Prédication 21 juin 2020 (Romains 5.12-15)

Romains 5.12-15 : Nous savons que par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et que par le péché est venue la mort ; et ainsi, la mort est passée en tous les hommes, étant donné que tous ont péché.

Avant la loi de Moïse, le péché était déjà dans le monde, mais le péché ne peut être imputé à personne tant qu’il n’y a pas de loi.
Pourtant, depuis Adam jusqu’à Moïse, la mort a établi son règne,même sur ceux qui n’avaient pas péché  par une transgression semblable à celle d’Adam.
Or, Adam préfigure celui qui devait venir. Mais il n’en va pas du don gratuit comme de la faute. En effet, si la mort a frappé la multitude par la faute d’un seul, combien plus la grâce de Dieu s’est-elle répandue en abondance sur la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ.

Chers frères et sœurs en Christ,

L’Evangile de Paul que nous venons d’entendre nous parle du péché. Ce qui, pour la plus part d’entre nous, ne va pas de soi tant cette notion de péché est devenue au mieux inintelligible, au pire carrément irrecevable. Voilà pourquoi les prédications, homélies et autres sermons ont renoncé depuis longtemps d’en parler.Hormis chez certains groupes où la vie chrétienne se résume a être crainte et tremblement devant une divinité inquiétante et lointaine… Une divinité qui nous rappelle les mots de Victor Hugo que beaucoup d’entre nous ont eu à apprendre dans leur jeunesse :

« Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.

Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre

Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,

L’œil était dans la tombe et regardait Caïn. »

Selon son génie, Victor Hugo n’a fait que mettre en mots le récit imaginaire qui hante probablement et de toute façon nos mémoires. Trop souvent la notion de péché renvoie effectivement à cet œil,à ce regard à l’intérieur de notre tête, tourmentant la conscience… telle celle qui pour l’écrivain taraudait la conscience de Caïn. 

Nous avons avec le terme « péché » un lourd contentieux tant il se ramène exclusivement à la faute qui est l’étymologie du mot latin peccatum. En son temps, la psychanalyste Françoise Dolto s’était montrée défavorable à cette formulation, elle qui disait : « Ce n’est pas de votre faute, c’est de votre fait. »Etrangement, dans le récit biblique où est supposée se fonder la notion de faute pour notre culture,c’est dans la parole de Dieu lui-même, adressé à Caïn, et non pas à Adam ou à Eve, que nous découvrons pour la première fois, le mot qui signale bien un fait qu’il va commettre donc un fait qui le menace alors qu’il est encore tout innocent.

Dans tout les cas, faute, péché, transgression, déviance ou autre nous préférons éviter d’en parler plutôt que d’essayer d’approfondir. Pourtant les écritures, avant même de nous faire une quelconque morale nous enseignent que le péché commence là où la parole littéralement se démet.

Dans les langues bibliques, le sens du mot que nous traduisons par « péché » est bien loin de notre usage actuel et n’a strictement rien à voir avec le fait de commettre un acte moralement condamnable. Il signifie manquer le but, ne pas atteindre son objectif, s’écarter. Pour le dire autrement, le péché c’est l’envers de l’accomplissement humain. Il désigne non pas une faute mais une incapacité qui est une donnée de la nature humaine. Cela veut dire qu’il n’y a pas des gens qui soient meilleurs que d’autres par référence à cet état de péché. Tous, vertueux ou non, chrétiens ou non, sont de la même manière soumis à la même limitation et à la même incapacité incontournable.Et s’il en est ainsi, cela doit nous déculpabiliser d’être inévitablement enclins au mal.

Voilà pourquoi, il est dommage que nous négligions ou même que nous en arrivions àsimplifier à l’extrême, jusqu’à la caricature l’enseignement de Paul. Qui pourtant, lui qui par l’expérience de sa vie passée, savait de quoi il parlait nous a transmis une chose simple.

