Prédication 3 mai 20

1 Pierre 2.20-25 : Mais si vous endurez la souffrance alors que vous faites ce qui est bien, c’est une grâce aux yeux de Dieu.  De fait, c’est à cela que vous avez été appelés, parce que Christ aussi a souffert pour nous, vous laissant un exemple afin que vous suiviez ses traces,  lui qui n’a pas commis de péché et dans la bouche duquel on n’a pas trouvé de tromperie,  lui qui insulté ne rendait pas l’insulte, maltraité ne faisait pas de menaces mais s’en remettait à celui qui juge justement,  lui qui a lui-même porté nos péchés dans son corps à la croix afin que, libérés du péché, nous vivions pour la justice. C’est par ses blessures que vous avez été guéris.  Vous étiez en effet comme des brebis égarées, mais maintenant vous êtes retournés vers le berger et le protecteur de votre âme.

Chers frères et sœurs en Christ,

Extraordinaire mots de Pierre que nous venons d’entendre : « (,..) si nous endurons la souffrance alors que nous faisons ce qui est bien, c’est une grâce aux yeux de Dieu. C’est à cela que nous avons été appelés, parce que Christ aussi a souffert pour nous, et s’est donné en exemple pour que nous suivions ses traces.. »

Comprenons, qu’aujourd’hui,  notre Evangile rends le Christ non seulement exemplaire, mais nous le montre aussi  comme un exemple, comme un modèle à suivre.  D’ailleurs le mot grec que nous traduisons comme « exemple » signifie littéralement une écriture qui nous permet, en repassant dessus, d’écrire notre propre version. C’est d’ailleurs exactement ce que Pierre fait  puisque très précisément, à travers ses mots, en parlant de « l’exemple » du Christ, il suit les traces de ce qu’avait écrit, il  y fort longtemps, le prophète Esaïe dans le poème du Serviteur souffrant :

« Voici, mon serviteur agira avec sagesse,  il sera exalté, glorifié, et placé au plus-que-haut.   

(..) C’est un homme couvert de plaies,  apprenant  ce qu’est  la souffrance ; son visage est  devenu repoussant, sans dignité, et compté pour rien.

Ce sont nos transgressions qu’il porte tant il s’est chargé de nos souffrances; et nous, nous l’avons  battu, le plongeant dans la peine, dans le tourment et dans le supplice.  Il a été transpercé par nos transgressions comme il a été brisé par nos iniquités. »

Ce poème  est incontournable  pour les premiers chrétiens.

Poème qui a fonctionné comme sous-écriture  leur permettant, à leur tour,  d’élaborer et d’écrire  leur foi  et ainsi de retrouver dans le Christ l’exemple, déjà annoncé par les prophètes…

Pour autant, l’affirmation de Pierre est plus qu’interpellante pour nous :

« (,..) si nous endurons la souffrance alors que nous faisons ce qui est bien, c’est une grâce aux yeux de Dieu. C’est à cela que nous avons été appelés… »

En disant cela Pierre nous fait entrer dans un questionnement très profond puisqu’il nous laisse entendre qu’il est difficile d’être pleinement chrétien  si lorsque tout va bien nous ne souffrons pas…

Convenons qu’il est totalement absurde d’entendre cela.

C’est d’autant plus absurde qu’il y a bien un malentendu de notre part car ce qui est une grâce, ce n’est pas de souffrir. Dire cela est d’autant plus insultant aujourd’hui alors que la souffrance dû à la pandémie touche durement notre monde. Oser penser que Dieu, pour une quelconque raison obscure et insensé, est en capacité de faire souffrir des innocents c’est non seulement absurde mais c’est surtout accentuer encore plus le caractère scandaleux et insupportable du mal. Il y a une triste anomalie de voir et d’entendre, encore, beaucoup de croyants confesser un Dieu tout-puissant de bonté  et en même temps dire que Dieu accepte, voire exige que des justes deviennent des martyrs et que des innocents soient conduits à subir les maux les plus cruels. 

