Prédication synode régional CLR – 17 janvier 21

Marc 16.6-7 : Le jeune homme leur dit: «N’ayez pas peur. Vous cherchez Jésus de Nazareth, celui qui a été crucifié. Il est ressuscité, il n’est pas ici! Voici l’endroit où on l’avait déposé.  Mais allez dire à ses disciples et à Pierre qu’il vous précède en Galilée: c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit.»

Chers frères et sœurs en Christ,

L’année que nous venons de quitter est, à bien des égards, certainement et en tout cas pour nous, l’une des années les plus laides jamais enregistrées. D’autant plus laide qu’ il n’y a vraiment pas moyen, tout du moins encore, d’en détourner notre regard. A un tel point que l’année qui  commence risque, à bien des égards, et c’est bien là le comble, de nous faire regretter la difficile année que nous venons de passer. Une année où tout à basculé dans une sorte de néant, néant social, économique, politique, médical et même, en ce qui nous concerne, paroissial… Les écrivains Georges Orwell ou Margaret Atwood dans leurs romans dystopiques n’avaient pas osé aller jusque-là. Il est  vrai qu’ils n’étaient que romanciers. Or l’avantage de la réalité sur la fiction, comme le faisait remarquer Mark Twain, c’est que la réalité, elle, n’a pas besoin d’être vraisemblable…

Toujours est-il que désormais, tous nos yeux restent braqués sur cette pandémie qui nous touche encore et encore et accable le monde. Et, chacun, même exaspéré, en arrive à se convaincre  qu’une fois celle-ci « terminée »,  enfin,  tout pourra revenir  à la normale… Sans trop savoir ce que la normale veut bien pouvoir  dire dans un contexte de désastres écologiques, de dérèglements climatiques, d’effondrement économiques et de conflits divers .  C’est oublier la règle fondamentale qui veut que nous ne sortons   jamais indemne d’une crise. Et lorsque nous en sortons c’est certes transformé, en mieux ou en pire mais jamais comme avant. Nous verrons bien…

En attendant,  depuis près d’un an, nos communautés ont connus et connaissent encore, des églises vides, fermées et parfois même inaccessibles… La cause, nous l’énonçons avec certitude en pointant  les nécessaires règles sanitaires imposées…

Devant l’expression  d’une telle certitude, nous serions bien inspiré de méditer les mots de Jean Climaque, qui en son temps du 6eme siècle,  disait « Frère en Christ, installe-toi sur une hauteur et surveille-toi toi-même, si toutefois tu sais le faire ; tu verras alors, tu verras  comment les voleurs entrent pour dérober tes grappes de raison… Tu verras quand il le font, d’où ils viennent et de quelles sortes ils sont. »

Incontestablement nos «grappes de raison» nous ont été dérobées dans la situation que nous traversons.  D’où le fait que nous avons beaucoup de mal à faire preuve  de sagesse et d’humilité. De même que nous avons beaucoup de difficulté  à faire preuve d’hygiène verbale afin de voir les choses telles qu’elles sont, sans rien ajouter, sans rien enlever, c’est-à-dire sans projection. Les «grappes de raison» nous sont enlevées car, ne voir et ne prédire que  la nuit sans l’affirmation de l’aurore, c’est  nous enfermer dans les déterminismes de « ce qui est » sans nous ouvrir à ses possibles. C’est ne pas réaliser que l’espérance  est là quoiqu’il arrive.

Voilà pourquoi nous serions bien avisés de  prendre ce temps que nous traversons, ce temps du manque, ce temps du dérangement et du bousculement comme un temps opportun qui nous est donné…  Comme un  temps de l’à-propos  dans la réalité que nous vivons afin de nous engager devant Dieu bien évidemment mais surtout avec lui devant ce monde qui est le notre. Autrement dit, prenons le moment que nous vivons pour nous poser la question de savoir si le temps des églises vides et fermées n’est pas une sorte de mise en garde au sujet de ce qui est susceptible de se passer, de façon encore plus cruelle, dans un avenir assez proche. Convenons que l’arrêt soudain de toutes l’activité de nos communautés   révèle la vacuité cachée que nous cotoyons depuis des années.  Et  cela révèle également l’avenir qui nous attends, si nous ne faisons  pas un sérieux effort pour montrer au monde le visage de Christ  dont « chacun pour notre part, sommes les membres de son corps. » pour reprendre les mots même de Paul.

