Prédication 22 novembre 20 (1 Cor. 12.12-27)

1 Corinthiens 12.12-27 : Le corps forme un tout mais a pourtant plusieurs organes, et tous les organes du corps, malgré leur grand nombre, ne forment qu’un seul corps. Il en va de même pour Christ. En effet, que nous soyons juifs ou grecs, esclaves ou libres, nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit pour former un seul corps et nous avons tous bu à un seul Esprit.

Ainsi, le corps n’est pas formé d’un seul organe, mais de plusieurs. Si le pied disait: «Puisque je ne suis pas une main, je n’appartiens pas au corps», ne ferait-il pas partie du corps pour autant? Et si l’oreille disait: «Puisque je ne suis pas un oeil, je n’appartiens pas au corps», ne ferait-elle pas partie du corps pour autant? Si tout le corps était un oeil, où serait l’ouïe? S’il était tout entier l’ouïe, où serait l’odorat? En fait, Dieu a placé chacun des organes dans le corps comme il l’a voulu. S’ils étaient tous un seul organe, où serait le corps? Il y a donc plusieurs organes, mais un seul corps. L’oeil ne peut pas dire à la main: «Je n’ai pas besoin de toi», ni la tête dire aux pieds: «Je n’ai pas besoin de vous.» Bien plus, les parties du corps qui paraissent être les plus faibles sont nécessaires, et celles que nous estimons être les moins honorables du corps, nous les entourons d’un plus grand honneur. Ainsi nos organes les moins décents sont traités avec plus d’égards, tandis que ceux qui sont décents n’en ont pas besoin. Dieu a disposé le corps de manière à donner plus d’honneur à ce qui en manquait, afin qu’il n’y ait pas de division dans le corps mais que tous les membres prennent également soin les uns des autres. Si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui; si un membre est honoré, tous les membres se réjouissent avec lui.

Vous êtes le corps de Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part.

Chers frères et sœurs en Christ,

Il apparait, à partir des mots de Paul, que la communauté des chrétiens de Corinthe connaissaient des problèmes similaires à  ceux que nous connaissons. Pour nous faire comprendre, la nature de ces problèmes, Paul va reprendre, à sa manière, une fable rapportée par Tite-Live très connue à son époque. Elle s’appelait la fable des membres et de l’estomac. Plus près de nous, La Fontaine l’a mise en vers en nous racontant une discussion entre les pieds et les mains qui se révoltent contre l’estomac en refusant de bouger. Ce faisant, ces organes en oublient une chose que si l’estomac meurt de faim, il ne sera pas le seul car ce corps-là, comme tous les autres, fait un tout. Et, pour que le corps puisse vivre, tous les organes ont absolument besoin de tous les autres.

«  Nous sommes le corps du Christ et, chacun pour notre part, sommes les membres de ce corps. »

Paul a donc repris, dans le capital culturel de son temps, un discours très facile à comprendre. Et, il se donne la peine de nous expliquer que nos diversités sont notre chance, à condition d’en faire les instruments de fraternité de la communauté bien-aimée dans laquelle chacun, sans exception et à sa façon, à sa place. Et surtout, où, chacun dans ce qu’il est et fait, par la grâce des dons et des charismes qui sont les siens, doit mettre l’autre en évidence pour le bien de tous.

Cette reprise de la fable par Paul fait penser à l’histoire de ce riche membre d’une communauté qui avait décidé de construire un temple… Cela, évidemment, avait suscité un réel enthousiasme..  Pour autant, personne n’avait le droit de voir les plans, ni l’intérieur jusqu’à ce qu’il soit terminé.

Enfin, le jour est arrivé où la communauté a enfin pu s’émerveiller de la beauté du nouveau bâtiment.

Mais quand les membres de la communauté sont entrés…ce qui les a surpris c’était que toutes les salles, aussi bien celle du culte ,des réunions ou de la catéchèse, toutes étaient dans la pénombre la plus complète. Devant les réactions légitimes et néanmoins affectées, le bienfaiteur a distribué, à chacun, une lampe en leur montrant  des crochets le long des murs. Et il a alors expliqué: «Chaque fois que vous êtes ici, l’endroit où vous êtes assis sera éclairé. Mais chaque fois que vous n’êtes pas là, votre place sera sombre. Ceci pour vous rappeler que chaque fois que vous ne vous participez pas à la vie de la communauté, une partie de l’Eglise reste dans la pénombre ».

Avec la même insistance que le fait Paul, cette histoire souligne combien nous avons besoin des uns des autres. C’est ensemble que nous constituons l’Eglise et si ce n’est pas le cas, alors, il manque quelque chose… Ou du moins, c’est comme s’il y avait une obscurité qui s’installe dans nos cœurs.

