Prédication du 24 mai

1 Pierre 4.13-16 : Mais réjouissez-vous de ce que vous participez aux souffrances de Christ, afin que lorsque sa gloire sera manifestée, vous soyez aussi comblés de joie.

Si l’on vous dit des injures pour le nom de Christ, vous êtes bienheureux; car l’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu, repose sur vous. Il est blasphémé par eux, mais il est glorifié par vous. Que nul de vous ne souffre comme meurtrier, ou larron, ou malfaiteur, ou comme s’ingérant dans les affaires d’autrui. Mais s’il souffre comme chrétien, qu’il n’en ait point honte, mais qu’il glorifie Dieu à cet égard.

Chers frères et soeurs en Christ,

« Réjouissons-nous de ce que nous participons aux souffrances de Christ, afin que lorsque sa gloire sera manifestée, nous soyons aussi comblés de joie. »

Difficile mots de Pierre qui restent incompréhensibles et énigmatiques pour nous tant il nous est difficile de penser pouvoir se réjouir c’est à dire éprouver de la joie et ressentir une vive satisfaction en participant à des souffrances fussent celles du Christ lui-même. Difficile de penser pouvoir se réjouir de la souffrance, de toute souffrance quelle qu’elle soit tant elle est pour nous une véritable pierre d’achoppement pour notre esprit. Car s’il est une réalité dont nous avons tous fait l’expérience, à des degrés divers, et qui ne laisse personne d’entre nous indifférent, c’est bien celle de la souffrance.

L’écrivain chrétien C.S. Lewis a pu dire à son propos :« (..) Si je connaissais une issue à la souffrance, je ramperais dans un égout pour la trouver. Mais à quoi bon vous décrire mes sentiments ? Vous les connaissez ; ce sont exactement les mêmes que les vôtres».

En effet, l’emprise de la souffrance s’etend à toutes les fibres de notre être. Son emprise s’etend à notre corps par la douleur physique, à notre âme par la tristesse et l’affliction, à notre cœur par le spectacle de la détresse des autres, à notre intelligence, enfin, par la question lancinante de la souffrance des victimes innocentes. Même la foi du croyant se trouve mise à rude épreuve lorsque nous en arrivons à imaginer un Dieu bon laisser libre cours à tant de maux et de douleurs dans notre monde.

La souffrance du Christ dont nous devrions selon Pierre nous réjouir en en prenant chacun notre part n’est pas exempte de cela.Tout simplement parce que, chacun d’entre nous, sait, parce qu’il l’a appris dans son vécu, que la principale objection à un discours sur la souffrance est liée à la singularité et à l’incommunicabilité de la douleur. D’ailleurs, celui qui souffre ou qui à souffert ne peut parler que de sa propre expérience et non de celle des autres. Le respect de tout être souffrant nous invite à une profonde humilité et à une grande délicatesse qui ne peut se résumer que par un geste d’affection, une marque d’attention ou encore un silence de compassion qui seront souvent mieux accueillis et plus profitables qu’une parole qui cherche à donner un quelconque sens à la souffrance. « Concernant la souffrance, disait le philosophe Maurice Blondel, il n’y a point d’explication suffisante ni de déduction possible à savoir que c’est le scandale de la raison. Qu’importent les formules abstraites dont on se leurre, ou les théories générales dont on s’arme. Quelle inconnaissable différence entre ce qu’on sait et ce qu’on resent ! »

Convenons qu’il n’y a guère de réponse au « pourquoi ?» de la souffrance, ni même de question d’ailleurs. Le corps, tel celui du Christ cloué sur le bois du supplice, hurle et crie jusqu’au tourment : «« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Il est dommage sur ce point et devant cette mort effroyable que nous ayons oublié que le mot croix, cette croix si vénérée chez les chrétiens, le mot croix signifie, étymologiquement, le tourment. Alors, si le tourment nous apprend une chose c’est justement que, comble de l’humilité, la souffrance comme la douleur n’apprennent rien qu’en annulant ce qu’on croyait déjà savoir.

Il y a une dose d’incohérence et même d’inconvenance, comme le livre de Job le montre bien, de voir certains avoir une parole moralisante ou dogmatisante sur la souffrance. Cette parole est à bannir car, quand on souffre vraiment, on ne voue pas un culte à la souffrance, trop occupé que l’on est à souffrir. Ou plutôt, quand on voue un culte à la souffrance, c’est qu’on ne souffre pas vraiment, mais que l’on joue avec celle-ci. N’en déplaise à quiconque mais ce n’est pas parce que l’on souffre que l’on est purifié, ni parce que l’on s’anéantit de quelconque façon pour Dieu que l’on est un saint. Au contraire celui qui est saint ne cherche pas à être saint. Il l’est tout simplement . Ce qui veut dire qu’il est simple et qu’il est humble en ayant fait taire en lui les passions et, en particulier, celle de vouloir être et paraître comme saint. Pour exprimer cet état, l’Eglise d’Orient utilise un beau mot grec qui veut dire tranquillité. Celui qui est vraiment dépouillé est un être tranquille et calme et non un être convulsé, se tordant de douleur.

Il est malheureux que beaucoup de conceptions dites doloristes cherchent à récupérer la souffrance en donnant un sens à la vie grâce à celle-ci. Il importe d’en finir avec de telles conceptions et de rappeler que ce n’est pas la souffrance qui donne du sens à la vie, mais la vie qui donne du sens à la vie et éventuellement à la souffrance. Et c’est bien ce que nous dit Pierre et que nous devons expliciter :

Nous sommes nombreux à avoir ramené du catéchisme l’idée que l’homme souffre du fait d’une faute originelle commise envers Dieu, par le fait d’avoir mangé le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. A cela se rajoute l’idée que si Dieu a puni l’homme en le rejetant dans une vie dominée par la corruption, la souffrance et la mort, celui-ci est venu libérer l’humanité des entraves du péché en envoyant son fils souffrir et mourir.

