Texte : Matthieu 9/35 à 10/8 Luc 10/1-5 Culte Clermont du 3 juillet 2022
Autres lectures : Exode 19/1-6a
Prédication
Mes amis, l’expression n’est pas de moi, mais je la tiens pour vraie : le monde est devenu un village planétaire, encore vaste, mais un village où tout se sait rapidement, immédiatement. Qu’il se passe un attentat à l’autre bout du monde contre nos intérêts, dans l’instant nous en sommes avertis, dans les deux jours un ministre sera sur les lieux. L’information va plus vite que le vent. Nous sommes tous au courant de tas de nouvelles, des bonnes comme des mauvaises.
Il y a 2 000 ans, vous vous en doutez bien, l’information parcourait le monde davantage au rythme des saisons qu’à la vitesse du son. Et c’est à la vitesse du pas que le Seigneur parcourt les villes et les villages de la Judée et de la Galilée. A la vitesse du pas, oui mes amis, et pendant à peine plus d’un an. Voilà le cadre du ministère du Seigneur pour faire savoir à toutes les nations la bonne nouvelle, la venue du Royaume de Dieu : un territoire pas plus grand que deux départements français, et tout au plus trois ans de ministère selon l’évangile de Jean.
C’est dire, mes amis, si le champ de la mission est grand. C’est dire s’il reste grand, même après le ministère du Seigneur. Or, ce qui me frappe, c’est que justement, dans ce cadre que nous jugeons tous d’un commun accord bien trop étroit pour être celui de la proclamation du Royaume de Dieu, dans ce cadre le Seigneur ne semble pas avoir été frustré, il ne semble pas l’avoir subi comme une barrière, comme un obstacle qui l’empêcherait de s’adresser aux foules des nations païennes.
Pas de frustration, d’abord parce que le Seigneur se joue des obstacles, et ce cadre ne l’empêche pas de rencontrer des païens et de répondre à leur prière, mais surtout parce que de lui-même il semble d’abord se cantonner et se plaire dans la prédication du Royaume aux seuls enfants d’Israël. C’est à ses frères juifs qu’il est d’abord venu s’adresser, et c’est dans les synagogues d’abord qu’il les rencontre. Que la synagogue, ce lieu de tradition, ait été d’abord l’auditoire du Royaume de Dieu, voilà qui ne se discute pas. Le Seigneur a commencé sa prédication dans ce lieu et Paul, plus tard, suivra l’exemple du Maître dans la diaspora, pour tout le monde grec.
Il ne s’agit pas de tomber béat d’admiration : ni la tradition ni le pharisien ne sont les tenants de la vérité. Pourtant, il y a dans ce cadre de haute tradition, de lecture et de relecture de paroles bibliques, de prières maintes fois renouvelées, dans ce lieu de liturgie, il y a quelque chose de noble. Dans cette inlassable répétition, une pensée se construit, une culture est nourrie, mais il y a surtout une puissance de résistance qui œuvre, une obstination, un entêtement dans l’éternelle proclamation des promesses divines, ce qui est déjà une victoire sur le temps et sur l’éphémère de nos vies. Plus fortes que nos vies, la tradition fait vivre les promesses de générations en générations.
Jésus prêche donc dans les synagogues, mais il ne s’en laisse pas compter. Il n’est pas séduit par ce qu’il voit ; bien au contraire, c’est avec beaucoup de tristesse qu’il constate : “voyant les foules, il fut pris de pitié pour elles, parce qu’elles étaient harassées et prostrées comme des brebis qui n’ont pas de berger” (Matthieu 10/36 dans la TOB).
