Chers frères et soeurs en Christ,
Aujourd’hui, nous fêtons la plénitude de Pâques. C’est à dire le cinquantième jour de la Pâque du Christ vivant, dont la vie se manifeste désormais à travers ses disciples , c’est à dire à travers chacun de nous qui, quelles que soient les circonstances, forment l’Église. Si nous voulons comprendre le sens de cette fête, ce sens de la Pentecôte alors il nous faut intégrer entièrement ce qui est contenu dans la phrase du passage des Actes des Apôtres que nous avons entendu : « Alors ils furent tous remplis de l’Esprit Saint ». C’est à dire qu’il nous faut saisir ce qu‘éprouvèrent tous ceux qui se trouvaient dans le cénacle, dans ce lieu clos, dans ce conclave à ce moment-là .
Nous l’avons entendu, ce jour de Pentecôte a été décisif pour les disciples en raison des événements qui survinrent tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du cénacle. Le livre des Actes raconte que « un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière ».
C’est donc une sorte de tremblement de terre qui s’est fait entendre dans toute la ville, au point de provoquer le rassemblement d’une grande foule devant cette porte venue voir ce qui arrivait. Mais de l’extérieur, on ne pouvait pas deviner les « écroulements » qui s’étaient produits à l’intérieur. Dans ce lieu clos, en effet, les disciples ont fait l’expérience d’un véritable séisme qui, tout en étant fondamentalement intérieur, les a tous bouleversé ainsi que leur entourage. Au final, « des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux ; Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues ».
Contrairement à tout ce qu’il se dit habituellement, le phénomène des langues est tout simplement le signe qu’une chose nouvelle s’est produite dans le monde. Ici, la chose surprenante est que le fait de parler en « d’autres langues », c’est à dire de parler différemment, au lieu d’engendrer la confusion, crée au contraire une inattendu entente et unité. En fait, ce passage d’Evangile souligne le contraste entre la tour de Babel et la Pentecôte.
A Babel tous parlent la même langue et pourtant, à un moment donné, plus personne ne comprend l’autre et c’est la confusion ; tout au contraire à la Pentecôte, tous parlent des langues différentes et pourtant, au final, à la surprise générale, tous se comprennent.
Pour tous ceux qui étaient là enfermés, cela a été incontestablement une expérience qui a changé leur vie en profondeur. Cette communauté avait besoin de la Pentecôte, autrement dit, cette communauté avait besoin d’un événement capable de bouleverser en profondeur le cœur de chacun, comme un séisme, comme un tremblement de terre… Une forte énergie les a enveloppé et une sorte de feu s’est mis à les dévorer en profondeur.
Nous connaissons la suite dans ses conséquences : La peur laisse la place au courage, l’indifférence ou l’envie de rejet laisse la place à la compassion, la fermeture sur soi fond sous l’effet de la chaleur, l’orgueil est éclipsé par l’humilité, l’égoïsme est désormais supplanté par l’amour.
Pentecôte c’est ça. C’est ainsi que l’Église a commencé son chemin dans l’histoire des hommes.
Le séisme intérieur qui avait changé le cœur et la vie des disciples ne pouvait pas ne pas avoir aussi des répercussions au-delà du cénacle. Cette porte gardée fermée pendant cinquante jours « par peur des juifs », « par peur des autres », « par peur du qu’en-dira-t-on » a fini par s’ouvrir en grand et les disciples, en cessant d’être repliés sur eux-mêmes, concentrés sur leur vie et leur propre salut, se sont mis à parler à tous ceux qui les avait rejoints en masse. L’énumération longue et détaillée des peuples que fait l’auteur des Actes vise à signifier la présence du monde entier, à tous, quels qu’ils soient, devant cette porte.
Nous avons là le second miracle de la Pentecôte. A partir de ce jour, l’Esprit du Seigneur s’est mis à surmonter les limites qui semblaient infranchissables. Ce sont ces limites qui lient fortement qui attachent chaque homme et chaque femme au lieu, à la famille, à la paroisse, au petit contexte dans lequel ils sont nés et ont vécu. Ces liens qui empêchent la relation disparaissent. Ce jour là, la domination de Babel sur la vie des hommes a pris fin.
Rappelons nous que le récit de la tour de Babel nous montre les hommes occupés à construire une seule et unique ville qui, par sa tour, devait atteindre le ciel. C’est à dire Dieu. Ces bâtisseurs sont animés par une volonté de puissance. Ils veulent se faire « une réputation », une « considération ». Au fond, ils recherchent, avant toute chose, leur propre gloire. L’oeuvre de leurs mains c’est l’orgueil de tout constructeur. Mais c’est oublier que l’orgueil, le coeur hautain , la démesure dans l’Ancien Testament est marqué très spécifiquement comme l’abomination des abominations… Voilà pourquoi cet orgueil alors même qu’il les unissait, les a perdu aussitôt ; ils ne se sont plus compris les uns les autres et se sont dispersés sur toute la surface de la terre. La dispersion commencée à partir de la tour de Babel est le mythe qui décrit, encore aujourd’hui, la vie ordinaire de toutes les communautés humaines souvent divisés entre elles et en lutte, prompts à mettre en avant ce qui divise plutôt que ce qui unit. Chacun n’étant tourné que vers ses propres intérêts, ses certitudes mesquines, sa petite prétention humaine sans veiller au bien commun c’est à dire à la gloire même de Dieu.
