Prédication 25 octobre 20 (1 Thessaloniciens 1.5-10)

1 Thessaloniciens 1.5-10 : Vous savez en effet comment nous nous sommes comportés parmi vous à cause de vous.  Vous-mêmes, vous êtes devenus nos imitateurs et ceux du Seigneur en accueillant la parole au milieu de grandes difficultés, avec la joie du Saint-Esprit.  Ainsi, vous êtes devenus un modèle pour tous les croyants de la Macédoine et de l’Achaïe. En effet, non seulement la parole du Seigneur a retenti depuis chez vous en Macédoine et en Achaïe, mais c’est aussi partout que votre foi en Dieu s’est fait connaître, de sorte que nous n’avons pas besoin d’en parler. De fait, on raconte à notre sujet quel accueil nous avons eu auprès de vous et comment vous vous êtes tournés vers Dieu en abandonnant les idoles pour servir le Dieu vivant et vrai  et pour attendre du ciel son Fils qu’il a ressuscité, Jésus, celui qui nous délivre de la colère à venir.

 

Chers frères et soeurs en Christ,

Il est extraordinaire de voir que la Parole prêchée par Paul a été accueillie dans la joie… mais que surtout elle a transformée en profondeur une toute petite communauté chrétienne qui était celle de Thessalonique. Communauté qui à biens des égards  ressemble beaucoup  à celles qu’en ces temps nous connaissons dans notre pays.Rappelons que ces mots de Paul ont été écrit deux décennies après la résurrection du Christ.  Il s’agit de la première prédication chrétienne énoncée bien avant les évangélistes.

Paul en déduit que la prédication a porté son fruit. Cela se voit désormais dans la dynamique de cette petite communauté. Et pourtant cela n’était pas évident ni facile puisque Paul précise qu’ils ont accueilli la Parole « au milieu de bien des épreuves ».

Paul fait allusion ici à l’hostilité  que rencontre la prédication chrétienne; Paul, lui-même, Silvain et Timothée ont essuyé les premiers ce refus de l’Évangile par ceux à qui il était destiné en priorité ; maintenant, c’est la nouvelle communauté chrétienne de Thessalonique qui relève le flambeau et qui rencontre des problèmes qui, là, se traduisent non par de l’indifférence comme nous connaissons cela aujourd’hui mais par des persécutions.  Quoiqu’il en soit cette petite communauté tient bon.

« Vous nous avez imités, nous et le Seigneur, en accueillant la Parole au milieu de bien des épreuves avec la joie de l’Esprit Saint ».

Rassurons nous,  ou plutôt inquiétons nous, les épreuves que soulève Paul, existent toujours…

Certes deux mille ans après nous avons une collection complète de temples, d’églises, de cloches, d’orgues, d’harmoniums… mais  au même titre que Paul le fait, nous pouvons en déduire que la foi chrétienne rencontre énormément de problèmes et d’epreuves. Il suffit de voir nos assemblées plus que clairsemées et particulièrement vieillissantes dans nos pays. Dans les faits, notre problème n’est pas si loin de ce que Paul nous disait à travers ses lettres. En plein milieu du XIXe siècle,  un drôle de chrétien, écrivain inclassable mais néanmoins  intempestif,   le philosophe et théologien  Kierkegaard,  pose dans une actualité évidente d’aujourd’hui  la question de comprendre pourquoi notre entourage ne ressent plus du tout  le besoin d’accueillir la Parole et donc ne ressent en rien le besoin de devenir chrétien.  Devenir chrétien n’a plus de sens dans un monde qui a cessé de l’être.  Face aux immenses défis actuels de l’humanité, être chrétien ne représente pas un recours en quoique ce soit. Nous sommes entrés dans un âge de déchristianisation massive dans la mesure où la plupart de nos contemporains ne semblent plus se comprendre à l’intérieur de la parole chrétienne. Plutôt que  de parler de « post-chrétiens », il serait plus juste de dire, comme Charles Péguy déjà l’avait deviné, que nous sommes devenus littéralement  « in-chrétiens ». Inchrétiens comme nous pouvons être incroyants… Péguy ajoutait même que, puisque l’« in-chrétien » se situe totalement en-dehors du christianisme, il ne peut pas y rentrer et n’en exprime absolument pas ni même l ‘idée… Voilà l’épreuve devant laquelle nous sommes.

