Le culte : c’est pour quand ?

Dessin de Jonathan Fabry

Un certains nombres de paroissiens ce posent la question : « Quand reprendrons nous nos cultes et autres activités paroissiales ? »

Sans pouvoir répondre à la question, convenons du moins que notre communauté paroissiale ne va pas pouvoir faire l’économie de ce qui restera de la crise du Covid-19 au lendemain de la pandémie.

A savoir  cette distance qui est devenue « distanciation ».  C’est à dire cette distance  qui prend le suffixe qui marque l’action. Désormais la « distanciation » est  l’action de prendre ses distances, de les garder, d’en prendre soin de ces distances, puisqu’elles seules semblent prendre soin de nous…

Nous allons donc apprendre (à prendre ?) de l’espace  à l’heure  de ce qu’il est convenu d’appeler le « déconfinement ». L’ensemble de nos distances sociales et des espaces afférents (de toutes nos activités) vont devoir être revus, repensés, imaginés de nouveau à cause de la « contagion ». Dont curieusement l’étymologie  veut dire « toucher avec ».  Ainsi, paradoxalement,   la distanciation  comme l’isolement volontaire  ne vont rien avoir  d’anecdotique.   Autant  dire qu’il va  être très difficile  de reconstruire nos assemblées d’avant…  Le Covid-19  nous met à l’épreuve dans la nature même de nos relations communautaires.

La consigne de distanciation  nous enjoint de nous écarter les uns des autres. Des trottoirs aux magasins en passant par les lieux d’assemblée tout est  désormais le théâtre de manoeuvres d’évitement qui  amènent à nous interroger.

N’oublions pas que c’est par le toucher que nous incluons l’autre (c’est le propre du miracle), et par l’absence de contact, la prise de distance, que nous l’excluons et lui témoignons notre indifférence.  Notre rapport à l’autre repose donc sur un système complexe de contacts et de non-contacts lourds de sens.

Tous nos gestes de salutation et nos rituels d’accès à l’autre, si important pour nous,  ont vu le jour dans des cultures qui ne tenaient pas compte des bactéries et des virus… Il ne va pas être  facile désormais de considérer  les membres de notre famille, ceux de notre communauté, nos amis comme des menaces potentielles, et nous-mêmes comme des menaces potentielles pour eux…

Ecole biblique en “distanciation” : L’amour du prochain

Et cela va être d’autant moins facile que c’est par le toucher que nous tissons du lien. La poignée de main, la bise et l’étreinte sont autant de gestes qui, ponctuent nos rencontres et marquent la nature, le sens et  l’intensité de nos liens fraternels.  En perdant la bise, l’étreinte ou la poignée de main, nous allons perdre des marqueurs communautaire de notre intimité et de notre attachement, au moment même où, justement, nous en avons, pour bon nombre n’entre nous, le plus besoin.

Admettons désormais que chaque fois qu’un frère ou une sœur nous tendra la main ou voudra nous prendre dans ses bras : si nous refusons, nous aurons l’air bête ; et, si, a contrario, si nous acceptons, cela sera le signe que nous faisons fi des consignes sanitaires et du risque de contamination.

Autrement dit, la poignée de main non protégée ou la bise « impossible »  rejoignent désormais les rapports sexuels non protégés de l’époque du sida VIH au rayon des actes irresponsables… et certainement qu’ils deviendront aux yeux de certains carrément immoraux…

Ce qui est nouveau et qui risque, malheureusement, d’être durable dans cette catastrophe sanitaire mondiale, c’est que l’articulation nécessaire pour chacun de nous entre des espaces d’isolement (chez soi) et des espaces de socialisation (la communauté ou les amis et proches), cette articulation là,  risque de devenir temporairement (et peut être même durablement) caduque. Nous allons nous retrouver entre des injonctions contradictoires ou des doubles contraintes qui, immanquablement, produisent des effets de dissociation (schizophrénie) mentale. D’ailleurs, déjà, en pratique, notre inconscient nous rappelle que c’est lui qui est aux commandes, et qu’il est particulièrement chamboulé. Nous avons du mal à nous concentrer tant nous ne savons plus si nous surestimons le risque d’être touchés par le mal ou si nous le sous estimons. Séparés des autres, nous sommes littéralement déboussolés. Alors imaginons que demain, même ensemble, nous allons désormais être contraints de vivre dans des espaces isolés, ou à tout le moins isolants. Et même isolés, nous serons contraints, si nous voulons faire communauté, d’être ensemble  tout en étant physiquement  distanciée.

Et c’est à cela dont il faut réfléchir. D’autant plus que la plupart d’entre nous ne se rendent pas compte que les concepts centraux et les pratiques associées à ce que nous appelons « Église»ne sont pas ancrés dans le Nouveau Testament, mais dans les modèles établis au cours des siècles.

Souvenons nous que dans notre tradition, au seizième siècle,  les réformés (et luthériens) ont affirmé que l’Église est  l’événement de l’évangile annoncé et entendu. Ils se distinguaient ainsi des catholiques qui définissent, encore aujourd’hui, l’Église par la succession apostolique et le collège épiscopal. Les réformés se distinguaient également de tous ces autres (par exemple certaines communautés protestantes) qui définissent, encore aujourd’hui, l’Église comme le peuple des baptisés ou la communauté des croyants.

Ainsi dans la logique de la Réforme, pratiquement et concrètement, la prédication se faisant entendre au cours des cultes, ceux-ci  deviennent l’acte qui fait surgir et exister l’Église. Dans une perspective réformée, il est donc possible de dire et d’affirmer, ce que nous avons oublié, à savoir que  ce n’est pas l’Église qui fait le culte, mais que c’est le culte qui fait l’Église.

