Prédication 20 septembre 20 (Philippiens 1.20-24,27)

Philippiens 1.20-24,27 : Mais maintenant comme toujours, la grandeur de Christ sera manifestée avec une pleine assurance dans mon corps, soit par ma vie, soit par ma mort.  En effet, Christ est ma vie et mourir représente un gain.

Cependant, s’il est utile pour ma tâche que je vive ici-bas, je ne saurais dire ce que je dois préférer.  Je suis tiraillé des deux côtés: j’ai le désir de m’en aller et d’être avec Christ, ce qui est de beaucoup le meilleur,  mais à cause de vous il est plus nécessaire que je continue à vivre ici-bas. (..) Seulement, conduisez-vous d’une manière digne de l’Evangile du Christ.

Chers frères et soeurs en Christ,

S’il y a une lettre qui nous montre  la passion de Paul pour sa mission d’apôtre,  sa passion pour le Christ c’est à dire sa passion de chrétien c’est bien  sa lettre aux Philippiens. Cette lettre  nous montre  l’affection de Paul toute simple et fraternelle pour une communauté   qu’il a connu et avec qui il a partagé énormément.   C’est en cela que cette lettre est émouvante tant elle nous livre les confidences simplement humaines à ses  frères et soeurs dans la foi d’un homme comme les autres.  Cette lettre surnommée paradoxalement l’épître de la joie, est d’autant plus émouvante qu’elle est écrite en prison. C’est à dire, pour reprendre un terme très usité en ces temps,  dans un temps de confinement forcé et de difficulté où le risque, pour Paul d’être exécuté à tout moment est là, omniprésent.

Pour autant Paul prends le temps d’appeller ses frères et soeurs à l’imiter. Et cet appel Paul prends le temps de nous le transmettre, deux mille ans après. Mais attention, ce serait mal  le comprendre que de penser qu’il se présente, de par sa foi et de par  son comportement, comme l’être parfait à prendre pour exemple.  C’est mal comprendre Paul qui, par expérience,  nous dit et redit  que la foi, que notre foi en Christ éternel est sans cesse une mise et remise en question radicale et que surtout elle est le renversement de tout idéal de perfection.  Et Paul nous en parle avec d’autant plus d’éloquence que ce renoncement, en particulier à la perfection religieuse, constitue l’essentiel du récit de sa propre conversion sur le chemin de Damas.  De là son exclamation : « Christ est ma vie ».

A travers cette exclamation de Paul, qui  se doit de devenir la notre, nous percevons  deux  compréhensions de l’existence. Soit Christ devient profondément notre raison de vivre. Soit nous nous soumettons à notre raison propre qui n’est que le résultat de ce que nous vivons dans notre époque.

« Christ est ma vie ».  En nous disant cela, Paul partage avec nous une découverte essentielle à savoir que  la rencontre avec Christ nous introduit dans un monde qui n’existe pas encore mais que nous pouvons et devons vivre,  cette rencontre nous introduit dans un monde qui ne peut pas être sans notre transformation, dans un monde auquel nous n’accédons que par la nouvelle naissance dont Jésus parlait à Nicodème..

Et cela, cette transformation n’est possible qu’à la condition de rencontrer dans l’émerveillement un Visage resplendissant qu’il est possible de rencontrer, non pas dans des livres, non pas dans des Ecritures, non pas dans des institutions, non pas dans des techniques mais à travers tout visage humain qui s’ouvre à la générosité et à l’amour…

Comprenons bien alors  que lorsque Paul nous demande de l’imiter ce n’est pas pour que nous devenions nous même des Paul. Cela n’a aucun sens de l’imiter dans sa personne et dans ce qu’il est. Par contre nous l’imitons effectivement lorsque, à son exemple, nous pouvons  être  en capacité, nous aussi, de vivre en Christ. C’est à dire  de savoir qu’il nous est possible d’être des humains pleinement humains et de nous tenir debout, quels que soient nos imperfections et limites. Qu’il est possible pour chacun de nous de surgir dans une liberté créatrice. Qu’il est possible de ne pas être  esclave de notre propre histoire. Qu’il est possible  de remonter le cours de notre propre « moi » de notre « ego »  passionnel qui nous habite tous sans exception  et qui trop souvent nous enferme dans un déterminisme dont nous ne cessons jamais  d’être complices.

