Prédication du 29 mars

Romains 8.8-11 : (..) Ceux qui vivent selon la chair ne sauraient plaire à Dieu.
Pour vous, vous ne vivez pas selon la chair, mais selon l’esprit, si du moins l’Esprit de Dieu habite en vous. Si quelqu’un n’a pas l’Esprit de Christ, il ne lui appartient pas. Et si Christ est en vous, le corps, il est vrai, est mort à cause du péché, mais l’esprit est vie à cause de la justice. Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Christ d’entre les morts rendra aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous.

Chers frères et soeurs en Christ,
Aujourd’hui, dans ce moment si particulier que nous sommes en train de vivre, Paul souhaite que nous prenions conscience de ce que nous sommes. En ce moment si particulier où, pour le plus grand nombre d’entre nous, nos journées sont devenues une encyclopédie colossale du néant où les seuls événements notoires consistent à téléphoner à nos proches, à changer notre fauteuil de place, à relire un livre oublié et à composer le menu du repas qui vient…
En ce moment si particulier, où nous restons chez nous, Paul nous invite à nous demander qui est le maître de notre maison c’est-à-dire quel est le sens de notre existence, quel est l’objectif de notre vie : « Dans la mesure rajoute Paul où l’Esprit de Dieu habite en vous »
Pour Paul l’alternative est simple. Soit l’Esprit de Dieu habite en nous c’est-à-dire qu’il est le maître de notre maison, soit ce n’est pas le cas et donc nous sommes, pour reprendre l’expression même de Paul « sous l’emprise de la chair ». Ce qui dans ce cas ne peut pas plaire à Dieu…
Pour autant convenons que cette alternative de Paul ne nous satisfait aucunement puisque nous sommes, en permanence, en difficulté de percevoir et de comprendre ce que cela veut bien dire. Nous sommes en difficulté de comprendre en quoi et pourquoi nous sommes susceptible d’avoir ou non « l’Esprit de Dieu » comme maître de maison ou être ou non sous « l’emprise de la chair ».
Déjà le prophète Ézechiel annonçait « Je mettrai mon esprit en vous et vous vivrez ». Pour Paul, héritier de toute la tradition des prophètes, c’est chose faite depuis notre renaissance en Christ, c’est-à-dire depuis notre baptême ou tout du moins depuis que nous confessons Christ comme maître de la vie.
Dire et affirmer que « l’Esprit de Dieu habite en nous » c’est dire et attester que nous appartenons au Christ, c’est à dire que nous sommes et vivons dans sa question humainement incarnée et, pour cette raison, dans sa réponse. Nous sommes et vivons dans sa mort et, pour cette raison, dans sa vie.
Comprenons, une bonne fois pour toute, que l’Esprit de Dieu, son souffle, c’est un don existentiel du sens, une affirmation existentielle du sens.
C’est bien en cela que le sens, qui dans la langue grecque porte le beau nom de logos, le sens est entré en chacun de nous. Et, chacun de nous, est devenu sens. L’Esprit, par conséquent, n’a rien de quelque chose qui serait extérieur de nous. Et, pour nous faire comprendre cela, Paul nous explique même que l’Esprit, cet Esprit qui habite en nous et qui tient notre maison, produit des biens ; « joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi ». En un mot l’Esprit c’est tout simplement l’amour décliné selon toutes les circonstances concrètes de nos vies. Et, les « circonstances concrètes de nos vies » sont essentiellement et avant tout relations. D’abord relation à Dieu, bien sûr, qui se vérifie ensuite dans la qualité de notre relation à nous proches et aux autres. Souvenons nous combien le prophète Esaïe affirme que vivre selon l’Esprit de Dieu, c’est aimer et servir nos frères et sœur en humanité en étant au plus près d’eux, en étant en relation avec eux.
C’est difficile de dire cela en ce moment, en ce temps de pandémie, où, en ce qui concerne la relation, chacun de nous vit une contradiction émotionnelle. Au moment précis où nombre d’entre nous désirons instamment l’appui de nos proches et même des autres, au moment où nous désirons le réconfort de notre entourage, nous devons nous isoler. Ce repli généralisé est, ou tout du moins s’apparente à, littéralement, une chimiothérapie sociale tant ce repli endommage le tissu de notre vie personnelle, familialle, communautaire et collective. Mais pour autant ce repli en devient incontournable pour tenter de sauver ce même tissu social et donc au final la relation.
Réalisons bien, que si nous n’arrivons pas ou plus à sauver le tissu social nous perdrons la relation. Alors pour le coup nous ne pourrons plus vivre plus selon l’Esprit, nous ne pourrons plus vivre selon l’amour. Nous ne pourrons plus que subsister sous ce que Paul appelle, si justement, « l’emprise de la chair ».
« Sous l’emprise de la chair » c’est-à-dire dans le chacun pour soi, dans l’indifférence la plus complète des autres, dans le narcissisme et la démesure ou même dans le rejet voire dans la haine des hommes comme le sont le clientélisme, le nationalisme et le racisme.
La chair, c’est la décision temporelle et égoïste prise contre l’homme et prise en l’homme contre Dieu. La chair, c’est l’absence de sens. C’est l’hostilité contre Dieu.