« En effet, nous dit Paul, si la mort a frappé la multitude par la faute d’un seul, combien plus la grâce de Dieu s’est-elle répandue en abondance sur la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ. » Autrement dit, en Christ, le péché n’est plus un problème. C’est à dire qu’il n’est en rien une notion première comme le démontrera précisément Jésus. Plus précisément et malgré des siècles d’histoire où la chrétienté, comme système rigide, s’est évertué a démontrer le contraire, Paul nous dit que le disciple de Christ, le chrétien ne doit pas se focaliser et croire au péché. En Christ, c’est bien la rémission des péchés, c’est à dire l’amnistie et la grâce, qui deviennent première.En Christ, précise Paul, la grâce de Dieu s’est répandue en abondance sur la multitude ». Ce qui veut dire que contre toutes les formes de culpabilités désespérantes, cette amnistie et cette grâce annoncent aussi, et avant tout, une « bonne nouvelle » qui est l’Evangile du salut.

Pour bien nous faire comprendre cela Paul aborde un thème sur lequel il revient souvent à savoir qu’il compare Adam et Jésus-Christ. Et s’il les compare, c’est pour les opposer. Ce faisant, il n’oppose pas deux individus, mais deux types de comportement. Car Paul ne lit pas le récit de la Genèse comme un récit historique du passé, mais comme une méditation et une parabole sur notre situation humaine quelque soit le temps. Paul,nous renvoie à cette histoire où le mot faute ou péché n’est jamais prononcé mais où il existe un interdit. L’interdit de manger des fruits de l’arbre de la connaissance du bien comme du mal. Nous avons beaucoup de difficulté à saisir ce qui est à l’œuvre dans cet interdit à savoir la logique de la différenciation. Manger, c’est défaire la différence à savoir que ce que nous mangeons devient notre au point de disparaître en nous. Si l’arbre est le lieu où est gardée la différence, il doit donc être interdit à l’acte de dédifférenciation par excellence. Manger de cet arbre, le seul à être interdit par le divin, c’est perdre la connaissance de l’autre qui ne peut se faire qu’en l’écoutant comme autre et non pas en le faisant devenir nous.

En ces temps de particulière confusion et de chaos que nous vivons submergé par une puissance médiatique qui nous anesthésie, nous devrions nous rappeler que le récit de la création du monde repose sur la séparation créatrice. Séparer la lumière des ténèbres, le jour de la nuit, la terre des mers… Séparer c’est discerner.Sans séparation ou sans discernement entre les personnes, rien n’est possible entre elles. Rien, pas même une simple véritable visite et encore moins une alliance, un pacte ou une promesse…

Nous devons sans cesse et toujours reprendre le temps d’entendre l’interdit autrement. Entendre autrement pour sortir d’une écoute et d’une lecture rigide dont la rigidité même doit nous alerter sur l’état de mort dans lequel se trouvent nos mythes et nos fondements. Ecouter et relire autrement, c’est aussi pouvoir entendre cette parole vive comme on joue d’un instrument de musique,c’est à dire d’une façon toujours nouvelle…Entendre autrement c’est rêver et imaginer , par exemple, ce qu’il advient si cette limite qui est donnée à Adam et Eve devient pour nous non pas un obstacle mais une voie d’accès à la vie et donc à l’autre. Exactement ce que nous montre Jésus, qui tel un nouveau Adam,nous montre et nous démontre que pour être divin, il n’y a aucune raison de transgresser et d’enfreindre une quelconque loi-limite. Jésus nous le démontre d’autant plus que,rien ni personne, surtout pas notre Père céleste, ne nous a jamais interdit d’être des dieux, comme le serpent veut nous le faire croire. Il a seulement interdit de manger de l’arbre de la connaissance parce que c’est, répétons le, défaire la différence c’est retourner à la confusion en sortant du discernement. Et puis,pourquoi se résoudre à être seulement « comme des dieux », comme le suggère le serpent, alors que nous pouvons l’être pleinement, puisque nous avons tous été créé à l’image du Dieu vivant.