Il ne faut pas alors s’étonner de cette conséquence inouï par laquelle la chrétienté, quelle que soit sa confession ou rite, a pu brûler, a su massacrer des soi-disants hérétiques ou apostats non seulement pour les punir mais pour sauver leurs âmes. D’ailleurs il est significatif qu’un tel acte portait le nom tout aussi absurde d’ « autodafé » ce qui signifie « acte de foi ».

Il  y a longtemps que nous aurions dû comprendre que  notre prétention à connaître Dieu nous fait souvent rater ce qui il est.  Ce qui est la définition littérale du péché dont le sens en hébreu  signifie très précisément « rater la cible ».  Avant toute connotation morale ou moralisante le péché n’est rien de moins que d’avoir la prétention de savoir qui est Dieu et plus spécifiquement la prétention de le connaître à travers le prisme de ce qui est pour nous le bien et le mal.  Ce « dieu » formé par notre « connaissance du bien et du mal », ce dieu à l’image de nos valeurs morales n’existe pas ; et dès lors, c’est pourquoi il n’y a pas lieu de s’étonner qu’il soit silencieux et absent dans des moments particulièrement difficiles et des épreuves de souffrance.

Comprenons bien. Ce qui est une grâce, ce n’est pas de souffrir.  Par contre, et c’est bien ce que nous dit Pierre, ce qui est une grâce, c’est d’être capables de se conduire comme le Christ, et même d’être à l’exemple de Christ, lorsque nous sommes confronté à la souffrance. Nous ne  redirons jamais assez qu’il n’y a pas une quelconque vocation du chrétien à la souffrance.  Par contre,  devant celle-ci, face à  l’épreuve,  souvenons nous que nous avons reçu un appel à tenir bon à l’exemple du Christ.

Suivre les traces du Christ, suivre son modèle, ce n’est pas souffrir pour souffrir, c’est tenir bon dans la souffrance et dans l’épreuve comme lui. : « C’est à cela que nous avons été appelés, parce que Christ aussi a souffert pour nous, et s’est donné en exemple pour que nous suivions ses traces.. »

Ces mots de l’apôtre Pierre ne sont pas là pour rendre la souffrance juste : elle ne l’est pas et ne le sera jamais. Mais il s’agit bien  de l’affronter voire de la supporter, à l’image du Christ, lui qui, bien que « sans tromperie et sans péché »  en  a  pas moins subi le sort que nous connaissons.

Même si cela nous insupporte, la souffrance fait partie de chacune de nos vies. Et lorsqu’on aime la vie, nous ne pouvons pas faire autrement que   d’accepter  la part de souffrance qu’elle contient.  La philosophe Simone Weil a eu ce mot  : « Ne pas accepter un événement du monde, c’est désirer que le monde ne soit pas ». Ce qui veut dire tout simplement que ne pas accepter la souffrance, c’est ne pas accepter la vie comme un tout. C’est bien l’amour pour la vie qui nous permet de faire face à la part de  souffrance qu’elle contient et que nous subissons.   Aujourd’hui, dans nos assemblées, nous insistons beaucoup et de manière  constante, sur le fait que Dieu est amour. C’est vrai et c’est un fait.  Mais, à trop insister sur ce fait que Dieu est amour c’est au final se mettre dans un impasse… Car, immanquablement  surgit alors la question « Si Dieu nous aime, pourquoi  nous fait-il souffrir ? ». Ce qui est une vraie et incontournable question.

Voila pourquoi, comme nous le suggère Pierre, il vaut infiniment mieux concevoir la foi, à l’exemple de Jésus à l’œuvre sur les chemins de Galilée et de Judée c’est à dire avec  un amour sans condition de la réalité du monde et de la vie. Tout ce qu’il a pu faire et dire c’est que la foi, la foi qui sauve,  le salut qui nous permet de vivre, de vivre autrement,  de vivre pour la justice, c’est-à-dire dans la fidélité au projet de Dieu, et bien cette foi, ce salut  c’est d’abord et avant tout une  confiance a priori vis-à-vis du réel et de la vie. Et la souffrance, comme l’épreuve qui sont, répétons-le, toujours insupportable n’en sont pas moins intégrée comme faisant part de cette vie et de cette réalité que nous aimons et à laquelle nous faisons confiance.  Contrairement à ce que pense beaucoup de non croyants, Dieu, pour nous disciple de Christ, Dieu  n’est pas la chimère d’une irréalité et encore moins le fantasme d’une espérance. Dieu est le symbole et le moteur de notre capacité infinie d’aimer la réalité et en particulier la réalité de la vie comme un tout.

