Culte de Pâques 2021

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Chers frères et soeurs en Christ,

Il fait encore sombre nous rappelle l’Evangile. 

Effectivement c’est encore les ténèbres sur la ville de Jérusalem car la nuit du Golgotha règne sur le monde. 

C’est encore les ténèbres dans le regard des disciples, car les ombres de la peur règnent dans les cœurs. C’est encore les ténèbres, lorsque Marie de Magdala s’est élancée vers le tombeau…

Il fait encore sombre. Jean nous dit cela depuis le prologue de son Evangile : « la lumière a lui dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue. » Les ténèbres ne peuvent jamais comprendre la lumière, parce que, comme dit Jésus : « la lumière est venue dans le monde et les hommes ont préféré l’obscurité à la lumière ». 

Alors assurément, il fait sombre depuis longtemps… sombre à nous rendre triste.

Comme est triste, souvent, la vie dans notre monde, surtout quand on se trouve devant un tombeau. 

Celui de Jésus n’a rien de particulier ; c’est une tombe alignée parmi les autres tombes d’hommes et de femmes. Et si ce tombeau n’a rien de particulier, il y a toutefois, là, une tristesse supplémentaire : dans ce tombeau ce n’est pas seulement le corps d’un ami qui a fini là, mais aussi l’espérance d’un royaume nouveau qui a enflammé ce petit groupe d’hommes et de femmes, ce petit groupe de témoins que Jésus a emmené derrière lui depuis la Galilée. 

Si seulement le monde avait le courage de s’arrêter auprès des tombes, il sentirait dans sa poitrine comme un nœud d’angoisse, un sentiment de peur, devant la mort de la vie, devant la mort de l’espérance, devant la mort de l’avenir. 

Si seulement le monde avait le courage de réaliser qu’aujourd’hui des pays entiers sont devenus comme de grandes tombes, d’immenses cimetières de victimes souvent innocentes, à cause d’un virus certes mais, mais aussi à cause encore et toujours de l’oppression, de l’effroyable misère, de la violence, de la guerre, de la haine et toujours de la folie des hommes. 

Dans ce temps sombre, triste comme la nuit du Golgotha alors oui nombreux sont ceux qui fuient désespérés, vidés, comme l’ont fait aussi les disciples de Jésus…

Ce temps triste et sombre n’est pas l’heure des évidences, l’heure des preuves et des certitudes. C’est l’heure à tâtons, l’heure hésitante, l’heure entre deux. Jour et nuit, mort et vie mêlés. 

D’ailleurs Marie de Magdala dans notre évangile en est l’expression la plus évidente tant elle est témoin des hésitations d’une première communauté chrétienne, mais aussi de tout chrétien que nous sommes deux mille après.

Il faut le dire, elle prend le parti de la nuit et de la mort. Elle réclame que l’on remette Jésus au tombeau. Elle ne sait pas « où on l’a mis ». Ce Jésus est bien un Jésus mort, un Jésus objet, un Jésus chose que l’on peut poser ici ou là. Ce n’est plus Jésus, c’est son cadavre. C’est pourquoi, écrivant aux  chrétiens de Colosses  Paul les appelle à penser  « aux choses qui sont en haut, et non point à celles qui sont sur la terre.». C’est que la foi sera toujours tentée de préférer les pièces à conviction, fût-ce un cadavre dans un tombeau, au risque et à la folie du ressuscité. La foi cède souvent à la tentation d’aimer posséder des reliques et des rites bien construit. 

Pourtant, ce matin-là, le tombeau est vide…

Alors, telle notre foi, Marie de Magdala est dépossédée. Nous aurions du apprendre depuis fort longtemps que la foi ne possède pas la vérité. La foi est simplement possédée par la vérité. 

Comme nous aurions dû apprendre  aussi que le chemin proposé par l’Evangile de Christ est toujours une Pâque c’est à dire  un passage, une traversée… Sans cesse l’Evangile de Christ nous appelle à passer de la vue des signes, à la foi.  C’est à dire des miracles accomplis à la transformation de notre relation à  notre Père des cieux,  à une foi vivante qui renouvelle notre existence.