Paul veut nous faire comprendre que le péché doit être retenu, non pas comme l’usurpation de l’homme qui tente de se faire Dieu, c’est-à-dire une sorte d’ambition démesurée, mais au contraire,comme un manque d’ambition, comme une avarice repliée sur elle-même, comme une limitation apportée à Dieu et au don d’amour qu’il nous fait. Et dans le récit biblique, ce qui est le plus frappant, c’est précisément ce doute sur la bonté de Dieu, c’est cette transformation, que nous faisons tous systématiquement, de Dieu en l’idolâtrant comme un propriétaire et jaloux qui interdit à ses créatures que nous sommes l’usage des dons qu’il nous a faits. 

Nous en oublions alors que l’articulation de l’acte créateur, c’est la pensée, c’est le cœur, c’est l’amour de la créature intelligente et libre. Et, s’il arrive que cette créature intelligente et libre fait défaut, si elle s’absente, si elle se refuse, alors c’est la création toute entière qui souffre et qui échoue. C’est ce que Paul nous donne à entendre dans le texte magnifique de sa lettre aux Romains où il nous montre toute la création qui gémit jusqu’à présent dans les douleurs de l’enfantement. La création gémit en attendant dans l’espérance la révélation des fils de Dieu. Elle attend que nous nous redressions. L’histoire du monde est une histoire d’amour qui s’enracine non seulement dans le cœur de Dieu, mais dans le nôtre, car si nous sommes, d’une certaine manière, solidaires physiquement de l’univers dans lequel nous sommes plantés, dont nous nous nourrissons et dans lequel nous respirons, l’univers lui aussi est planté en nous, enraciné dans notre pensée et notre amour et, spirituellement, il ne peut se réaliser sans notre consentement.

C’est une histoire d’amour à deux, et c’est pourquoi le récit de la faute originelle nous fait entendre le cri de l’innocence de Dieu. Dieu n’est pour rien dans le mal, dans la souffrance, pour rien dans la mort, pour rien dans les désordres humains, pour rien dans les maladies et les catastrophes cosmiques, car lui, il est toujours présent, toujours donné, toujours amour, toujours offert sans s’imposer jamais.

« La mort, nous rappelle Paul, a frappé par la faute d’un seul. La grâce de Dieu, elle, se répand en abondance en Christ le vivant de toute éternité,».

Ce qui signifie que nous ne sommes pas en face du Christ pour commémorer une histoire passée et nous émouvoir à fleur de peau sur un supplice inexprimable. Nous sommes en face de lui pour retrouver le sens même du geste créateur, pour l’achever, pour l’accomplir, pour lui donner toute sa plénitude, pour délivrer le monde de ses désordres et l’univers de son gémissement, pour que le monde devienne digne de Dieu bien évidemment, mais surtout digne de nous, digne de chacun de nous quelque soit notre péché. Parce que justement ce n’est pas de notre faute mais de notre fait.

C’est toujours sous le signe de la grandeur que l’Evangile se place. Il n’est nullement une sorte de consolation donnée à une humanité culpabilisé, faible et pleurnicharde. L’Evangile nous appelle à une action formidable, immense, discrète en même temps et silencieuse, parce que justement cette action, c’est nous-même, tout entiers engagés dans cet amour là où nous sommes et tels que nous sommes.

Réalisons enfin qu’en ce temps que nous vivons, engager son existence à vouloir tout manger, à prétendre tout connaître, c’est perdre à jamais quelque chose d’essentiel à la relation à savoir la possibilité même de croire. L’autre, les autres, quels qu’ils soient,n’existent plus si nous ne les reconnaissons pas capable de se dire.Aucun être parlant ne peut vivre sans croire ni être cru. C’est bien ce qu’a ignoré Adam. Mais c’est bien ce que Jésus nous a rappelé: « Va, mon frère, va ma soeur ta foi t’as sauvé du péché »

Amen  

Pasteur Jean-Paul Nuñez

Pour lire et télécharger la prédication en PDF :  Romains 5.12 – 15

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