Nous sommes des êtres de paroles (texte de Jean-Pierre Julian)
Jean 1 v 1 à 18
1 Nous sommes construits par des paroles qui nous précèdent, qui nous accompagnent et que nous formulons
Sœurs et frères en christ,
Nous sommes des êtres de paroles. Souvenons-nous, de notre petite enfance Souvenons-nous de nos premiers sons : nous babillons ! Puis petit à petit en écoutant les adultes autour de nous, nous prononçons des mots, puis des phrases, puis des idées dans des phrases, des émotions mais aussi des descriptions plus précises de ce qui nous entoure, et enfin des concepts.
Nous apprenons à force d’écoute attentive à découvrir ce que cherche à nous dire notre conjoint, notre ami, notre proche, notre frère en Christ, notre voisin. Nous reformulons parfois la phrase que nous avons entendue pour vérifier si nous avons bien compris la parole qui nous a été adressée.
Nous sommes des êtres de paroles. Bien entendu, nous écoutons et nous regardons aussi celui ou celle qui nous parle. Nous sommes attentifs à ses gestes aux expressions sur son visage. Nous sommes sensibles au ton de sa voix, à la puissance de celle-ci. Grâce à toutes ces observations nous arrivons à comprendre, en partie, ce qu’il ou elle nous dit. C’est aussi grâce à tout ce que nous connaissons de cette personne, celle que nous connaissons depuis peu comme celle que nous connaissons depuis fort longtemps, que nous nous faisons une idée, plus ou moins juste, de ce qu’elle cherche à nous dire.
Néanmoins, lorsque nous tendons l’oreille, nous sommes aussi remplis de préjugés sur la personne que nous écoutons. Bref, en tant que récepteur, nous ne sommes pas neutres. Que nous ayons eu des expériences heureuses ou malheureuse avec cette personne, elle représente, peut-être, par sa fonction, des expériences bonnes ou moins bonnes que nous avons vécues. De plus, notre histoire personnelle, familiale, sociétale, nos convictions politiques, philosophiques, religieuses alimentent notre grille d’interprétation lorsque nous écoutons une personne. Nous ne sommes pas neutres.
2 La parole Créatrice nous précède, nous créé, nous devance et nous transforme
Nous sommes des êtres de Parole. Le Dieu en qui nous mettons notre confiance, et à qui nous sommes fidèles, est lui aussi un être de Parole. Les premiers chapitres du livre de la Genèse décrivent notre Dieu comme une Parole créatrice ordonnançant la création tout entière. Ce Dieu Parole nous a donc créé, nous sommes une créature à son image et à sa ressemblance. Nous sommes des êtres de parole, créature d’une Parole créatrice. Toutefois, la Bible nous rappelle une chose essentielle, la chute de notre humanité : Les créatures que nous sommes, les êtres de parole que nous sommes se sont affranchis de la Parole créatrice, nous dit le chapitre 3 du livre de la Genèse. Depuis lors, nous vivons sans elle, coupés de cette Parole créatrice.
De ce fait, nous sommes des êtres de parole orphelin de la Parole Créatrice. Et nous cherchons par tous les moyens à combler ce manque. Nous désirons nous faire un nom auprès des autres ; nous courons après une belle image de nous-mêmes auprès de nos proches, et au-delà d’eux si nous avons de plus grandes ambitions. Nous désirons aussi laisser une trace de notre travail sur cette terre afin que l’on se souvienne de nous dans le domaine qui nous incombe. Nous nous épuisons, bien souvent, dans ces trois désirs que nous venons d’évoquer et nous sommes rarement pleinement satisfait de nous-mêmes. Il y a toujours quelque chose de bancal dans notre vie. Nous cherchons. Mais que cherchons nous ? En réalité, nous nous cherchons nous-mêmes. Nous cherchons à nous connaitre. Nous cherchons aussi à intensifier, par nos actes, notre sentiment d’exister à nos propres yeux et aux yeux des autres. La connaissance de nous-même et l’intensité de nos actions sont devenues, bien souvent, notre raison d’être, notre raison de vivre.
Un jour, un beau jour, nous entendons cette Parole créatrice dans l’Evangile selon Jean. Cette parole nous interpelle puis nous intrigue, puis, poussé par un je ne sais quoi, nous cherchons à mieux la comprendre : « Au commencement était la Parole, la Parole était auprès de Dieu. La Parole était Dieu. (…) Tout est venu à l’existence par elle. (…) La parole est devenue chair ; elle a fait sa demeure chez nous. » La Parole créatrice, celle qui nous a créé à son image et à sa ressemblance, voici qu’elle décide d’être l’un de nous. Nous voilà saisi par cette Parole. Elle va maintenant agir dans notre vie.
Les êtres de parole que nous sommes sont quelque peu surpris de la venue de cette Parole créatrice dans notre humanité. Le saisissement qu’elle suscite en nous, nous pousse à faire une pause dans notre quête de nous faire un nom, dans notre quête de nous fabriquer une belle image de nous-mêmes, dans notre quête de laisser une trace de nos œuvres sur cette terre, dans notre quête d’exister seulement, à nos propres yeux, par l’intensité de nos réflexions, de nos émotions, de nos actions. Et chose étonnante, nous sommes comme aimantés par cette Parole faite chair. Nous cherchons alors des réponses : Ce n’est pas tellement la question du comment qui nous interpelle. Comment est-ce possible que cette Parole créatrice se fasse chair ? Ce qui nous questionne le plus en profondeur, c’est le pour quoi ? Pour quoi cette Parole créatrice décide-t-elle de vivre ce que nous vivons ? Pourquoi nous pousse-t-elle à l’écouter, à la suivre ?