Quand aux  preuves, aux pièces à conviction, aux mesures, aux démonstrations, il n’y en a pas d’autres que le témoignage. Comme l’a dit Pierre, dans le récit des Actes que nous avons entendu : « Et nous, les disciples, nous sommes témoins ».

En matière de foi, la parole d’un homme pèse plus que la matérialité visible et mesurée. En matière de foi on accorde plus de confiance  au témoin qu’aux preuves. En matière de foi, il y a une très grande différence entre « voir » et « croire » : Le « voir » n’implique pas forcément le témoin. Il peut rester sans conséquence. « Voir », c’est encore rester neutre, à distance, comme un spectateur extérieur, un simple observateur. 

Par contre, « croire », c’est autre chose… Croire  c’est accepter de se laisser questionner et interpeller…  croire c’est interpréter un événement, un signe, pour accéder à son sens profond…  croire c’est participer à un élan, à la vie comme celle qu’ouvre le Christ.

« Croire », c’est accepter d’être impliqué, de prendre part, de placer sa confiance. 

Cela implique de se laisser déplacer. Et cela conduit à répondre, à bouger, à se laisser transformer.

Comme  Simon Pierre et Jean, le disciple bien aimé sont transformés dans notre récit. L’un et l’autre, tour-à-tour, constatent que le tombeau qui contenait le corps du Crucifié est vide. Ils voient les bandelettes et le suaire déposés là, disposés en bon ordre. Alors que ce signe reste muet pour Pierre, alors que son « voir » reste stérile, Jean, lui, témoigne d’un autre voir : le voir de la foi… un « voir » qui devient aussitôt « croire ». 

« et il voit, et il croit»! Extraordinaire. Et d’autant plus extraordinaire qu’en réalité, Jean n’a rien  vu … si ce n’est un tombeau vide et des bandelettes abandonnées… Jean n’a rien  vu mais justement cela  signifie, pour lui, que le crucifié n’est pas resté prisonnier de la mort,  et que donc il est vivant…

« il voit et il croit. »
Il voit les marques de la mort et il croit en la vie. Il voit les linges mortuaires et il entrevoit les vêtements de gloire. 

Il voit l’absence d’un homme  et il discerne la présence de Dieu.
Il perçoit le poids de la souffrance humaine mais déjà il discerne la masse éternelle de gloire.

Il croit, sans avoir vu le Ressuscité. Il croit à la seule vue du tombeau vide… à la vue de la radicale absence du Christ : à une absence qu’il reçoit comme un message de vie, comme le signe d’une présence. C’est vraiment extraordinaire. 

Ce que nous annonce l’Evangile aujourd’hui c’est que le tout premier signe de la résurrection  est un vide. 

La toute première annonce de la résurrection c’est le silence de ce tombeau vide. 

La première lumière de la résurrection c’est la pâle lueur presque imperceptible dans la pénombre de l’aube là, au fond du tombeau, dans le noir, du linceul blanc.
Pâle lueur d’un linceul qui va devenir une illumination.

 « et il voit, et il croit» 

Incontestablement devant l’inexplicable, le vertige devient  éblouissement de la foi.
La première lueur de la résurrection, – cet événement qui transforme toute la création, toutes nos existences – apparait de cette façon-là,  à travers ce signe en creux, ce vide du tombeau, ce silence…
Et ce signe le plus humble que nous puissions imaginer est  aussi le signe le plus fort qui puisse être. Le vide et le silence nous préviennent d’emblée qu’aucun mot,  aucune image ne peuvent décrire adéquatement le mystère de la résurrection. L’humanité de Jésus est entrée dans une vie inimaginable, une vie réelle, immensément réelle, mais hors de portée de notre compréhension. Et c’est pourquoi le premier langage qui pouvait dire cette présence nouvelle, transcendante, excessive, le premier langage qui pouvait dire cela c’était justement ce vide du tombeau, ce silence.

