Culte avec Karine Michel

Un dernier culte proposé par Karine Michel, notre stagiaire-pasteur dans notre paroisse avant son départ.

Nous lui souhaitons bon vent pour ses voiles !

Voici sa prédication:

Marc 4, 35-41

La πίστις : conséquence de la reconnaissance de l’identité de Jésus

35 Le soir de ce jour étant venu, il leur dit : « Passons de l’autre côté ». 36 Alors, laissant la foule, ils l’emmènent comme il était dans la barque, et d’autres barques étaient avec lui. 37 Or, une grande tempête survient, et les vagues se jetaient sur la barque, de telle sorte que déjà la barque se remplissait. 38 Et lui était à l’arrière sur le coussin, dormant. Alors ils le réveillent et lui disent : « Maître, cela ne te préoccupe pas que nous périssions ? »39 Réveillé, il enjoint au vent et dit à la mer : « Tais-toi ! Musèle-toi ! ». Alors le vent cesse et un grand calme survient. 40 Il leur dit : « Pourquoi êtes-vous craintifs ? N’avez-vous pas encore foi ? » 41 Alors, ils sont saisis d’une grande crainte, et ils se disaient les uns aux autres : « Qui donc est-il que et le vent et la mer lui obéissent ? »

Nous avons toutes et tous connu des tempêtes, et nous en connaîtrons d’autres. Constat un peu négatif, amer – certes – mais réaliste. Comme le dit l’adage, la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Relations familiales compliquées, amours déçues, travail difficile ou non reconnu, finances qui laissent à désirer, etc. La vie est pleine de tempêtes, nous le savons toutes et tous.

Ce récit de l’évangile selon Marc nous donne à lire la manière dont Jésus et les disciples vivent une tempête. Si la tempête est ici réelle – événement naturel physique – ce texte nous met inévitablement face aux tempêtes de nos vies. Et ce récit interroge notre manière d’y répondre, de les traverser, de les vivre.

Reprenons le récit. L’histoire parait simple, c’est même une scène habituelle pour qui vient comme moi d’une région de pêche. Jésus et ses disciples sont sur une barque, une tempête survient. La mer se déchaîne et les marins – ici les disciples – cherchent un moyen de traverser la tempête. Volonté tout humaine. Et on imagine bien combien tous s’activent sur cette barque, cherchant que faire pour éviter le pire. Tous ? Non… Car Jésus, lui, dort tranquillement sur un coussin. Alors que tout autour de lui s’affole – les éléments, les disciples – son attitude est étonnante. Il dort. Cette attitude est même plutôt énervante pour ses compagnons, qui s’insurgent : « Maître, cela ne te préoccupe pas que nous périssions ? », ce qui ressemble à un reproche et que l’on pourrait tout aussi bien imaginer comme « comment peux-tu dormir plutôt que de te préoccuper de notre sort ? »

C’est un cri qui sort de la bouche des disciples. Un cri comme on en trouve dans les Psaumes. Où est Dieu, que fait-il ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit.

En effet, les disciples ont déjà vu Jésus à l’œuvre, son ministère a déjà démarré, dès le chapitre 1 de l’évangile selon Marc. Jésus a déjà exorcisé, guérit, enseigné. Les disciples ont donc déjà commencé à entrevoir qui ils ont à leur côté. Ils savent déjà que Jésus a pouvoir sur les forces asservissantes qui possèdent l’humain.

Et pourtant, les disciples n’arrivent pas, ne sont pas en capacité de garder confiance. Car c’est à cela que l’attitude de Jésus dormant sur son coussin, tranquillement, les invite, à une vie à travers la tempête, dans la confiance. Car à ce stade du récit, les disciples ont bien conscience que Jésus possède une autorité libératrice, qu’ils ont vu à l’œuvre dans l’exorcisme du possédé de Capharnaüm. C’est même le 1er geste thérapeutique du ministère de Jésus. Il exorcise un homme, en ordonnant avec autorité à ce qui le possède de le laisser.

Alors, comment interpréter cette réaction des disciples, cette incapacité à garder confiance dans la tempête ?

Pour cela, je vous propose de nous arrêter ensemble sur deux points.

Le premier point que j’aimerais souligner, c’est la manière dont les disciples s’adressent à Jésus sur cette barque. Quand la tempête se manifeste, les disciples ont pour première réaction de réveiller Jésus. C’est donc qu’ils espèrent le voir faire quelque chose pour améliorer leur sort, qu’ils l’estiment en capacité de produire une action pouvant transformer le cours des événements.

Mais dans le même temps, ils l’interpellent par le terme διδασκαλε, qui se traduit par « Maître ». Cette dénomination semble marquer qu’ils ne font pas ici appel à celui qu’ils ont déjà vu accomplir des miracles, les guérisons et l’exorcisme évoqués plus tôt, mais bien à celui qui les enseigne. Leurs motivations quant au réveil de Jésus demeurent floues, qu’attendent-ils exactement de lui ? Le texte ne le dit pas. Mais il semble qu’ils en appellent ici à leur enseignant, et non au thaumaturge ayant autorité sur les puissances du monde.

Cela est plutôt clair, ils sont encore aux prises avec la question de l’identité de Jésus. Car c’est bien ce qui est en jeu dans ce texte, l’identité de Jésus. Et c’est d’autant plus clair que la question restera encore problématique pour eux, même après qu’il est calmé la tempête, puisqu’ils se demandent : « Qui donc est-il que et le vent et la mer lui obéissent ? »

Les traditions littéraires antérieures à la rédaction de l’évangile selon Marc peuvent nous aider à comprendre ce point.