Et, de l’obscurité dans nos cœurs, il y en a chaque fois que nous mettons à mal l’unité d’une communauté en ne respectant pas  l’autre dans sa propre démarche.

De l’obscurité dans nos cœurs, il y en a chaque fois que nous ne respectons pas l’autre dans le fait qu’il est quelqu’un de singulier, non seulement dans ses convictions mais même dans sa façon d’être, dans sa vocation, dans son évolution, dans ses propositions et contributions et même, même dans ses travers… Tout cela n’est pas contraire à la cohérence mais c’est une bénédiction pour chacun des membres et donc pour l’ensemble du corps.

Corps qui, ne l’oublions pas, parce c’est quand même cela qui est premier… corps qui est celui du Christ lui même.

Nous sommes formellement configurés en Christ.

Tous, nous avons été baptisés « au nom » du Christ. Et, être baptisé au nom du Christ, c’est être, en quelque sorte, et même littéralement, greffé sur lui… car c’est bien par cette greffe que nous sommes, comme le souligne si bien Paul, les membres de Christ.

Nous sommes greffés, d’où nous vient le mot « disciple » dont l’étymologie signifie « être rattaché »..

Ce qui nous induit immédiatement à cette découverte d’une importance infinie, c’est que notre santé communautaire, c’est-à-dire notre équilibre spirituel, notre sincérité, notre attitude, notre vérité intime sont indispensables à la réalisation parfaite du corps du Christ.

Cela induit aussi d’attester par notre manière d’être et nos attitudes relationnelles que Christ n’est pas simplement le nom de famille de Jésus.

Christ n’est pas un simple titre, ni un quelconque qualificatif révélateur…

Christ est cette « source première » qui existe depuis l’origine de tout, depuis l’origine du temps, depuis l’origine de l’espace, à l’origine de tout souffle, de tout « Esprit »… C’est bien cela qui permet à Paul d’attester : « Il n’y a que Christ. Il est tout et il est en tout »

Pour nous, les greffés en Christ, pour nous les chrétiens, l’incarnation a été renouvelée avec Jésus lui même.

Comprenons alors qu’au lieu de dire que Dieu est venu dans le monde par Jésus, il serait peut-être plus juste de dire et de comprendre que Jésus, celui qui est « né d’une femme sous la loi » pour reprendre les mots de Paul, Jésus celui qui est né dans un moment du temps chronologique, Jésus est sorti d’un monde déjà totalement  imprégné et rempli de Christ.

Réalisons que Christ est cette lumière qui n’est pas tant ce que nous voyons directement mais bien ce qui nous permet de voir tout et le reste.

Christ est ce qui nous éclaire sur ce qu’est la création entière et sur ce que nous sommes.

Lorsque dans l’Evangile de Jean, Jésus fait la déclaration « Je suis la Lumière du monde » nous pouvons bien sûr le regarder, lui, comme lumière, et, c’est généralement ce que nous entendons.

Mais nous pouvons aussi entendre que Jésus parce que Christ, nous permet de voir le monde au plus profond, au plus tenace de ses obscurités et de ses ténèbres… Christ est la lumière qui permet de voir les choses dans leur plénitude. Ce qui est, en principe, une des caractéristiques d’un authentique chrétien. Par contre, c’est une caractéristique particulièrement exigeante qui exige toujours plus de chacun. Et qui surtout nous amène à réaliser et vivre qu’il ne peut y avoir aucune raison de combattre, d’exclure ou de rejeter quiconque.

C’est bien cela que Paul veut nous faire comprendre.

Tous unique, tous complémentaires et tous ensemble dans une immense diversité. Pour autant, à Corinthe comme dans nos communautés se posent les problèmes du dénigrement de soi et du dénigrement d’autrui.

Paul nous explicite cela : « Comme je ne suis pas une main, dit le pied, je ne fais pas partie du corps ». «Comme je ne suis pas un œil, rajoute l’oreille, je ne fais pas partie du corps ».

Comme quoi, la comparaison n’est jamais bonne conseillère.

Se comparer, c’est être amené à se dénigrer soi-même avant même de dénigrer les autres. Dans le corps du Christ, il ne devrait pas y avoir de compétition, de performances, de prouesses à défendre pour être, pour exister. Chacun a sa place, chacun avec ses qualités, ses défauts, sa spécificité, ses compétences acquises ou à acquérir et bien sûr ses dons. Nous ne sommes pas tous pareils. Mais tous, sans exception, nous avons notre place dans le corps.