Nous l’avons oublié et pourtant c’était déjà vrai de l’Incarnation du Verbe dans le silence de la grotte de Bethléem, mais c’est encore plus vrai aujourd’hui de la résurrection dans le silence de la grotte du tombeau. 

La résurrection est donc bien de l’ordre d’une vision qui est aussi un comprendre dans la foi. 

Voir et croire liés dans l’Evangile. 

Et à partir de témoignages, visions de la foi,  nous nous retrouvons, sans aucune preuve, avec un récit sur lequel personne ne peut sérieusement fonder ni apologie imparable, ni exactitude scientifique, ni savoir. Certes ces témoignages  ne sont pas « théoriques » puisqu’ils sont bien incarnés, personnels, vécus, et portés par des personnes particulières et bien identifiées. Mais peu importe, car notre préoccupation  n’est pas d’aller persuader  quiconque de la véracité de la résurrection de Jésus. 

C’est Jésus-Christ qui s’imposera à ceux qu’il choisira de rencontrer, dans les cimetières ou les décombres de nos spiritualités, aux aubes encore sombres de nos existences en doute… 

C’est Jésus-Christ  qui se laissera « voir » par nos yeux inondés de larmes, comme ceux de Marie, en se révélant à ceux dont le cœur est lent à croire, comme celui de Pierre, en se tenant présent là où les portes de nos intelligences sont fermées à clef et où la peur ou le scepticisme croient pouvoir l’emporter.

La résurrection est inattendue. 

De même qu’elle a eu lieu pour ces témoins de jadis qui n’avaient plus aucun espoir,  de même qu’elle a bouleversé des hommes et des femmes qui avaient tout perdu avec la mort infâme de leur maître, de même elle peut bien aussi bouleverser nos cœurs endurcis. Et les faire battre aussi fort que si l’on avait couru nous-mêmes comme Pierre et Jean, là dans notre Evangile. Comme si nous avions couru pour voir et pour croire.

La résurrection est  vraiment inattendue.Elle est la signature de Dieu sur nos vies qui ne seront plus jamais déterminées par un funeste destin mais appelées inlassablement et à tout moment à une joyeuse destinée.

Souvenons nous que Pâques fêtait  la libération ancienne et actualisée en liturgies et traditions, la libération d’un peuple de l’esclavage en Egypte. 

Aujourd’hui, Pâques est libération de tout esclavage de nos vies. 

Pâques est le jour où l’Eternel, avec Marie de Magdala, Pierre, Jean et tous les témoins, a lui-même et soudain une « vision » pour l’humanité. Pâques est le jour où l’Eternel  notre Père nous annonce qu’il « croit » en l’humanité, et pour toujours.

C’est bien ça la joyeuse destinée.

Alors, il nous est demandé de témoigner à notre tour et pour cela  il ne nous reste plus, nous aussi, qu’à rouler la pierre de nos tombeaux. Et à laisser la vie pascale irriguer notre être. 

Et à faire le choix de la vie contre la mort, 

à faire le choix dede la foi contre l’absurde, 

à faire le choix de de l’amour contre la haine. C’est dire à vivre en fils et filles de la résurrection.

Certes, un jour, notre vie terrestre s’éteindra, épuisée, vaincue. Mais Pâques ce jour où Christ  a traversé le tombeau de la mort; Pâques est là pour nous rappeler que  d’ores et déjà, notre cœur  est ressuscité par la grâce. 

Notre âme a déjà  échappé à la mort parce qu’elle vit déjà de la vie de Dieu. 

«Quiconque voit le Fils et croit en lui a la vie éternelle» nous a dit l’évangile. 

Cette promesse n’est pas pour demain, c’est pour aujourd’hui, et c’est pour maintenant, et c’est même déjà à cet instant.
Oui, incontestablement en Christ  qui est notre Pâque,  nous sommes des vivants. 

Et pour avoir vu et avoir cru bientôt, nous verrons Dieu. 

Joyeuse fête du Ressuscité à tous.

 

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