Le petit peuple est comparé à des brebis sans berger. Pourquoi ce constat est-il douloureux ? Avant d’y répondre, tempérons : le peuple de Dieu n’est jamais complètement abandonné. “Le Seigneur est mon berger ; je ne manquerai de rien”, dit le Psaume 23/1. Nous ne manquerons jamais de l’essentiel, car c’est le Seigneur qui prend soin de nous. Néanmoins, dans le livre des Nombres (27/17), pour la première fois dans la Bible, on nous parle d’un berger pour Israël. C’est alors Moïse, lui qui a reçu pour Israël la Torah et la vision de la terre promise, qui prie et qui demande au Seigneur, avant de laisser le peuple entrer en terre promise, d’accorder au peuple un homme qui soit pour lui un chef et un guide, afin de le conduire dans cette terre promise, de le faire persévérer dans la promesse et dans la vision. Le visage du berger nous est proposé ici comme celui qui encourage le peuple de Dieu dans sa vocation.
Des bergers, des responsables d’Israël, il en est aussi question au chapitre 34 du livre du prophète Ezéchiel. Pendant cette période douloureuse de l’exil des enfants d’Israël loin de Jérusalem, l’Eternel annonce son salut au v. 12 : “De même qu’un berger prend soin de ses bêtes le jour où il se trouve au milieu d’un troupeau débandé, ainsi je prendrai soin de mon troupeau… Je le ferai paître dans un bon pâturage sur les montagnes d’Israël”.
Le constat que fait le Seigneur est donc un reproche cinglant adressé aux pharisiens. Que voit le Seigneur ? Un peuple dans une grande précarité spirituelle, sans avenir, sans espérance sans vision, faute de berger. Voilà qui fait mal ! “Le Seigneur constate des foules sans espérance au milieu même des spécialistes de la Bible !”.
Mais le Seigneur n’en reste pas là et, pour parer à la situation, il annonce non pas l’action de Dieu, ou plutôt oui : l’action de Dieu, mais par l’intermédiaire d’hommes choisis par ses soins. Pour préparer la moisson, le jugement final, et pour le dire autrement encore, la rencontre finale, l’ultime face à face entre Dieu et son peuple, Jésus choisit douze hommes auxquels il confie toute son autorité. Douze disciples appelés à poursuivre ce que lui-même a commencé : la prédication du Royaume et l’imposition des mains en vue de voir se réaliser des signes et des prodiges.
Et plus tard, comme nous le raconte LUC c’est 72 autres disciples qu’il va envoyer prêcher la bonne nouvelle….
Certes, un choix déroutant pour nous, protestants, qui prêchons à juste titre le sacerdoce universel. Le Seigneur a fait de nous un royaume de prêtres, dit le prophète dans l’Apocalypse (1/6). Nous sommes tous prêtres, nous avons tous un égal accès à Dieu
Mais ce qu’il y a d’intéressant dans notre histoire protestante, c’est qu’il a eu quelques hommes pour contraindre la grande église romaine à se réformer, quelques hommes seulement pour renouveler la foi, pour embraser spirituellement l’Europe et pour faire entrer des peuples entiers dans une joie renouvelée du Royaume. Ce n’est pas la question de l’autorité, mais celle de l’action des Réformateurs. Quelques hommes qui ont traduit la Bible, qui ont composé des catéchismes, qui ont ré-inventé l’église en y réintroduisant les cinq ministères, de docteur, prophète, pasteur, ancien et diacre.
Nous constatons alors qu’avant de se poser des questions sur l’église, il nous faut épouser le regard du Seigneur qui, d’abord, a compassion de ces foules. Le Seigneur qui, par amour pour elles, choisit effectivement un groupe de disciples, mais un groupe et non pas un homme ni un successeur ou un héritier légitime, un groupe d’hommes nous rappelant que l’autorité de Christ ne peut se vivre que dans le partage, dans un ministère collégial, et qu’elle ne peut donc pas être monopolisée. Oui, Christ choisit un groupe d’hommes pour continuer avec humilité son ministère. Somme toute, Christ donne moins son autorité qu’il tient lui-même du Père, qu’il n’autorise les siens à faire comme lui.