Certes nous sommes des êtres de paroles mais nous sommes aussi des êtres limités, faillibles, mortels. Nous naissons dans une famille, dans une société avec sa langue, sa culture. Durant notre existence plus ou moins longues, nous vivons toutes sortes de conflits en nous-mêmes, dans notre foyer, dans notre travail, dans notre pays et entre pays. Il y a fort heureusement des moments de bonheur dans cette vie, des moments d’amour, de beauté, de réussite. Toutefois, une question nous turlupine : quel intérêt trouve t’elle, cette Parole créatrice, à vivre ce que nous vivons et pourquoi nous attire-t-elle ainsi ? Pourquoi tout notre être la désire-elle ? Qu’elle est donc cette force attractive qui vit en elle ? Depuis que cette Parole créatrice nous a saisi, nous y revenons sans-cesse. Pourquoi ?
Nous sommes des êtres de paroles, nous avons été créés à l’image et à la ressemblance de cette Parole créatrice nous disent les trois premiers chapitres du livre de la Genèse et le prologue de l’évangile selon Jean. Lorsque cette Parole créatrice s’aventure au cœur de notre vie, lorsqu’elle nous rencontre et nous investit au plus intime de notre être, il se passe alors quelque chose dans notre vie. Cette quête de soi qui pourtant nous taraudait l’esprit depuis tant de siècle, cesse. Cette Parole créatrice nous pousse donc à faire une pause, à cesser cette quête absurde du Soi, du Moi. Et ce faisant, cette Parole créatrice indique et encourage notre esprit à regarder ailleurs. Elle lui révèle, d’une manière beaucoup plus claire, qu’elle est sa véritable quête, vers où notre esprit doit se diriger, vers où il doit s’orienter, avec qui il doit vivre.
Nous sommes des êtres de paroles et voilà que la Parole créatrice vient à notre rencontre en Jésus le Christ, un être humain. Notre regard spirituel est donc radicalement réorienté. Il vient se fixer maintenant sur cette Parole créatrice faite chair en Jésus le Christ. Nous sommes même intrigués par le nom de cette personne. Est-ce vraiment un nom ? Jésus qui veut dire Sauveur et Christ qui veut dire le choisi de Dieu. La parole faite chair est donc un choisi de Dieu qui est venue pour sauver. Sauver de quoi ? De qui ? Pour quoi ? Pour qui ? La venue de cette Parole créatrice en Jésus le Christ se place donc devant nous et cela nous intrigue, nous questionne.
Les êtres de paroles que nous sommes, constatons avec étonnement que notre ancienne quête de nous-mêmes, en vue de nous-même, pour nous-mêmes s’est transmuée d’une manière étonnante en une quête de ce Christ, de ce Jésus qui vient, de ce Père qui l’envoi, de cette Parole créatrice qui nous interpelle, de cet Esprit Saint d’une incroyable discrétion que nous avons reçue et qui nous guide. Notre cœur, bibliquement parlant, le siège de notre esprit et de nos pensées, était donc tourné vers lui-même, ne vivait qu’en lui-même, que pour lui-même. Il était dans l’incapacité de s’orienter vers une quelconque lumière. La Parole créatrice faite chair advint jusqu’à lui, en lui. Elle opéra alors ce retournement intérieur. Elle permit au cœur de se tourner résolument vers elle, vers la vie, vers l’Amour, vers la seule lumière. Notre cœur, siège de notre esprit et de nos pensées, fut littéralement retourné, cela équivaut à une nouvelle naissance. Notre cœur a entendu la Parole créatrice lui dire : « Réveilles-toi, toi qui dors. Réveilles-toi et suis-moi. »
Nous sommes toujours des êtres de paroles, mais nous sommes abreuvées et nourris maintenant par cette Parole créatrice faite chair, crucifiée, ressuscitée des morts, dispensatrice de l’Esprit Saint. Cette Parole créatrice nous révèle trois choses fondamentales : Premièrement, Elle nous apprend à vivre en Christ, c’est-à-dire, à prendre pleinement conscience que nous sommes réellement membres du corps du Christ, le ressuscité des morts, Celui qui a pris notre péché et qui l’a laissé dans la mort. Deuxièmement, cette Parole créatrice nous apprend aussi à vivre devant Dieu, c’est-à-dire à prendre pleinement conscience que le Père qui est aux cieux nous regarde à travers son Fils unique, celui qui a vaincu la mort, et qui nous a délivré de la puissance du péché et de l’adversaire. Le regard du Père nous concernant n’est qu’Amour. Troisièmement, Cette parole créatrice nous permet de marcher par l’Esprit Saint.
Nous sommes des êtres de paroles nées de nouveau en Christ Jésus et par l’Esprit Saint. Cette nouvelle naissance est vraiment une bonne nouvelle à partager avec le plus grand nombre. Il nous appartient de rencontrer les êtres de paroles que nous côtoyons chaque jour et le Seigneur nous envoi. Et, ce faisant, de témoigner de l’apprentissage dans lequel nous sommes avec cette Parole créatrice, en les invitant à venir se délecter avec nous pour, qu’avec eux, nous apprenions à l’écouter, à la suivre et être les témoins de Son Amour. Amen.