La Pentecôte met un terme à cette Babel là.
A la Pentecôte, les apôtres proclament en revanche « les grandes oeuvres de Dieu ». Ils ne pensent pas à travailler pour leur renommée, pour leur confort mais à celle de Dieu ; ils ne cherchent pas à s’affirmer personnellement, mais à affirmer Dieu. Dieu est et reste au centre ; la volonté de puissance fait place à la volonté de servir, la loi de l’égoïsme, de son petit bien personnel à celle de l’amour.
« Alors ils furent tous remplis de l’Esprit Saint »
L’Esprit qui remplit le cœur des disciples inaugure un temps nouveau, celui de la commune union et de la fraternité. C’est un temps qui ne vient pas des hommes, bien qu’il les concerne. C’est un temps qui ne provient pas non plus de leurs efforts, même s’il les exige. C’est un temps qui vient d’en haut, de Dieu.
La pluie de langues de feu qui descend du ciel pour se poser sur la tête de chacun des présents c’est la flamme de l’amour qui brûle toute aspérité et tout éloignement. Pour comprendre ce que cela représente, pensons à cette image du film Des Hommes et des Dieux lorsque tous les frères d’abord divisés prennent au final la même option de rester dans un monde hostile, de façon unanime. C’est ça la langue de l’Évangile qui franchit les frontières établies par les hommes et qui touche leur cœur au point de les bouleverser, de les retourner. Le miracle de la communion commence précisément à Pentecôte, à l’intérieur du cénacle, c’est à dire à l’intérieur de chacun et devant sa propre porte. Nous devons comprendre que c’est ici, entre le cénacle et la place du monde, que commence l’Église : les disciples, remplis de l’Esprit Saint, surmontent leur peur, leur doute, leur inquiétude et se mettent, enfin, à prêcher. C’est à dire à annoncer l’amour inconditionnel de Dieu pour tous nos frères et soeurs en humanité qui qu’ils soient. Jésus le leur avait dit : « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière ». L’Esprit est venu et, depuis ce jour, il continue de guider les disciples, c’est à dire chacun de nous, sur les routes du monde. La confusion et l’incompréhension, la condition d’orphelin et la lutte fratricide, la solitude et la violence, ne sont plus des fatalités dans la vie des hommes, car l’Esprit est venu « renouveler la face de la terre».
Il ne tient qu’à nous de continuer cela. Il ne tient qu’à nous marcher, de cheminer selon l’Esprit. C’est ce à quoi nous exhorte Paul dans sa lettre aux Galates pour ne pas être conduits à accomplir ce qu’il appelle les œuvres de la chair. Entendons-nous bien sur le sens de ce mot « chair » : contrairement à ce qu’il est habituellement avancé, ce n’est pas le corps, et encore moins le sexe. Que de malheurs publics ou intimes sont nés et continuent de naître encore aujourd’hui de cette erreur de basse morale. Le mot « chair » est, chez Paul comme dans toutes les Écritures, le terme qui désigne l’être humain à la fois dans son histoire et dans l’histoire qui a fait de lui ce qu’il est très précisément. Le mot chair est justement ce qui nous renvoie, contre l’Esprit, à des comportements inéluctables, déterminés, implacables, fatalistes. C’est à dire à l’idolâtrie, l’inconduite, la rivalité, l’emportements, la division, le sectarisme, l’intrigue, la débauche et autres choses du même genre. C’est à dire toutes les lois de contraintes qui nous font sombrer toujours davantage dans une Babel des langues.
L’Esprit Saint, comme ce jour de Pentecôte, descend pour nous inciter à sortir de ces logiques et ces lois de contraintes.
La seule règle qui subsiste c’est : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Quand à l’œuvre de l’Esprit si nous voulons savoir ce qu’elle est il suffit de regarder un homme qui s’est laissé complètement habiter par lui : à savoir Jésus de Nazareth. Quand Paul fait la liste des fruits de l’Esprit, nous ne faisons que lire le portrait même de Jésus-Christ : « Amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, humilité et maîtrise de soi. » Cheminer selon l’Esprit c’est, à la suite de Jésus notre Christ, vivre et offrir ces fruits au monde entier.
Redécouvrir le sens de la Pentecôte est la seule chose qui puisse sauver notre époque. Redécouvrir le sens de la Pentecôte c’est laisser l’Esprit Saint introduire dans la relation humaine le mode de la relation divine qui est l’humilité, le respect et l’amour. Redécouvrir le sens de la Pentecôte c’est accueillir l’Esprit Saint afin de purifier les eaux polluées de la relation humaine, en révélant qu’il est un authentique instrument d’enrichissement, de partage et de solidarité.
Redécouvrir le sens de la Pentecôte c’est prendre conscience que chacune de nos initiatives civile ou religieuse, privée ou publique se trouve devant un choix : elle peut être Babel ou Pentecôte. Elle est Babel si elle est dictée par l’égoïsme, le repli sur soi, l’orgueil et la recherche de son propre salut; elle est Pentecôte si elle est dictée par l’amour du prochain et le respect de sa liberté.
Amen