Ce qu’il nous faut retenir ? C’est que le peuple de Dieu a besoin de berger pour avancer, pour persévérer non pas dans la vision de celui-ci ou celui-là, mais dans la vision du Seigneur, dans ce que Dieu a prévu pour son peuple. Ce que Dieu a prévu pour le monde, c’est la venue de son Royaume, un Royaume de justice, de paix et d’amour, mais la façon dont chaque communauté localement est appelée à l’accueillir, nul ne le sait a priori, mais ce chemin se découvre à plusieurs dans la prière, l’humilité, la paix et l’accord fraternel. Reste le témoignage biblique : malgré le cadre restreint dans lequel le Seigneur a agi, douze hommes et plus tard 72 autres, ont suivi les traces du Maître et, ma foi, cela n’a pas trop mal marché. Reste aussi le témoignage de la Réforme : quelques hommes animés du feu de Dieu et plein d’une grande compassion pour le petit peuple, ont renouvelé la foi de millions d’hommes et de femmes jusqu’à aujourd’hui encore.
Aujourd’hui nous connaissons une crise sanitaire qui a changé nos vies, notamment au travers des confinements. Qu’en est-il de l’Eglise ? A-t-elle changé ? Comment a-t-elle réagi ? est-elle devenue l’Eglise de demain ?
Suite aux confinements, il y a eu trois sortes de réactions : Ceux qui ont été sous le choc et ont attendu patiemment de retrouver le monde ou l’Eglise d’avant ; ceux qui se sont remis en question sans fin et ceux ont saisi cet événement pour en faire une occasion de renouvellement.
Pourtant, il est indéniable que notre vie d’Eglise repose sur l’idée d’une communauté et non d’une communauté de réseau social. Et depuis les origines du christianisme cette notion est un pilier essentiel.
Alors que faire ?
Sans être très versé aux réseaux sociaux, je dois reconnaître que cette crise sanitaire, qui nous a empêché de nous retrouver, au lieu de pénaliser et de restreindre l’Eglise, a été un temps de dynamisation et de croissance de la vie paroissiale et de son témoignage.
Beaucoup d’églises locales ont effectivement fait preuve de créativité en utilisant d’autres moyens pour faire vivre la foi de chacun.
Cependant, la crise sanitaire a été diversement traversée, douloureusement pour certains, plus facilement pour d’autres.
Ainsi le confinement n’a pas du tout été vécu de la même manière par les Bouddhistes, qui ont pu y voir un temps de retraite spirituelle, ou les Catholiques, privés de communion.
Olivier ABBEL enseignant à la faculté de théologie nous dit que l’instant présent nous invite à revoir ce qui est essentiel dans nos vies et à ne pas l’oublier dans le monde d’après.
Nous le voyons, pendant l’exil à Babylone des hommes se sont levés pour que le peuple n’oublie pas leur Dieu.
Du temps de la captivité en Egypte, Dieu a suscité Moïse pour les entrainer vers le pays promis.
Du temps de Jésus, le peuple sans berger, s’est vu donné 12 hommes et plus tard 72 autres, pour les guider.
Pour nous aujourd’hui, Jésus nous exhorte à partir, à sortir, à aller devant lui, entrer dans un processus permanent de dialogue et donc de valorisation des différences. Le dialogue n’est pas une option, il est l’essence même de la foi chrétienne. Chacune de nos convictions ne peut naître qu’au contact de l’autre.
L’église aurait-elle donc accompli toute sa tâche ? Jusqu’à l’établissement final du Royaume, il nous est interdit d’avoir de telle pensée. Par contre, aujourd’hui encore, dans ces périodes de troubles et de grandes souffrances partout dans le monde, un appel urgent est adressé à l’Eglise du Christ : revenir tout simplement à lui, revenir à Christ pour découvrir ou redécouvrir à plusieurs son appel dans notre région. Redécouvrir son appel non plus comme un devoir ou comme un labeur, mais comme un don de Dieu pour l’amour de son peuple. Du zèle et de la compassion, voilà ce qu’il nous faut ; eh bien, prions, et que Dieu fasse de nous ses bergers tout contagieux de la joie du Royaume.
Amen.