Mais précisons bien que le culte n’est pas seulement et exclusivement la cérémonie publique qui a lieu  dans un bâtiment spécial (temple), selon un rituel plus ou moins fixe. Il y a culte chaque fois que l’on annonce et que l’on écoute la parole de Dieu  en queque lieu et à quelque moment que ce soit. Cela ne l’oublions jamais. Le culte ne se définit pas par son cadre, mais par l’annonce de l’évangile. Ainsi, il peut avoir lieu partout, n’importe quand et sous quelque forme que ce soit.  Voilà pourquoi, en fonction des périodes et des événement,  le protestantisme a

                          Etude biblique au bord du Salagou

beaucoup pratiqué dans le passé (moins aujourd’hui) mais c’est peut-être à cela que nous allons être confronté) des cultes de famille, de quartier, de groupes, et aussi des cultes personnels et des cultes informels.

Quoiqu’il en soit, il n’a pas, pour notre tradition réformée,  de lieux privilégiés de culte ou de prière. C’est pourquoi, à la différence des Églises catholiques, les temples sont fermés en dehors des heures de culte et rien ne s’oppose à ce qu’ils servent à des usages profanes (conférences, fêtes, repas…).

Comprenons bien que si  c’est l’événement, et non  le lieu où il se produit, qui est premier et important c’est parce que le culte est  un acte de Dieu, une parole que Dieu adresse à l’être humain.  Pour reprendre le mot de Karl Barth à ce sujet : « Le culte … est en premier lieu … un acte divin, en second lieu, seulement, de manière dérivée et incidente un acte humain ». Nous sommes les bénéficiaires et les destinataires du culte. En le célébrant, nous n’apportons pas, ni ne donnons quelque chose à Dieu. Au contraire, nous recevons de lui la parole qui répond à nos besoins, qui nous aide à vivre et à avancer, qui nous annonce le salut et nous mobilise à son service et à celui de nos prochains.

C’est bien pour cela que les Réformateurs ont, dans cette ligne, très nettement distingué le « sacrement » (ce que Dieu offre à l’être humain) du « sacrifice » (ce que l’être humain offre à Dieu). Sur ce point nos anciens reprochaient au catholicisme de concevoir le culte comme un sacrifice (une offrande du fidèle à Dieu), et non comme un sacrement (une offrande de Dieu au fidèle).  De même, dire que le culte est essentiellement un acte de Dieu ne doit pas conduire à lui donner une valeur particulière, magique ou surnaturelle. Cette affirmation  signifie que Dieu se sert du culte comme d’un moyen pour faire entendre sa parole. En cela, il nous prépare  à la vie chrétienne. 

Voilà pourquoi, significativement, pendant longtemps,  on ne disait pas « aller au culte », mais « aller au sermon ». D’ailleurs, sur ce point, au dix-neuvième siècle, en particulier dans le midi, de nombreux protestants avaient l’habitude d’arriver au culte pour le sermon, et d’en repartir dès qu’il était achevé; ils tenaient tout le reste (prières, chant, Cène) pour des accessoires dont il était possible de se dispenser.

C’est de cela que découle l’insistance des Réformateurs  sur la liberté qui est la notre dans la forme du culte. S’ils demandent de l’ordre dans sa célébration, cet ordre n’a nullement besoin d’être fixé une fois pour toutes ni d’être le même toujours et partout. Il ne faut pas s’asservir aux formes, ni leur accorder une importance excessive. Elles peuvent et doivent varier selon les lieux, les temps, les circonstances, les groupes.  C’est parce qu’il est important de tenir compte des circonstances, des habitudes et des sensibilités locales que Luther, en 1526,   écrit :

 « Avant toutes choses, je voudrais demander … que tous ceux qui tombent sur l’ordre de service que nous publions ici ou qui veulent le suivre n’en fassent pas une loi impérative … qu’ils l’utilisent dans l’esprit de la liberté chrétienne selon le plaisir qu’ils y trouvent et de la manière que les circonstances, les lieux et les temps rendent possible et nécessaire ».

Comprenons bien, en ces temps  de « distanciation » tout cela. Le culte ne s’identifie purement et simplement  pas avec  un office religieux public.  Il y a culte et donc prédication chaque fois que l’on annonce et que l’on explique l’évangile, que ce soit au cours d’une conversation, d’un entretien pastoral, d’une conférence, d’une étude biblique, d’une leçon de catéchisme, voire de théologie…

C’est cela que nous devons  continuer à organiser.

Depuis quelques jours nos frères catholiques discutent âprement sur une date possible de reprise des offices. Nous pouvons les comprendre. Mais ce n’est pas notre problème. Ce qui l’est en revanche c’est de voir comment nous allons pouvoir nous organiser pour nous retrouver (en petits groupes) où nous partagerons la Parole, nous pourrons prier ensemble, nous partagerons le pain ensemble et nous chanterons la louange  notre Père des cieux… Nous trouverons aussi des formes plus collectives où nous pourrons nous appuyer sur les technologies « sans contact ». C’est bien  tout cela qui nous permettra  de viscéralement ressentir la nécessité du contact et l’importance de distances qui n’existent que parce qu’elles peuvent être franchies.

Dans tous les cas, nous ne ferons pas prendre de risque à personne. Mais nous pourrons agir pour entrelacer sans fin les générations par les liens de l’amour fraternel, de la foi et de l’espérance en laissant vivre en chacun de nous la plénitude  du Christ.

Il est étonnant de réaliser qu’au moment où l’humanité rêvait d’un nouvel homme « transhumain » nous voilà à la porte d’un moment où c’est l’homme intérieur, l’homme inspiré par Dieu de toute éternité qui est en passe de se faire…

Cela ne dépends plus que de chacun de nous…

Pasteur Jean-Paul Nunez

 

 

 

 

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