PREDICATION 10 aout 2025 Temple Clermont l’Hérault
Lettre aux Hébreux 11.1-3, 8-16
Evangile de Luc 12.32-40
Chers frères et sœurs en Christ,
Aujourd’hui, Victoire reçoit, par le baptême, le même Royaume que Jésus a promis à son petit troupeau.
« Ne crains pas, petit troupeau, car ton Père a trouvé bon de te donner le Royaume »
Ces mots sont comme une clarté dans l’obscurité de notre temps. Jésus nous parle non comme un maître lointain, mais comme un berger tendre. Il nous appelle « petit troupeau », non pour souligner notre faiblesse, mais pour nous rappeler combien nous lui sommes chers. Et ce qu’il nous annonce n’est pas une menace ou un devoir supplémentaire. Il nous annonce un cadeau, un don. Le Royaume n’est pas une récompense à mériter. Il est offert, dès maintenant, à ceux qui veulent vivre dans la foi.
Convenons alors que le plus grand risque dans la vie spirituelle n’est pas de manquer quelque chose que Dieu ne donnerait pas, mais de ne pas voir ce qu’il est déjà en train de donner. Autrement dit, il ne s’agit pas seulement de regarder vers le ciel, derrière les nuages… mais de vivre, sur terre, là où nous sommes et tel que nous sommes, avec des yeux ouverts et un cœur en éveil. Le Royaume qui nous est offert, est en germe dans chaque instant de notre existence. Il ne s’impose pas, il se reçoit tout simplement par l’amour, la simplicité, l’espérance.
« Ne crains point, petit troupeau, car ton Père a trouvé bon de te donner le Royaume. »
« Ton Père a trouvé bon… » Cette expression dit tout. Elle révèle le cœur de Dieu. Il ne donne pas par devoir, ni à contre-cœur. Il ne distribue pas ses dons selon notre mérite ou nos performances spirituelles. Il donne parce qu’il aime donner. Il trouve bon de nous faire grâce. Donc, il prend plaisir à partager son Royaume avec ses enfants. Il ne s’agit pas d’un privilège réservé aux forts, aux saints, aux parfaits, mais d’un don confié à des « petits » — ce petit troupeau, fragile, peut-être, mais dans tous les cas chéri.
Et ce Royaume, dont Jésus parle sans cesse, c’est la présence vivante de Dieu à l’œuvre dans chacune de nos existences. C’est sa paix, son amour qui habitent notre quotidien. C’est un règne qui prend racine dans les cœurs ouverts, dans les gestes de compassion. Ce Royaume-là n’attend pas la fin des temps pour se manifester. Il commence dès maintenant, dans chaque vie qui ose se tourner, avec foi, vers le Père… Avec cette foi, dont Paul dans sa lettre aux Hébreux, nous dit que c’est le moyen de posséder déjà ce qu’on espère.
Il est donc étonnant que nous en arrivions à vivre comme s’il fallait d’abord mériter ce royaume. Comme s’il fallait faire nos preuves, devenir irréprochables, accumuler des prières.
Jésus balaie cette logique : « Sois tranquille, ton Père trouve bon de te donner le Royaume ». C’est une promesse scellée, irrévocable.
Ce qui revient à dire que vivre le Royaume aujourd’hui, c’est participer à écrire notre propre chapitre dans le livre de l’histoire de Dieu avec notre monde. Ce livre toujours ouvert, toujours en cours, où chaque vie devient une ligne, chaque acte de foi une phrase, chaque geste d’amour une ponctuation de l’Évangile en action. Nous sommes tous appelés à entrer dans cette lignée des témoins, de tous ceux dont parle la lettre aux Hébreux, de ceux qui, par leur foi, ont façonné l’invisible et semé le Royaume là où tout semblait stérile. Témoins qui, à présent, nous passent la plume pour que nous devenions, à notre tour, des écrivains vivants de l’Evangile du Christ éternel. Non pas pour contempler ce Royaume de loin, comme une promesse suspendue, mais pour vraiment l’incarner ici et maintenant. Pour que l’amour de Dieu régisse nos relations. Pour que sa paix habite nos décisions. Pour que sa lumière éclaire notre manière d’habiter le quotidien. Car il ne peut y avoir de prière vraie sans incarnation : toute spiritualité authentique finit toujours par prendre corps dans le moindre de nos actes. Alors, il ne s’agit pas de courir après une bénédiction lointaine, mais de reconnaître et de recevoir une réalité présente : le Royaume est là. Le Père nous l’a confié. C’est notre héritage.
Et pourtant, juste après avoir affirmé ce don royal, Jésus prononce une parole qui a souvent été source d’incompréhension, voire d’inquiétude :
« Vendez ce que vous possédez et donnez-le en aumône. Faites-vous des bourses qui ne s’usent pas… Car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur. »
Combien de fois ces mots ont été entendus comme une exigence rude, un programme moral lourd, un appel à l’ascèse qui pourrait, à force de renoncements, nous faire mériter un Royaume déjà donné ? Et pourtant, dans la logique même de Jésus, il ne s’agit pas d’un nouveau fardeau, mais d’une clé, d’ne ouverture, d’un dépouillement libérateur.
