Prédication du 27 sept. (Philippiens 2.1-11)

Philippiens 2.1-11 : S’il y a donc de l’encouragement en Christ, s’il y a de la consolation dans l’amour, s’il y a une communion de l’Esprit, s’il y a de la tendresse et de la compassion,  rendez ma joie parfaite en vivant en plein accord. Ayez un même amour, un même coeur, une unité de pensée. Ne faites rien par esprit de rivalité ou par désir d’une gloire sans valeur, mais avec humilité considérez les autres comme supérieurs à vous-mêmes.  Que chacun de vous, au lieu de regarder à ses propres intérêts, regarde aussi à ceux des autres.

Que votre attitude soit identique à celle de Jésus-Christ: lui qui est de condition divine, il n’a pas regardé son égalité avec Dieu comme un butin à préserver,  mais il s’est dépouillé lui-même en prenant une condition de serviteur, en devenant semblable aux êtres humains. Reconnu comme un simple homme, il s’est humilié lui-même en faisant preuve d’obéissance jusqu’à la mort, même la mort sur la croix. C’est aussi pourquoi Dieu l’a élevé à la plus haute place et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom  afin qu’au nom de Jésus chacun plie le genou dans le ciel, sur la terre et sous la terre  et que toute langue reconnaisse que Jésus-Christ est le Seigneur, à la gloire de Dieu le Père.

Chers frères et soeurs en Christ,

A travers les mots de Paul aux Philippiens,  nous venons certainement d’entendre un des témoignages les plus impressionnants sur la personne de Jésus.  Depuis plus de vingt siècles, tous les chrétiens désireux de vivre selon l’Evangile l’ont patiemment médité et l’ont même abondamment  proclamé et chanté dans leurs liturgies.

En quelques mots, tout y est dit sur l’évènement le plus extraordinaire de l’histoire de l’humanité à savoir la venue de Dieu sur terre sous les traits d’un homme ordinaire, Jésus de Nazareth.

Très simplement, là, à partir d’un chant de louange  à l’humilité du Christ comme exemple à suivre dans nos propres existences, Paul nous demande de ne pas nous replier sur nous-mêmes comme chaque fois que nous le faisons dès lors que nous méprisons  nos frères et soeurs en humanité, en les tenant pour  des inférieurs, des  incroyants,  des moins que rien ou des ignares. Et, à l’exemple du Christ il nous demande de tout mettre en œuvre pour  être à leur service  avec humilité.  Pour Paul, incontestablement, chacun de nous est en mesure de vivre « en Christ ». Comprenons bien que depuis notre baptême, nous appartenons au Christ, nous faisons partie de lui en quelque sorte ; nous sommes effectivement « en Christ ». D’ailleurs cette nouvelle identité, qui est commune à tous les baptisés, surmonte toutes nos diversités. Nous ne sommes pas d’abord protestants, réformés , évangéliques, catholiques orthodoxes…  Désormais, nous portons le même nom de famille Nous sommes tous «  chrétiens ». Et quand nous rencontrons des chrétiens, dorénavant, même si, la manière d’être de certains  nous agace ou nous dérange, c’est ce sentiment de commune appartenance qui surpasse, ou du moins qui  devrait surpasser tous les autres.

Exactement à l’image de ces grandes réunions de famille, de ces grandes cousinades où rencontrons des personnes quelque peu déplaisantes mais  avec qui  nous pouvons éprouver le même sentiment d’appartenance commune. Et bien de même, ce mystère d’amour et de communion, nous y avons été plongés au jour de notre baptême et il ne reste qu’à le vivre « en Christ ». au quotidien.  « Pour que ma joie soit complète, dit Paul, ayez les mêmes dispositions, le même amour, les mêmes sentiments… »   En un mot il nous exhorte en quelque sorte à faire honneur à la famille, au nom que nous portons. De là son invitation qui s’adresse, encore , deux mille après, à chacun de nous « Que chacun estime les autres plus grands que soi ».  Contre les divisions qui sont les nôtres entre chrétiens, Paul propose  l’humilité profonde par laquelle on s’efface devant nos frères et nos soeurs en Christ parcequ’il sait que ce qui détruit toute communauté, c’est notre désir de puissance par lequel on tente d’imposer ses idées, et d’imposer sa manière de faire et de penser. Ce qui empêche de construire la véritable fraternité, ce ne sont pas nos imperfections, nos faiblesses, nos limites  et nos fautes, mais notre désir d’imposer aux autres notre idéal de perfection que nous nous évertuons à traduire de façon dogmatique. Pour autant, nous devrions garder à l’esprit que le fondement de notre communauté chrétienne, ce n’est pas la somme de nos bonnes volontés, et encore moins nos œuvres aussi belles soient elles, mais la seule grâce de Dieu, notre Père à tous, offerte en Jésus-Christ notre maître et sauveur.