Comme le fait Paul en écrivant à ses frères et soeurs de la petite communauté de Thessalonique nous sommes devant  la signification même du christianisme,  du fait même de se dire et d’être disciple du Christ. Là est bien notre épreuve. Tout du moins, à l’instar de la réflexion que soulève Paul, nos communautés  doivent  s’interroger sur le rapport que chacun parmi nous  entretient avec l’Évangile de Dieu.  En ce sens,  nous serions en mesure peut être de redécouvrir que  l’Évangile n’est pas le message fondateur de la  tradition religieuse particulière que nous appelons  le christianisme…  Nous pourrions découvrir que   l’Évangile n’est pas le message fondateur de la  tradition religieuse particulière  qui  possède  ses croyances, ses rites, ses habitudes, sa morale… Comme Paul l’exprime clairement, l’Evangile c’est d’abord et avant tout  une qualité de la parole elle-même quand elle s’adresse à quelqu’un pour lui dire qu’il est possible d’exister autrement dans un monde où l’existence même est un problème. Ce qui veut dire précisément, que l’Évangile est l’à-venir de l’humain. C’est peut-être parce que nos contemporains  n’entendent  pas  cette « bonne nouvelle »  qui explique la rations pour laquelle  l’Évangile est et reste  encore et toujours inédit,  c’est à dire non proclamé, et,  inattendu, c’est à dire non attendu…

Souvenons nous, dans l’évangile de Luc la question la plus brutale, la plus dérangeante qui nous est posée : « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »  Si le Christ pose la question, il ne la résout pas à notre place. D’ailleurs cette question nous pouvons, aujourd’hui, nous la reposer autrement ;  « Manque-il quelque chose d’essentiel à la vie humaine si l’Évangile n’est pas proclamé comme Évangile ? »

Convenons que nous, nous qui sommes là, nous qui en sommes encore à chercher dans les généalogies si telle  ou telle famille à des ascendants « croyants », nous qui n’osons même plus en parler tranquillement avec nos proches, nous assistons à  un oubli de la foi,  à un oubli qui n’est pas tant le fait des incroyants que celui de notre conception du  christianisme lui-même. Nous assistons à un oubli de la foi parce que nous ne savons plus très bien ce qu’est la foi, ce qu’est notre foi au Christ vivant et éternel.  Nous assistons à un oubli de la foi parce que nous l’avons remplacée par un assentiment plus ou moins convaincu à une doctrine ritualisée ou ce que nous appelons, sans conviction, la spiritualité ou, plus paresseusement encore, que nous appelons la recherche de sens…  A ce propos, il y a longtemps que nous aurions du réaliser que c’est dans cet abandon et  appauvrissement de la foi que se trouve le glissement de sens le plus étonnant de la longue histoire du christianisme et qui explique, en grande partie, qu’il peine à être parlant à nos contemporains. L’écrivain Jean-Paul Sartre dans son livre Les Mots traduit bien cet oubli de la foi à l’intérieur du monde chrétien : « Depuis deux mille ans, dit Sartre les certitudes chrétiennes avaient eu le temps de faire leurs preuves, elles appartenaient à tous, on leur demandait de briller dans le regard d’un prêtre, dans le demi-jour d’une église et d’éclairer les âmes, mais nul n’avait besoin de les reprendre à son compte ; c’était le patrimoine commun. La bonne société croyait en Dieu pour ne pas parler de lui. »