Il y a 150 ans, le philosophe Nietszche faisait raconter à son insensé dans le Gai savoir, l’histoire de ce bouffon qui se rend à l’église pour entonner le Requiem  au Dieu Eternel   et qui  finit par déclamer :  «A quoi servent vraiment ces églises sinon à être les tombes et les sépulcres de Dieu ?»  Effectivement,   depuis longtemps, certains aspects de notre Église nous font penser aux sépulcres splendides et froids d’un dieu mort.  Pour autant, si ce vide de nos églises évoque pour certain de nous le tombeau vide,  tous, tous autant que nous sommes nous ne pouvons ignorer  cette  voix que nous rappelle l’évangile et qui nous dit:

«Le ressuscité,  il n’est pas ici! Il vous précède en Galilée et c’est là que vous le verrez»

Extraordinaire d’entendre cela. Christ n’est pas ici il nous précède en Galilée. Et nous, nous  nous évertuons de l’attendre dans nos temples vidés, froid, décatis et parfois même poussiéreux… Nous, nous évertuons à l’enfermer  dans les limites institutionnelles et mentales existantes de nos Églises fatiguées. Nous en avons oublié que  Jésus lui-même, lui qui chaque jour durant c’est mis à  la recherche des «brebis égarées», n’a pas passé son temps à les ramener dans les structures  religieuse de son époque. Sans cesse en nous exhortant de verser le vin nouveau dans des outres nouvelles, ll nous a poussé à élargir radicalement les limites de notre compréhension de ce qu’est l’Église. Depuis le cénacle, et même bien avant, Christ a franchi non seulement la porte, que nous, nous avons fermées sur nous par peur des autres et du monde mais Christ ia aussi a franchi, et franchit encore, le mur dont nous nous sommes entourés.

Il a longtemps que nous aurions du réaliser qu’il nous a ouvert et, en cela offert,  un espace dont l’ampleur et l’étendue nous donnent le vertige… Cet espace c’est la Galilée !! C’est là qu’il nous attend…  C’est là que nous pouvons le voir… Mais, justement c’est là qu’est le problème. Notre problème c’est d’aller en Galilée… La Galilée c’est  la terre de mauvaise réputation. Voilà pourquoi les Ecritures l’appellent: «le carrefour des populaces», car en hébreu, le mot Galilée  vient tout droit du mot «incroyant». En cela, les Galiléens sont des impies qui  parlent débraillé avec de surcroit un accent terrible. Souvenons nous;  dans la dans la cour du grand prêtre, pendant le procès de Jésus, quand la petite servante dira à Pierre : « Tu es de Galilée. Tu en as l’accent. ».Ce pays mêlé est le fourre-tout de  toute l’humanité. Entendons bien, cette humanité qui peuple nos livres d’histoire, nos albums de famille, nos selfies au désert, nos légions d’honneur et surtout nos enfermements et nos  prisons. Entendons bien cette humanité qui  se complet dans des idéologies mortifères voire fanatiques, qui jure et blasphème, mais où par ailleurs certains planquent des migrants à la cave comme d’autres cachent des comptes en banque… Entendons bien cette humanité qui grogne, qui conteste, qui triche, qui jette ses détritus n’importe où, qui est raciste et sexiste, en matinée, avant de porter de façon délicate,  à une petite grand mère isolée son bouillon de onze heures. C’est ça la Galilée. Et, Christ nous attends au milieu de tous ceux là…