Paul, lui qui, souvenons nous de cela, lui qui  était un pharisien persécuteur zélé de chrétiens sait désormais que c’est ce visage là qui est le Christ vivant. Il n’y en a pas d’autre. C’est ce Christ là. Souvenons nous c’est ce Christ-là qui parle à la Samaritaine qu’Il invite à chercher au dedans d’elle-même cette source qui jaillit en vie éternelle.  C’est aussi ce Christ-là qui se révèle au lavement des pieds. Et bien sûr, c’est ce Christ là qui se révèle dans l’agonie et dans le supplice du bois de la croix.

C’est aussi ce Christ là que Saint Augustin lui qui avait eu une jeunesse complètement « débridée » reconnaissait, qu’il saluait, qu’il célébrait dans cette parole incroyable et magnifique de ses Confessions en disant : « Tard je t’ai aimée, Beauté si ancienne et si nouvelle, tard je t’ai aimée. Et pourtant tu étais dedans, mais, c’est moi qui étais dehors ! »

« Christ est ma vie ». En disant cela Paul veut nous faire comprendre que nous n’avons rien à imiter ni même rien à donner si nous sommes et restons esclaves de notre «ego ». Nous pouvons parler de Christ toute la journée, c’est en vain. Car,  quoiqu’on dise et fasse, il s’agit toujours d’un faux dieu si nous n’en vivons pas.  Voilà pourquoi le seul témoignage que Paul nous invite à porter et à imiter c’est à dire littéralement à reproduire, c’est le témoignage d’une vie qui s’efface devant la Vie infinie, d’une vie qui fait le vide en soi pour accueillir l’amour infini qui est le Christ lui-même.

Nous devrions toujours avoir à l’esprit que la lumière n’est pas tant ce que nous voyons directement mais ce qui nous permet de voir tout le reste, qui nous permet de voir tous nos frères et soeurs en humanité, qui nous permet de voir toute la création… Comprenons alors que lorsque l’Evangile nous dit que  Jésus  est la lumière du monde il nous amène à entendre, comprendre et attester que Jésus le Christ de Dieu est bien  cette composition et cette fusion   de la matière et de l’esprit, et que de ce seul fait nous pouvons, chacun de nous, là où sommes et tel que nous sommes , en attester  et bien évidemment  profiter des choses et du monde dans leur plénitude.

Voilà pourquoi, à la suite de Paul, au lieu de dire et répéter depuis notre catéchisme que Dieu est venu dans le monde par Jésus, il serait peut-être plus juste de dire et de comprendre  que Jésus, celui  qui dans un moment du temps chronologique   est  « né d’une femme sous la loi » comme le dit Paul à ses amis Galates, celui là, ce Jésus est sorti d’un monde déjà éternellement imprégné et rempli de Christ. Et même, plus précisément, pour le dire autrement, l’incarnation du Verbe devenu chair coule, découle et s’écoule de  l’incarnation éternelle  à savoir l’union d’amour du Père céleste avec toute la création  dans tout ce qu’elle est.

Si nous comprenons cela alors, nous comprenons  aussi pourquoi Paul rajoute que : mourir représente un gain.  En disant cela, il sous entend  que sa vie ne s’épanouira pleinement que dans la rencontre définitive et éternelle avec Christ. Et cela reste une préférence pour lui. « (..) nous sommes dit-il à ses frères et soeurs de Corinthe, pleins de confiance et nous préférons quitter la demeure de ce corps pour aller demeurer auprès du Seigneur. »

Pour le coup c’est bien là quelque chose que nous ne comprenons pas. Pour le coup, là, nous avons quelques difficultés à suivre le raisonnement. Et il n’est surtout plus question de parler  d’imitation, évidemment.

Et pourtant, nous retrouvons là un écho de cette solidarité intime qui nous unit au Christ et que Paul exprime si souvent dans ses écrits et qui est un de ses  thèmes préférentiels  à savoir que précisément notre destinée de disciple est de ne faire qu’un en Jésus-Christ jusque, que cela plaise ou non, dans la certitude de notre mort physique.