Ainsi, si la lettre de Paul reste brûlante d’actualité pour nous, il ne nous écrirait certainement pas ce qu’il dit à la toute petite communauté de Thessalonique : « Vous nous avez imités, nous et le Seigneur, en accueillant la Parole au milieu de bien des épreuves avec la joie de l’Esprit Saint ». Il ne nous dirait pas cela parce que nous avons tout simplement  oublié le fait évident que  l’Évangile, l’Evangile du Christ vivant  n’est joyeux message que dans la foi. Dans la foi seule, dans lasola fide  pour reprendre ce mot d’ordre que nos pères ont porté dans l’épreuve.  Si, quelque soit la raison ou les circonstances,  nous enlevons la foi alors il n’y a plus de christianisme. Par contre réalisons que le contraire n’est  absolument pas vrai. Si on enlève le christianisme, la foi, la foi au Christ vivant et éternel, cette folie, reste toujours possible…

« En accueillant la parole au milieu de grandes difficultés, avec la joie du Saint-Esprit, nous dit Paul vous êtes devenus un modèle pour tous… En effet, non seulement la parole du Seigneur a retenti depuis chez vous … mais c’est aussi partout que votre foi en Dieu s’est fait connaître, de sorte que nous n’avons pas besoin d’en parler. »

Comprenons bien  qui  si nous enlevons la foi, si nous enlevons l’Evangile comme qualité de la parole elle-même qui  s’adresse à chacun  pour lui dire qu’il est possible d’exister autrement. Si nous enlevons cela alors  cela signifie que toute action qui aurait pour volonté de  faire « rentrer » les « inchrétiens » dans le christianisme  qui leur est devenu étranger, toutes ces actions seraient non seulement improductives, mais encore vouées à l’échec. Au contraire, il a urgence  d’employer l’énergie que nous avons et qui nous reste à montrer comment l’Évangile invente une manière d’exister autrement. Nous devons prendre conscience que  le christianisme s’est installé dans une crise sans fin qui le condamne au pire des malheurs à savoir qu’il est devenu non seulement insignifiant mais inaudible. Le résultat nous le voyons dans ce que sont devenus nos communautés qui ressemble de plus en plus à des musées…   

Olivier Abel, le professeur de la faculté de théologie de Montpellier, fait très justement remarquer que notre société post-chrétienne est une société qui est littéralement  « vaccinée » contre le christianisme.  Notre société a développé tellement d’anticorps à ce que nous représentons qu’il  est devenu totalement illusoire de vouloir la reconquérir en lui administrant une double dose de « rechristianisation » :  « Pour une personne, écrit-il, que l’on “gagne” par une campagne de communication évangélique, il y en a des dizaines que l’on éloigne pour très longtemps,et, on continue, sans rire, à parler d’évangélisation ! ».

Incontestablement,  toute complaisance pour le passé est à bannir. Ce qui s’est passé dans un autrefois n’est plus.    Toutes les certitudes  qui s’incrustent dans le passé rendent la foi stérile. Dire et répéter : «  Hier ! », « Hier c’était bien… », « Hier, nous étions une multitude… nos temples étaient pleins… »… dire cela c’est oublier, à ce propos, les mots même de Jésus :  « Ils sont morts  ces gens dont vous parlez ! ».

Par contre, il nous revient désormais de faire entendre à neuf ce qui a tout rendu possible  à savoir l’Évangile et l’Evangile seul.

Mais tous, tous, à l’exemple de la toute petite communauté de Thessalonique   nous sommes autorisés à inventer une parole qui assemble,  une parole entendue en son temps  avec ce qu’elle fait entendre d’inouï, de merveilleux et d’extraordinaire pour aujourd’hui et pour  les temps à venir.  Autrement dit, pour entendre la Parole encore faut-il écouter le présent qui est le notre. Effectivement  l’Évangile est le témoignage d’une conviction  à l’oeuvre, là, présentement, au moment où nous parlons… Non plus hier, mais là pour entendre et vérifier les mots de Paul aux Thessaloniciens :. « De fait, on raconte comment vous vous êtes tournés vers Dieu en abandonnant les idoles pour servir le Dieu vivant et vrai  et pour attendre du ciel son Fils qu’il a ressuscité, Jésus, celui qui nous délivre de la colère à venir. »

Pasteur Jean-Paul Nunez

Print Friendly, PDF & Email