir ». Cette image de la mère, Paul, le connaisseur des Écritures, l’a héritée du psaume 131 ou encore du prophète Esaie « Vous serez nourris, déclare l’Eternel, et portés sur la hanche ; vous serez choyés sur les genoux. Comme un enfant que sa mère console, ainsi, je vous consolerai. Oui, dans Jérusalem, vous serez consolés. »

Effectivement, comme une mère pleine d’affection,  Paul et ses amis,  ne délivrent pas seulement un message, ils se livrent eux-mêmes totalement. Ils se donnent : « Ayant pour vous une telle affection, nous aurions voulu vous donner non seulement l’Évangile de Dieu, mais jusqu’à nos propres vies… ». C’est fort d’entendre cela à une époque où, du moins dans nos pays, nous ne savons plus très bien ce que cela veut dire «donner non seulement l’Évangile de Dieu, mais jusqu’à nos propres vies… »

Il est vrai que nous avons depuis longtemps oublié que  l’Évangile commence par la fin, quand et au moment précis où  il est temps de se perdre. C’est à dire au moment où« le fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu ».

Cela nous l’avons oublié. Nous n’entendons pas que l’Évangile  commence par le vide du désert et s’achève, ou plus précisément faudrait-il dire, s’ouvre, sur le vide d’un tombeau. Le tombeau, dont aucun d’entre nous ne souhaite la vision. Le tombeau figure cette mémoire vive qui crée du nouveau en dégageant une possibilité qui paraissait, jusque-là, impossible. Quoiqu’il en soit, cela nous avons du mal à l’entendre même si, de façon inexorable, chacun est poussé vers son propre tombeau qui lui est d’abord intérieur…

Dans tous les cas, le Crucifié « relevé » du tombeau, ce crucifié que nous louons jour après jour, ce crucifié que nous ne cessons d’invoquer, ce crucifié nous a révélé que la perte est la manière qu’a la Vie de se donner. Voilà ce dont nous devons garder la mémoire vive, si l’on ne veut pas tomber dans l’oubli négateur qui est la marque de notre époque.

Et convenons même que cet oubli négateur, que nous avons et portons en nous, est la cause première du fait que  nos contemporains ne semblent plus se comprendre à l’intérieur de la parole chrétienne.

Au moment où grandit le risque que l’Évangile devienne inaudible, on se demande si l’interpellation du Christ : « Pourquoi ne comprenez-vous pas mon langage ? » , n’est pas, plus que jamais, la question critique décisive qui décidera de l’avenir de l’humanité. Et nous, n’allons pas prétendre trop vite que nous « comprenons » le langage de l’Évangile… En ayant cette attitude, nous serions comme les pharisiens, ces interlocuteurs du Christ qui prétextent de leur appartenance à la descendance d’Abraham alors qu’ils sont dans une complète inintelligence des Écritures. Elles ne les touchent même pas ce qui pousse Jésus à dire : « N’est-ce point parce que vous ne connaissez ni les Écritures ni la possibilité  de Dieu que vous êtes dans l’erreur ? »

Effectivement, nous ne savons plus très bien ce que cela veut dire «donner non seulement l’Évangile de Dieu, mais jusqu’à nos propres vies… » En conséquence,  nous réalisons que partager notre foi en Christ vivant et éternel est  devenu une tâche non seulement intransmissible mais impossible… Et pour cause l’impossible c’est le cœur même de l’Evangile. L’impossible c’est ce que nos yeux n’ont pas encore vu, ce que nos oreilles n’ont pas encore entendu. L’impossible,  c’est ce Royaume dont les frontières sont bordées, en amont, par le don, en aval, par le pardon. Vivre selon les espèces du don et du pardon voilà  l’impossibilité que notre foi a pour mission de faire devenir possible dans ce monde qui tangue et ne sait même plus où il va…  Pour autant, pour rendre témoignage à l’impossible, nous n’avons pas d’autre alternative que  celle d’être sourd à la voix du temps. C’est à dire àt la voix du fait établi, la voix de l’ordre des choses, la voix qui est emprisonnée dans le calculable et le manipulable. La voix du temps, c’est la mesure d’audience à travers la loghorrée médiatique. Pour la voix du temps, le don est toujours, dans tous les sens, hors de cause, et le pardon, en tant qu’il justifie le coupable, toujours hors de propos. Bref, la voix du temps est sourde à la grâce du pardon rendant ainsi la voix chrétienne totalement inaudible…

Il n’en reste pas moins que  nous sommes là, c’est donc que le Créateur nous veut là. Nous sommes en un temps de misère, c’est donc le temps béni pour la miséricorde. Même si au moment où nous parlons nous sommes enfermés, confinés, diminués, masqués Il faut tenir notre poste et être certains que nous ne pouvions pas mieux tomber. Il faut, non pas nous en remettre au futur ni regretter le passé, mais servir la présence de Christ  en toutes choses.