Car si le Royaume est un don, alors ce n’est pas une richesse à acheter, mais un espace à accueillir. Et pour cela, le cœur, notre coeur doit être libre. Le danger, ce n’est pas que Dieu retienne ses dons — il a déjà trouvé bon de nous les donner. Le vrai danger, c’est que nous n’ayons plus de place pour les recevoir. Trop encombrés de sécurités, trop attachés à nos biens, trop pris par nos propres trésors, nous risquons de devenir aveugles au trésor véritable, celui que Dieu nous tend avec bienveillance. Ce que Jésus désigne ici, ce n’est pas un seuil de sacrifice, c’est un seuil de liberté. Il ne dit pas : souffrez pour être dignes, il dit : « libérez-vous pour être disponibles. »
« Car là où est ton trésor… là aussi est ton cœur. »
Entendons bien tant cette phrase est décisive. C’est presque une loi spirituelle : notre cœur suit ce que nous valorisons. Si notre trésor est terrestre, notre cœur est prisonnier de ce qui passe. Si notre trésor est céleste, notre cœur devient libre pour aimer et alors une autre attitude devient possible.
« Tenez vos ceintures serrées, et vos lampes allumées… Heureux ces serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera veillant. »
Les images sont fortes. Ce sont les signes d’un cœur qui ne dort pas sur ses acquis, qui ne se laisse pas endormir par l’habitude ou par la distraction. La veille devient alors une manière de vivre chaque instant comme un moment de possible rencontre, comme un seuil. Et l’attente devient alors une manière active d’être présent à un absent. La veille n’est donc pas une échappatoire du présent, mais une intensification de la relation. Et l’intensification de la relation c’est vivre chaque jour dans une attention pleine et aimante, dans une foi active qui voit Dieu dans l’ordinaire, dans une espérance qui attend Dieu au cœur du quotidien.
Et l’extraordinaire, alors, c’est l’inouïe, l’inimaginable, l’inespéré à travers un inattendu tant attendu… : ce n’est pas le serviteur qui sert son maître, mais le maître qui, trouvant ses serviteurs éveillés, les fait asseoir à table et vient les servir lui-même. Il y a là un écho direct de la dernière Cène, de la croix, de l’humilité de Dieu. Cette promesse bouleverse toutes les hiérarchies à savoir que Dieu, à savoir que l’origine de toute chose se fait serviteur de ceux qui l’attendent avec amour. Dieu nous voit tellement importants, tellement beaux qu’il se met en tenue de service. Ce n’est pas la grandeur de notre veille qui le touche, mais l’intensité de notre désir et de notre espérance.
Et pour que nous comprenions bine, Jésus nous parle alors de cette présence de Dieu dans le quotidien, de cette venue discrète qui peut prendre la forme d’un geste, d’un silence, d’un appel, d’un pauvre qui frappe, d’une paix intérieure inattendue.
« Vous aussi, tenez-vous prêts, car le Fils de l’homme viendra à l’heure que vous ne pensez pas. ».
Entendons bien cela. Jésus n’oppose pas le ciel à la terre, mais révèle le ciel dans la terre, à ceux qui ont des yeux pour voir et surtout un cœur pour accueillir.
Aujourd’hui l’Evangile nous dit que l’heure n’a plus le temps. Jésus nous dit simplement que quand on connaît l’heure on attend l‘heure au lieu d’etre en attente de celui qui vient tant il est déjà là.
Aujourd’hui l’Evangile invite chacun à vivre chaque instant avec l’intensité de celui qui peut rencontrer Dieu. Le Royaume ne flotte pas au-dessus de nos vies ; il les pénètre. Il n’est pas suspendu dans un avenir lointain ; il s’infiltre dans nos relations, nos décisions, nos sourires, nos pleurs, nos choix les plus simples.
Aujourd’hui l’Evangile ne nous demande pas d’être des disciples du Ressuscité. Il nous invite à être, au delà du temps, des vivants de la Résurrection. Des vivants qui comprenons que le Royaume n’est pas une doctrine, mais une dynamique de vie. Car ceux qui veillent ne fuient pas la vie.
Au contraire, ils vivent l’ordinaire avec la solennité de ceux qui savent que l’éternité peut se glisser dans un repas partagé, un pardon donné, un sourire échangé, une prière simplement et doucement murmurée. Et dire et répéter comme nous le faisons dans la prière « que ton règne vienne… » ce n’est pas ressasser un slogan, c’est découvrir notre géographie intérieure. Une géographie intérieure qui ne nous enferme pas dans l’attente du ciel, mais nous envoie sur les routes du monde.
Aujourd’hui l’Evangile nous dit que ce qui compte, ce n’est pas de tout prévoir, mais d’être prêt dans l’amour. Ce n’est pas de surveiller les signes, mais de se tenir disponible. Prêt, non parce qu’on a peur d’être pris au dépourvu, mais parce qu’on a soif de reconnaître enfin celui qui frappe.
Alors la veille devient un art de vivre. Et le présent, un espace sacré où effectivement l’heure n’a plus le temps.
Car tout instant peut devenir le lieu d’une rencontre, et toute vie, le lieu du Royaume de Dieu .
Alors, en accueillant le Royaume aujourd’hui, nous accueillons déjà Celui qui vient — et c’est Lui qui nous sert, nous bénit et nous garde pour toujours.
Amen
Pasteur Jean-Paul Nunez