«(..) les membres du corps qui paraissent être les plus faibles sont nécessaires, nous dit Paul, et ceux que nous estimons être les moins honorables du corps, nous les entourons d’un plus grand honneur. »

Nous avons beaucoup de mal à comprendre cela parce que dans le temps que nous vivons, l’individualisme narcissique de notre époque, nous amène au privé et même au privatif c’est à dire au repliement sur notre petit moi, sur notre petit ego. Ce qui nous prive de la possibilité même de faire du commun, de faire une commune union, et donc d’être et de faire réellement communauté.

Il y a longtemps que nous aurions du comprendre que l’humilité nécessaire pour faire corps c’est exister dans le regard des autres. C’est exister en s’échangeant avec les autres quels qu’ils soient. C’est exister dans cette relation où, pour reprendre le mot du poète Arthur Rimbaud : « Je est un autre ».

Mais nous sommes tellement englués dans notre moi possessif, nous nous confondons tellement avec notre moi préfabriqué, nous sommes tellement enfermés dans cet univers défini et appréhendé par notre regard, que tout le problème, comme nous y exhorte Paul depuis sa propre expérience sur le chemin de Damas, tout le problème reste de savoir si de ce quelque chose que nous sommes, nous pouvons devenir et être quelqu’un.

Comment ne pas penser, ici, à cette réflexion de Gustave Flaubert dans son journal, lorsque il reçoit, de Baudelaire, une lettre qui lui demande d’appuyer sa candidature à l’Académie. Flaubert, qui lui a tout sacrifié avec une pureté de cœur et de vie admirables, Flaubert est scandalisé de cette demande de Baudelaire, et il écrit dans son journal ce mot qui mérite de passer les siècles : « Pourquoi vouloir être quelque chose quand on peut être quelqu’un ? »

Voilà des mots forts simples que chacun est capable de comprendre : « Pourquoi vouloir être quelque chose quand on peut être quelqu’un ? »

Ces mots tracent précisément l’itinéraire humain : nous sommes d’abord quelque chose et chacun de nous est appelé à devenir quelqu’un. Réalisons que si rien en nous n’était de nous-même, si notre existence ne pouvait pas jaillir un jour de nous, nous serions purement et simplement des choses, et nous ne serions pas ici, dans la suite de Jésus, Christ, lui qui a su si précisément être extraordinairement et merveilleusement quelqu’un. Nous ne serions pas ici, dans la suite de Jésus, Christ, à nous interroger sur le sens même de la vie, la notre comme celle des autres et de la création.

Nous devons prendre conscience qu’enracinés, fondés et greffés en Christ, affermis dans la foi, désormais Christ n’a pas d’autre corps sur terre que le nôtre, ni d’autres mains que les nôtres, ni d’autres pieds que les nôtres. C’est par nos yeux que s’exprime son éternelle compassion de Christ pour le monde ;c’est par nos pieds que Christ s’en va faire le bien et accomplir les miracles nécessaires pour ce temps. C’est par nos mains qu’il va aujourd’hui comme hier et demain, bénir l’humanité.

«  Nous sommes le corps du Christ et, chacun pour notre part, sommes les membres de ce corps. »

Entendons bien cela. Entendons  bien que chacun de nous est appelé à être le visage de Christ, ses oreilles, sa bouche, son toucher. Cela demande d’abord de résister au repli et au cynisme de notre époque, qui est suspicieuse à l’égard de tout, et en particulier de l’Église…

Cela implique ensuite du courage.

Le courage de nous laisser regarder par les autres, de les laisser nous sourire.

Celui de les écouter en particulier lorsque nous sommes en désaccord, avec la certitude que si nous leur ouvrons nos esprits et nos coeurs, nous leur offrons, en simple retour, la Parole de Dieu.

Et puis, enfin, en ces temps dits de « distanciation », ayons le courage de tendre la main pour toucher les autres, tous les autres, avec l’éternelle compassion du Christ. Ayons en tête les baisers de Jésus aux lépreux, aux fiévreux, aux eczémateux et autres pestiférés  qui, de Flaubert à Mauriac en passant par Camus, ont inspiré tant de belles pages.

Et surtout, convenons que l’ouverture confiante et relationnelle à l’autre est le fondement même de notre foi qui nous permet effectivement d’attester que là où nous sommes et tels que nous sommes, indiscutablement «  nous sommes le corps du Christ et, que chacun pour sa part, tel qu’il est et là où il est, il est bel et bien un membre de ce corps. »  

Amen

Pasteur Jean-Paul Nuñez

Cette prédication devait être celle du synode Cévennes-Languedoc Roussillon –Sète – Novembre 2020- Pasteur Jean-Paul Nuñez. Annulé en raison du confinement.

 

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