Comme le dit Pierre : « c’est une grâce aux yeux de Dieu… d’avoir  cet exemple pour que nous suivions ses traces… à lui qui a  porté nos péchés afin que nous vivions pour la justice. Car c’est par ses blessures que nous avons été guéris ».

Souvenons nous  l’appel aux disciples en la nuit de l’agonie. Souvenons nous le Christ au jardin.  Souvenons nous en bien car c’est tellement nous, c’est tellement chacun de nous. D’autant que pour lui, la mort trempait dans le refus. Christ était, là,  tout vivant devant la perspective d’une  mort tout aussi atroce pour lui. Souvenons nous en bien et réalisons surtout que ce dépouillement de Jésus, c’est le développement de toute  notre pensée chrétienne. A savoir que notre foi n’est pas un système. Notre foi est une présence.  Notre foi c’est Quelqu’un, c’est un modèle un exemple. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas être témoins ou disciples simplement  en récitant  des mots. Le but et l’objectif de notre vie chrétienne n’est pas de nous  distinguer à travers des formules, ni à travers des dogmes. Le but de notre vie chrétienne  ce n’est pas de nous  distinguer  de ceux qui ne croient pas ou des impies, mais bien d’être dans la réalité de la vie,  et de surcroit d’y être solidaire avec tout le monde. C’est l’effet complet, final et voulu de Christ incarné en Jésus parmi et comme nous.  C’est l’effet complet, final et voulu de Christ incarné en Jésus  symbolisé par sa finalité sur la croix, qui est le grand acte de solidarité de Dieu qui est bien loin  d’un quelconque jugement.

« C’est par ses blessures que nous avons été guéris »

Pierre a raison de nous rappeler cela, mais n’oublions pas que ce n’est pas Dieu, mais bien les hommes qui les lui ont infligées ces blessures. Le Christ a souffert et est mort parce qu’il a eu le courage de porter témoignage à son Père, de se comporter en homme de prière et de paix, de s’opposer à toute forme de mépris ou d’exclusion. Lui, qui a vu et appelé le divin chez tous ceux qu’il a côtoyé, comme la femme syro-phénicienne et les centurions romains qui l’ont suivi; dans les collecteurs d’impôts  qui ont collaboré avec l’Empire; chez les zélés qui s’y sont opposés; chez les pécheurs de toutes les allégeances; chez les eunuques, les astrologues païens et tous ceux «hors la loi». Jésus n’a jamais eu aucun problème avec l’altérité. Ces «moutons perdus» ont  eu même  tendance à devenir ses meilleurs disciples.

Nous avons la trop fâcheuse tendance à oublier  que nous sommes des êtres de relations. Et comme humains, êtres en relations,  nous sommes conçus pour aimer d’abord les gens avant  d’aimer des principes, des formules ou des règles de morale. Jésus a pleinement illustré ce modèle. Nous devons nous concentrer sur l’inclusion, comme Jésus l’a clairement fait, au lieu d’exclure, ce que, précisément, il n’a jamais fait.

« Mourir à nos péchés », pour reprendre l’expression de Pierre, c’est être capables de vivre autrement, c’est être capables de vivre pour la justice, c’est-à-dire dans la fidélité au projet de Dieu pour transformer  l’humanité tout entière.

Alors, si nous confessons que la mort du Christ nous concerne et que sa résurrection ouvre pour nous un chemin de vie nouvelle alors, il faut commencer par accepter que c’est pour nous. Et que donc le salut, ce salut auquel nous aspirons,  entraîne forcément que nous suivions ses traces.

Amen

Pasteur Jean-Paul Nuñez

 

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