Réalisons et convenons que le monde dans lequel nous vivons est  infecté… Non pas  seulement par un virus terrible qui nous pourrit l’existence. Cela est un fait ponctuel ce qui bien sur ne minore en rien sa gravité. Notre monde est surtout  infecté, et il l’était déjà du temps de Paul,  de tous ces faux dieux, c’est-à-dire de toutes ces fausses représentations de dieu qui sont uniquement de notre fait et qui sont une construction humaine. Le monde  dans lequel nous apprécions quoiqu’il en soit de vivre et même de vivre pas trop mal, ce monde ne cesse de concevoir la grandeur humaine comme une domination sur les autre. Cette vision est mortelle et absurde au point que nous en oublions que Jésus nous a introduits dans un nouveau monde qui est un monde de générosité  où la seule grandeur est de se donner.

« Ayez entre vous nous rappelle Paul les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus ». Par ce rappel, Paul souhaite avant tout  nous dire et nous  faire comprendre  ce que le Christ a fait bien plus que  ce que le Christ est.

Christ n’est pas simplement le nom de famille de Jésus. Ce n’est pas son titre, ni un quelconque qualificatif révélateur qui mériterait toute notre attention.  Christ est cette « source première » qui existe depuis l’origine de tout, depuis l’origine du temps, depuis l’origine de l’espace, à l’origine de tout souffle, de tout « Esprit »… Et  cette source première, cette source infinie c’est transformée dans des formes finies, visibles, comme les roches, l’eau, les plantes, les organismes, les animaux et bien sûr à travers nous les êtres humains comme à travers tout ce que nous voyons avec nos yeux ou percevons simplement avec nos sens… «  En effet, nous dit Paul les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient depuis la création du monde, elles se comprennent par ce qu’il a fait. » Alors nous pouvons affirmer que tout le visible, sans exception, est, l’effusion et l’incarnation de Dieu.

Et c’est bien ce que Paul affirme lorsqu’il dit: « Il n’y a que le Christ. Il est tout et il est en tout »
C’est cela l’incarnation qui pour nous, chrétiens, a été renouvelée avec Jésus lui même.

Ce qui amène à réaliser et vivre qu’il ne peut y avoir aucune raison de combattre, d’exclure ou de rejeter quiconque.

Paul insiste sur ce point  dans son cantique :

« Que votre attitude soit identique à celle de Jésus-Christ, Lui qui est de condition divine, il n’a pas regardé son égalité avec Dieu comme un butin à préserver,  mais il s’est dépouillé lui-même en prenant une condition de serviteur, en devenant semblable aux êtres humains. »

Pour le dire autrement, le Christ Jésus a accompli la démarche contraire  de tous les hommes. Si l’ambition de  l’homme  est, depuis le jardin d’Eden,  d’être « comme Dieu », lui le Christ veut  simplement  être comme l’homme. Sa divinité réelle est son abaissement. Son dépouillement nous dit précisément Paul. C’est à dire qu’il  va nous montrer son amour total pour l’humanité  en faisant  simplement et humblement preuve d’humanité. Faire preuve d’humanité voilà ce qui nous sauve et ce qui sauvera le monde. Il est beau que, dans notre langue française, «humanité» désigne à la fois l’espèce elle-même et le sentiment qu’elle doit inspirer à chacun envers tous les autres. En Christ, et c’est ce que Paul nous dit dans son cantique, l’humanité n’est pas qu’un groupe à l’intérieur de l’animalité. C’est un programme, c’est un projet, c’est une ligne de conduite, c’est un chemin…

Voilà pourquoi c’est volontairement que le Christ s’est dépouillé, volontairement qu’il a voulu n’être qu’homme et pleinement homme. Il montre sa divinité en ne voulant que notre humanité.

Nous percevons là,  toute la résonance nouvelle, toute la révolution contenue dans cette perspective.