En attendant, Paul, malgré la situation difficile dans laquelle il se trouve, ne compte pas  abandonner car, quoiqu’il en soit, il considère qu’il arrive à faire un travail utile. Cela ne veut certainement pas dire qu’il se considère comme indispensable. Il sait ce que tout le monde sait ou du moins devrait savoir c’est qu’il n’est en rien indispensable car personne ne l’est. C’est Christ seul,  qui agit dans le cœur des fidèles … Il ne s’agit donc pas de parler de cas de conscience, car précisément ce n’est pas Paul qui décide de son sort.  Nous devrions prendre le temps  d’apprendre de ce  modèle d’abnégation, au vrai sens du terme, en ce sens que son seul souci reste la mission auprès de ceux qui lui ont été confiés.

Voilà pourquoi, ils les exhortent au même titre qu’il nous exhorte :  « Quant à vous, ayez un comportement  digne de l’Évangile ». Nous avons à travers ces mots qui s’adressent à chacun de nous, tout un programme certes, mais d’une simplicité extrême.  Paul veut nous dire par là que la seule manière d’être digne de l’Évangile, c’est de le prendre au sérieux, au point d’en vivre et de l’annoncer et d’en attester.   Avoir un comportement digne de l’Évangile, c’est tout simplement consacrer nos vies à l’évangélisation. Ce qui, incontestablement, interroge la plupart de nos préoccupations premières.

Beaucoup parmi nous, ont  appris l’Évangile au catéchisme. C’est bien et c’est certainement mieux que rien. Mais ce faisant, l’Evangile que nous portons en nous fait  partie des idées reçues. Et rien ne rend plus sourd à l’inattendu, à  l’inouï, à l’exceptionnel et au merveilleux que les idées reçues. A un tel point que nous en arrivons  à ressembler à ces corinthiens dont Paul nous dit que même lorsqu’ils lisent les Ecritures, ils ont un voile devant les yeux. Et nous, nous chrétiens de ce pays, chrétiens de ce continent, nous  devons nous apercevoir qu’un voile est posé sur nos yeux quand nous lisons l’Évangile tant l’écart ne cesse de se creuser entre ce que nous tenons pour actuel, pour important pour préoccupant et ce que l’Évangile de Christ est devenu dans nos existences à savoir une fable ancienne, généreuse, parfois fraternelle souvent rituelle mais sans aucune portée dans le monde où nous vivons.

Nous devons nous demander ce qui a pu rendre le merveilleux de l’Évangile inaudible à ce point.  Alors, qu’à bien des égards, l’’Évangile a réussi à s’imposer dans la culture occidentale, désormais il peine à   faire entendre le merveilleux qu’il porte en lui et  son caractère inouï tombe dans l’insignifiance la plus complète au point que,  les « paroles d’évangile », comme on dit, ne deviennent que  des coquilles vides…

Ce dont nous avons besoin, c’est d’une parole proprement merveilleuse, inaccoutumée  et inouïe qui réinventerait notre rapport à nous-mêmes et à ce que nous sommes devenus.

Paul nous en indique le seul moyen : « C’est seulement en se tournant vers Christ que le voile est enlevé ». Autrement dit c’est par un retournement sans précédent que nous pouvons passer du « déjà-entendu » de l’Évangile à son « non-encore-entendu ». C’est par un retournement sans précédent  que l’Évangile pourra devenir notre contemporain, mieux, qu’il pourra  nous devancer dans le temps et surtout  qu’il pourra nous permettre effectivement de vivre tel que Paul a pu en vivre .  Ainsi la nouveauté de l’Évangile réside moins dans ce qu’il dit que dans l’expérience qu’il rend possible et c’est cela qui est une « bonne nouvelle ». C’est  la vie, c’est chacune de nos vies qui est rendue possible par cette parole vive qui communique simplement la joie de vivre. Et cette joie de vivre, il nous revient de l’offrir au monde pour affirmer en l’attestant simplement  comme Paul que  «Christ est  bien notre vie ».

Amen

Print Friendly, PDF & Email