Il est regrettable d’entendre les Ecritures en général et les Évangiles en particulier comme des textes qui auraient pour objet de nous « expliquer » l’origine du mal ainsi que celle du salut. C’est oublier et délaisser que leurs visées sont toujours et avant tout, d’élargir, de délivrer et de libérer. Voilà pourquoi ces paroles libératrices cherchent à éviter de faire de l’homme un être intrinsèquement mauvais. D’autant que s’il avait été intrinsèquement mauvais, il n’y aurait jamais eu de chute. Dans les Ecritures, il nous est toujours rappelé que le mal, la souffrance et la douleur ont une histoire. Ce ne sont pas des fatalités. Pour le coup, convenons que du fruit de l’arbre de la connaissance, nous en mangeons à chaque fois que nous faisons un pacte avec un monde où le mal et la souffrance sont jugés comme étant naturel et finalement acceptables. Et, on s’évertue aussi à présenter ainsi la passion du Christ. Dieu qui aurait puni l’homme aurait ensuite envoyé son fils pour souffrir à la place de l’homme et payer par ses souffrances la dette de l’homme envers Dieu. Le philosophe protestant Pierre Bayle, au 18e siècle, déclarait trouver pour le moins étranges ces explications de la conduite de Dieu à l’égard de l’humanité, dont il finissait par ressortir que Dieu au fond, à travers la mort du Christ, se faisait mourir afin de se payer à lui-même la dette qu’il réclamait à l’homme. Il est quelque peu absurde de soutenir l’idée que Dieu est celui qui crée la dette et qui la paye.

Dans une telle approche de la passion du Christ, il est impossible de trouver des traces du Dieu d’amour dont parlent les Évangiles. En revanche, il est surtout question d’un dieu vengeur et de colère, qui exige la souffrance et la mort pour apaiser son courroux. Étrange conception, fort proche de ces divinités qui exigent des sacrifices, mais qui se trouve à l’opposé et fort éloignée du Dieu d’amour dont nous parle le Christ, en enseignant davantage à pardonner et à remettre sa dette à l’autre, plutôt qu’à le poursuivre et à le juger pour le faire payer.

En outre, il faudrait une bonne fois pour toute en finir avec la contradiction grossière qui consiste à faire de la souffrance et de la mort le moyen du salut alors qu’il est dit partout dans les Évangiles que le Christ est venu libérer les hommes de la souffrance, de la douleur et de la mort.

Jamais l’amour ne pourra être acheté par quelque «sacrifice nécessaire»; s’il le pouvait, il ne pourrait pas exercer ses effets de transformation. D’ailleurs ceux qui pensent ainsi n’ont qu’a essayer d’aimer leur conjoint, leurs enfants ou leurs proches de cette façon et de venir nous dire où cela les a mené…

La bonne nouvelle apportée par le Christ est dans le fait d’annoncer que désormais il n’est plus nécessaire de recourir à des logiques de souffrance et de mort pour pouvoir être sauvé. Christ n’a rien à voir avec un kamikaze qui pensait qu’en mourant il allait devenir immortel. Comme il n’a rien à voir avec ces terroristes, qui se font sauter avec leur bombe au nom de leur dieu, étant persuadés qu’ils iront tout droit dans un quelconque paradis.

Jésus annule complètement la notion même de sacrifice nécessaire à ce que Dieu nous aime, d’abord en lui-même, puis en tout. « Allez, nous dit-il, apprenez le sens des mots, ce que je veux, c’est de la miséricorde, pas des sacrifices! » Il reprenait là les mots du prophète Osée, «Je veux connaître Dieu, pas vos holocaustes».

Incontestablement, le sens de la passion du Christ n’a pas été de mourir pour renaître, en mettant son espoir et son salut dans la mort, comme les kamikazes ou les terroristes, mais d’aimer tellement les hommes, d’aimer tellement l’humanité et d’aimer incroyablement la vie qu’il a porté cette vie jusque dans le tourment c’est à dire sur la croix puis dans la mort et l’enfer. Le Christ n’est pas ressuscité parce qu’il est mort. Il est mort parce qu’il est l’éternel vivant venu réveiller la vie refoulée dans les profondeurs de l’humanité.

La souffrance du Christ est en ce sens une affirmation absolue de la vie.

C’est parce qu’il est vivant qu’il souffre et qu’il endure la mort, en allant au bout d’une fidélité indéfectible à la vie. Comprenons bien que c’est à cette souffrance et à celle-ci seulement que Pierre nous demande de prendre part.

Voilà pourquoi, l’Évangile est simplement la sagesse de ceux qui acceptent de porter leur part de l’infinie souffrance de Dieu. Et, il y a une certaine ironie, de voir que beaucoup de non-chrétiens semblent accepter pleinement cette vocation avec une plus grande liberté que beaucoup de chrétiens.

Suivre Jésus est une vocation pour partager le destin de Dieu pour la vie du monde. C’est cela prendre part aux souffrances du Christ auxquelles Pierre nous exhorte.

Ceux qui acceptent de porter et d’aimer ce que Dieu aime – le bien et le mal – et de payer le prix de sa réconciliation en eux-mêmes, sont les disciples de Jésus-Christ. Incontestablement, ils sont le levain, le sel, le reste, la graine de moutarde que Dieu utilise pour transformer le monde.

Peut-être qu’ils souffriront. Mais parce que chrétiens, soyons en sûr, ils n’en auront point hontes, mais, en dépit des circonstances ils trouveront les ressources pour  glorifier Dieu à cet égard.

Amen

Pasteur Jean-Paul Nuñez

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