C’est cela qui doit nous inciter à être attentifs aux voix et aux signes des temps. Christ, le vivant éternel, qui nous parle par les Écritures  est  le maître de l’Histoire. Il nous parle donc aussi par les événements. Les événements que nous vivons sont des paroles à déchiffrer. Alors que les Écritures  sont d’abord des paroles qui, elles, nous déchiffrent. Les temps que nous vivons nous livrent des signes, et, à travers son Évangile, Christ nous donne d’en saisir la signification.

Cela fait penser à ce tableau du XVIIeme siècle, signé par un peintre du nom de  Monsù Desiderio,  intitulé  la Légende de saint Augustin.  Cette toile fait figurer un personnage avec une mitre et une crosse qui nous font penser, du fait du titre, à Saint augustin. Celui-ci apparait dans une lumière froide qui parvient à peine à percer l’obscurité, montrant une ville entière détruite qui menace de s’effondrer le long d’une plage sans eau sur laquelle, non loin se trouve un bateau échoué…

Ce tableau est, au sens premier, une nature morte qui nous rappelle que ce qui a été grand est toujours appelé à devenir poussière. Qu’il s’agisse d’un être humain ou d’une civilisation. Ce qui nous permet d’imaginer ce que Saint Augustin  a dans la tête sur cette plage sans mer, car il a écrit sur ce sujet : « Tout ce qu’on a raconté est affreux ; dit Saint augustin dans un de ses sermons,  les monceaux de ruines, les incendies, les terribles maladies, les meurtres et les barbaries. Tout cela est vrai ; nous avons gémi, nous avons pleuré sans pouvoir nous consoler ; (..) cette histoire est triste et la Ville a cruellement souffert… Vous vous étonnez que le monde périsse ; comme si vous vous scandalisiez que le monde vieillisse ! Le monde est comme l’homme ; il naît, il grandit, il meurt… Ne soyons pas troublés en voyant les justes souffrir ! Leur souffrance est une épreuve certes mais  ce n’est pas une damnation »  Puis Saint Augustin rajoute ceci qui résonne pour nous aujourd’hui : « Dans tout cela, le plus important, c’est le parti qu’on tire de ces choses dont on peut dire qu’elles arrivent à point ou qu’elles tombent mal… Tant il est vrai que l’important, c’est moins ce qu’on endure que la façon dont on l’endure »

Autrement dit celui qui rejette la grâce finit par perdre la nature. Celui qui ignore le Créateur finit par oublier la créature. Celui qui méprise l’invisible ne sait même plus voir ce qu’il voit : il se met à chercher ailleurs, il ne croit plus que ce qu’il lui est donné de voir, même à ras de terre, lui est donné généreusement pour son élévation…

L’écrivain Chesterton décrit à la fin d’un de ses livres ce singulier combat missionnaire :

« Les feux seront allumés pour témoigner que deux et deux font quatre. Les épées seront dégainées pour démontrer que les feuilles sont vertes en été. Nous nous retrouverons à défendre non seulement les incroyables vertus et l’incroyable signification de la vie humaine, mais quelque chose d’encore plus incroyable, cet immense, impossible univers qui nous regarde en face. Nous allons combattre pour les visibles prodiges comme s’ils étaient invisibles. Nous regarderons l’herbe et les cieux impossibles avec un courage étrange. Nous serons ceux qui ont vu et qui pourtant ont cru ».

Réalisons le temps que nous vivons. Lors du premier confinement, de mars dernier,  il s’agissait de gérer et d’organiser la distance publique. Lors du couvre-feu du mois dernier  il s’agissait de gérer de la proximité privée. Celle du premier cercle, du premier diamètre réduit à six…

Désormais, lors de ce confinement que nous allons vivre il va falloir gérer, administrer, contrôler, circonscrire, policer, non plus de l’espace mais du temps. Du temps et des mots. Entre autre ceux de l’Evangile du Christ.  Ce qui va être à la fois beaucoup plus délicat et beaucoup plus éprouvant. 

Mais comme le dit Saint Augustin : « l’important, c’est moins ce qu’on endure que la façon dont on l’endure ». Ou pour faire écho aux paroles de Paul   aux Thessaloniciens : « Rappelons nous nos peines et nos fatigues : c’est en œuvrant nuit et jour pour n’être à la charge de personne que nous annonçons en cela l’Évangile de Dieu ».

Amen

 

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