En un mot, être sous « l’emprise de la chair » c’est bien être dans les logiques mortifères quelles qu’elles soient. C’est être, comme le développe si bien Paul, prisonnier de la puissance asservissante de négativité et de mort du « péché » c’est à dire dépendant et soumis à tout ce qui nous empêche de vivre pleinement notre humanité. Entendons bien que nous sommes, là, très loin de toutes les considérations morales et moralisantes qui nous laissent penser que « la chair prisonnière du péché » ne concernerait seulement et prioritairement que des questions de comportement sexuels. Laissons de coté ce type de considérations absurdes pour comprendre que sous l’emprise de la chair, c’est-à-dire centré sur soi, sur son ego, il ne nous est plus possible d’être en harmonie ni avec les autres, ni même avec Dieu.
Voilà pourquoi Paul rajoute que « sous l’emprise de la chair, on ne peut pas plaire à Dieu ». Souvenons nous d’ailleurs combien Paul reprenait ses frères Galates, pour leur expliquer que l’emprise de la chair se retrouvait dans les prescriptions religieuses d’une loi d’un dieu de la tribu, d’un dieu avec une figure de monarque suprême, d’un dieu devant lequel nous avons à nous anéantir, d’un dieu qui veut être notre juge… bref d’un dieu dont tous les attributs, finalement, ne sont que nos seules projections.
Pour autant, quelles que soient les circonstances du moment Paul souhaite que nous entendions bien que « Dieu, qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous ».
Autrement dit l’Évangile n’est pas et n’est jamais un appel à la discorde entre la chair et l’esprit. « L’Esprit de Dieu habite en nous », afin que notre corps soit le berceau du rayonnement divin, afin que nous devenions la manifestation de l’éternelle Présence. Effectivement le ciel est en nous. Effectivement « l’Esprit de Dieu habite en nous ». C’est la lumière d’une Présence qui se fait jour peu à peu, qui envahit tout le champ de notre conscience, qui sacralise notre existence, qui nous introduit  au coeur de notre intimité. Pour autant, « sous l’emprise de la chair » ce ciel qui est en nous est fragile. Entendons là, la donnée la plus émouvante, la plus bouleversante, la plus neuve, la plus essentielle de l’Evangile. En habitant en nous et parmi nous, Dieu fragile nous est remis. Dieu fragile est confié à notre conscience. Dieu est tellement fragile et désarmé que c’est à nous, que c’est à chacun de nous, qu’il revient de le protéger. Et d’abord de le protéger contre nous-même. C’est là, la lumière de la Croix. La lumière de la Croix, c’est Dieu qui meurt d’amour pour ceux qui refusent obstinément de l’aimer. La lumière de la Croix, nous montre non pas un dieu qui juge… mais Dieu lui-même qui est jugé, condamné, exécuté.
Il est frappant de constater combien il a un lien entre notre vie intérieure et l’épidémie qui frappe actuellement toute la planète. L’humanité d’aujourd’hui est en proie à une déficience de son système immunitaire. Aujourd’hui, force est de constater que l’humanité n’a paradoxalement plus d’immunité pour des raisons sociales où trop d’échanges ont contribué à la propagation du virus. A un tel point que la seule prévention que la plupart des gouvernements ont trouvé et essayent de mettre en place pour combattre cette propagation est de confiner, de mettre en quarantaine, de distendre les relations sociales de plus du tiers de la population mondiale. C’est considérable. Tout, tout en quelques jours a été mis à l’arrêt. Un tiers de l’humanité confinée.
L’étymologie du mot « confinement » renvoie au « confins » c’est à dire à l’extrémité. Réalisons que si nous voulons pouvoir mettre fin à l’intériorité devenue folle « sous l’emprise de la chair », il importe que nous rentrions en nous-mêmes afin d’aller aux confins de nous-mêmes retrouver « l’Esprit de Dieu habite en nous » à savoir notre vie intime et avec elle le sens de notre liberté. Le confinement qui nous est imposé est comme un signe, comme un appel qui nous est lancé pour que nous retrouvions notre vie intérieure. Si nous voulons pouvoir vraiment agir contre l’épidémie, il y a urgence que nous comprenions qu’à travers ce que nous sommes en train de vivre se pose la question de la mutation planétaire vers une écologie spirituelle, vers la vie intérieure, là où l’Esprit de Dieu habite. Le moment est propice à répondre. Réalisons que sur un tiers de la planète, toutes nos villes, tous nos villages, toutes nos rues se sont vidées. Et là, dans l’installation d’un silence impressionnant notre quotidienneté s’est arrêté donnant au monde l’allure d’un gigantesque shabbat. Nous avancions dans le bruit et l’agitation… et dans une situation bouleversante et préoccupante, à travers le silence et le calme une question nous est posée. Non pas celle de savoir si nous allons être ou non infecté mais si nous allons être guéri de nous-même, être guéri de nos limites, de notre narcissisme, de notre démesure.  La question n’est pas celle de savoir si nous allons être ou non infecté mais si nous allons enfin nous relever pour arriver à cette grandeur unique qui est la grandeur de la générosité et de l’amour où l’existence toute entière prend forme et figure de don. La question n’est pas celle de savoir si nous allons être ou non infecté mais si, en ce ce temps de Carême, nous pouvons répondre à l’urgence d’un Dieu menacé qui va payer toute notre défaillance par cette mort, dont la Crucifixion est, dans le temps, la parabole sanglante. Il y va d’abord de la vie de « l’Esprit de Dieu qui habite en nous », et non pas de la nôtre. Il y va de cette espérance infinie et éternelle que nous livre Paul : «  si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. »

A chacun de nous de répondre.
Amen

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