En Christ, il ne s’agit pas d’aimer  un dieu abstrait,  un dieu omniprésent, omnipotent.   Il ne s’agit pas d’aimer un dieu qu’on imagine, qu’on façonne et qu’on idolâtre  à sa propre image. Il s’agit d’aimer l’humanité c’est à dire l’homme avec ses limites, l’homme avec son animalité.  il s’agit d’aimer l’homme avec tout ce qui, en lui, nous rebute et nous répugne, car c’est justement en dépassant tout cela que nous pourrons atteindre au vrai Dieu… Souvenons nous : « Je vous donne un commandement nouveau, c’est de vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés. » Voilà le testament de Jésus. Voilà  très exactement  le Nouveau Testament, le Testament éternel à savoir aimer l’homme pour être sûr de ne pas manquer Dieu.  Christ ne nous a apporté ni un catéchisme, ni un exemple, mais un salut. Un salut qui nous renouvelle tout entier, et qui devrait se traduire  partout par  un plus grand respect les uns des autres.

Nous avons tendance à l’oublier, mais cela  est souligné de la manière la plus simple par le lavement des pieds. Cette scène où Jésus s’agenouille devant ceux qu’Il connaît si bien. A genoux devant le traître qui l’a vendu. A genoux devant ce disciple passionné qui le reniera. A genoux devant le disciple  bien-aimé qui va s’endormir comme tous les autres dans le jardin de l’agonie… A genoux devant tous ces hommes rudes et passionnés qui l’ont suivi mais qui vont s’enfuir… C’est devant eux que Jésus s’agenouille et, à travers eux, c’est devant toute l’humanité.

Et dans ce geste qui est comme son testament, Jésus veut  nous conduire  à la découverte essentielle. Jésus veut que nous  comprenions que le Royaume de Dieu est au-dedans de chacun de nous.  Jésus veut que nous  comprenions  que ce Royaume, Dieu ne compte pas  nous y introduire ni par force, ni par mérite.  Parce qu’il  est Amour et rien qu’Amour, Dieu se propose toujours, il ne s’impose jamais. C’est donc à nous d’ouvrir la porte. C’est donc à nous  de de consentir et d’accueillir cet Amour qui ne peut déployer en nous toute sa lumière, toute sa joie, qu’avec notre consentement. Cet amour là, ce Dieu-là est un Dieu qui nous est inconnu.  Ce Dieu-là est un Dieu qui est inconnu de l’immense majorité des croyants accrochés à des idoles comme les apôtres  qui étaient à leurs rêves et ne voyaient pas Jésus. Ils le voyaient devant eux au lieu de le voir au-dedans d’eux. Aussi n’arrivaient-ils pas à le discerner et à le reconnaître.

Jésus introduit dans notre histoire une essentielle transmutation des valeurs. Il brise toutes les idoles que nous nous sommes données, tous les faux dieux que nous avons inventés. La grandeur, ce n’est pas de faire la morale, de s’exposer bon croyant, d’être ostentatoire jusque dans la prière, de parler à l’impératif, de juger. La grandeur, c’est de se donner. La grandeur se situe non pas dans la ligne de la domination mais dans la ligne de la générosité. Et c’est pourquoi Jésus à genoux atteste la vraie grandeur, celle du don, celle de l’amour.

C’est une immense bouleversement, car, justement, maintenant, aujourd’hui, le ciel est au dedans de nous, au dedans de chacun de nous. Comprenons le bien : Chacun de nous révèle Dieu. Il faut  faire preuve d’humanité pour atteindre à ce Dieu-là. Ou, ce qui revient au même, nous pouvons atteindre à ce Dieu-là quand  nous faisons preuve d’humanité.  C’est à dire quand on devient une personne, une source, une origine, un espace, un créateur.

« C’est, nous dit Paul dans son cantique, aussi pourquoi Dieu l’a élevé à la plus haute place et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom  afin qu’au nom de Jésus chacun plie le genou… » Comprenons que l’espérance de Dieu, c’est que nous fassions preuve d’humanité en faisant pour chaque frère et sœur ce qu’il a fait pour Jésus : leur donner un nom qui est au-dessus de tout nom… Là est effectivement l’espérance de Dieu. Et, cette espérance de Dieu doit devenir notre espérance particulièrement en ces temps de déréliction et de découragement.

Amen.

Pasteur Jean-Paul Nunez

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