Christ nous attends  là où, quelles que soient les circonstances et le contexte,  peut être mis en valeur le meilleur du cœur humain. Il nous attend à travers une empathie, une générosité, une ingéniosité et une gratuité qui forcent le respect et participent au meilleur de la nature humaine.  Christ nous attends  là où nous l’observons dans le témoignage de simples existences caractérisées par la bonté, marquées dans une détermination à promouvoir la paix et la justice, précisées dans une constance à prendre soin des autres…

C’est là qu’il nous attends alors que  nous, dans nos temples, nous pensons qu’il tarde à revenir. Nous devrions réaliser une fois pour toutes que ce n’est pas le Christ qui tarde à revenir. Il est déjà venu. Par contre ce sont bien nos vies qui sont en retard, puisque nous ne  permettons pas à Christ de venir en nous en le rejoignant en Galilée, là dans le monde  où il nous précède  sur le chemin de la vie vivante.

Comprenons bien, que tous, avec nos dons ,avec nos charismes qui sont nombreux et incontestables, avec nos caractères, avec nos matières d’être qui sont les nôtres, tous nous faisons partie de l’Evangile qui n’est jamais fini.  L’Evangile de la Résurrection, ce n’est pas un mot sur une page… C’est un chant de louange dans notre cœur. C’est un cri de joie sur nos lèvres, un message joyeux que nous avons pour mission de colporter partout :

«  Christ est ressuscité ! Il nous précède en Galilée !»

Ces mots, c’est à chacun de nous  de les dire à notre tour… A chacun de nous de les crier  là où nous sommes et tel que nous sommes.  Il ne nous est pas demandé de retourner en arrière.  Dire et répéter : « Hier c’était bien… », « Hier, nos pères dans le désert recevaient la manne… », « Hier… nos temples étaient pleins… »… Dire cela c’est oublier les mots même de Jésus :  « Ils sont morts  ces gens dont vous parlez ! ». Autrement dit, pour entendre la Parole encore faut-il écouter le présent.

Rien ne peut plus être comme avant car justement  «  Christ est ressuscité ! » Ce qui signifie que  la pierre a été roulée, que la peur a été ôtée, que  la mort a été vaincue, et surtout que notre  frère aîné  nous précède en Galilée c’est à dire dans le monde.

Là, où nous pouvons aller de nouveau à la rencontre de l’autre. Là où la vie est loin d’être finie.Là, où l’espérance n’appartient pas au passé mais où le monde ressuscite…

Et ce monde, il  ressuscite non pas parce que nous trouvons un vaccin contre la noirceur du temps…

Il ressuscite chaque fois qu’une petite part de l’obscurité du mal est vaincue. Chaque fois que le désespoir de l’angoisse trouve une petite lumière d’amour, que les larmes sont séchées et que la solitude trouve une compagnie, qu’un étranger devient frère, que vient la paix et que disparait la violence, qu’un faible est consolé, qu’un mourant est accompagné par l’affection et s’en remet aux mains de Dieu…

Et cette résurrection nous appelle aussi  à faire un monde tout neuf en nous transformant d’abord nous-même, en refusant nos esclavages et nos servitudes internes.

Ainsi ce ne sont plus la nostalgie, le cynisme, le désir désespéré de se sauver tout seul qui l’emportent. Nous sommes soulevés par une espérance indestructible et notre vie devient cheminement et pèlerinage vers le lieu où se joue la vérité, vers ce bord du lac de Génézareth où le ciel se reflète dans l’eau.

Il ne nous est pas demandé  de chercher le Vivant parmi les morts mais bien à témoigner  que le sauveur mort sur la croix et dès lors ressuscité détermine le caractère même de nos vies.  Ça c’est un don. Et ce don, quelle que soit les contingences du temps que nous vivons, ce don nous devons le louer  en disant tout simplement :

« Christ est ressuscité. Il n’est pas ici… Il nous précède et nous attends dans ce monde qui, quoiqu’il arrive, ce monde reste béni de Dieu »

Amen

 

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