En effet, la tradition littéraire juive offre des récits d’action salvifique de Dieu en faveur des humains, dont ce que l’on appelle le « miracle sur la nature » est une expression. On trouve par exemple dans la Mishna un récit dans lequel Dieu, sur demande du personnage Honi, fait pleuvoir sur le monde.

De la même manière l’Ancien Testament nous présente un récit, celui de Jonas, qui intercède auprès de Dieu pour qu’il calme la tempête dans laquelle lui et les marins sont embarqués. Dans l’Ancien Testament, la mer est souvent présentée comme le lieu du chaos et de l’incontrôlable, sur lequel seul Dieu a le pouvoir. Le Psaume 65 (v. 8) en donne un bel exemple : « il apaise le mugissement des mers, le mugissement de leurs flots, et le tumulte des peuples ». La mer est également présentée comme un lieu inquiétant, demeure des démons et autres monstres marins, comme l’exprime le Psaume 78 (v. 13-14a) : « C’est toi qui a fendu la mer par ta puissance, tu as brisé les têtes des dragons sur les eaux ; c’est toi qui a écrasé les têtes de Léviathan » ou encore dans le livre d’Esaïe (27,1) : « En ce jour-là, le Seigneur fera rendre des comptes, avec son épée acérée, grande et puissante, à Léviathan le serpent fuyard, à Léviathan le serpent tortueux, et il tuera le dragon qui est dans la mer ».

Les évangiles reprennent cette thématique de la puissance divine sur les éléments naturels, dans plusieurs récits où Jésus permet la fameuse pêche miraculeuse (Lc 5 et Jean 21), où il marche sur l’eau dans la tempête (Mc 6, Mt 14 et Jn 6).

Qu’est-ce que cela nous apprend ? Que notre texte souligne la puissance de Jésus sur la tempête, puissance qui est d’ordre divin. Seul Dieu a pouvoir sur les éléments et c’est donc par puissance divine que Jésus calme la tempête. C’est donc bien la question de l’identité de Jésus qui se joue là : il est lui-même divin.

Or, nos chers disciples ne reconnaissent pas cela, puisqu’ils s’adressent à lui comme maître et non comme Seigneur (terme qui d’ailleurs est employé pour le même récit dans l’évangile selon Matthieu). Les disciples sont donc, malgré toutes les preuves qu’ils ont déjà eues, bien en peine de répondre à cette question : qui est Jésus ?

Me voici à mon second point. Les disciples sont encore indécis sur cette question de l’identité de celui avec qui ils sont à bord de cette barque, alors même qu’on s’attend à ce qu’ils aient πιστις, c’est-à-dire foi. En effet, ils ont assisté à un exorcisme, des guérisons et ils ont reçu à la fois un enseignement en parabole en compagnie de la foule mais également un enseignement privé. Tout cela est raconté au chapitre 1 de l’évangile de Marc. Il semble qu’ils devraient avoir foi en celui qui est à leurs côtés. Malgré tout cela, ils n’ont toujours pas foi, car ils n’ont pas encore reconnu l’identité divine de Jésus. S’ils savaient qui est avec eux dans cette barque au milieu de la tempête, on peut penser qu’ils ne seraient pas craintifs et n’auraient pas réagi ainsi face à la tempête, ni face à la puissance de Jésus. Et c’est bien le sens de l’interrogation que leur soumet Jésus : « Pourquoi êtes-vous craintifs ? N’avez-vous pas encore foi ? »

Or, nous lectrices et lecteurs de ce texte, à ce stade du récit, nous en savons plus que les disciples. Nous avons lu tout le chapitre 1 et donc eu récit de tout ce que les disciples ont vu et entendu. Mais nous avons une information supplémentaire – et pas des moindres : nous savons qui est Jésus. Nous avons connaissance de son identité divine. Eh oui ! C’est par la mention claire, nette et précise de l’identité de Jésus que Marc démarre son évangile : au 1er verset du 1er chapitre, l’auteur nous annonce que ce texte est le « commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, fils de Dieu. » On ne peut pas être plus clair.

Nous savons que Jésus est fils de Dieu, nous savons qu’il est cette puissance divine que les disciples ont tant de mal à reconnaître. Et pourtant, nous aussi, malgré cette information supplémentaire, nous paniquons dans nos tempêtes et nous avons parfois l’impression que Dieu dort plutôt que de se préoccuper de notre sort.

Ce n’est bien sûr pas l’idée de se flageller, de se penser nullissime parce qu’incapable de la confiance qu’est la foi. Non, bien sûr. Mais reconnaissons qu’à la lecture de ce texte, nous avons envie de dire aux disciples de ne pas paniquer, car ils ont Jésus avec eux. Et peut-être est-ce à nous-mêmes que nous devrions adresser ce message, avec bienveillance et un peu d’humour. Car il s’agit bien de lâcher-prise, d’abandonner nos craintes dans la tempête, de déverrouiller ce qui nous lie et nous emprisonne pour les déposer devant notre Seigneur, Jésus Christ, fils de Dieu.

Ce que ce récit raconte par fiction littéraire, c’est la manière dont, malgré la présence de celui dont ils devraient déjà savoir qu’il a puissance sur toutes choses, les disciples sont renvoyés à leur incompréhension et leur crainte tout humaine, face au danger et à la mort.

Ce qui est souligné ici, c’est bien la relation des disciples à la figure de Jésus et leur reconnaissance ou non de son identité.

Chacune et chacun d’entre nous qui sommes lecteurs de ce texte, nous sommes donc dans la position de celui qui sait, depuis le début, qui est Jésus. Nous sommes ceux qui avons en main toutes les cartes pour vivre nos tempêtes sans inquiétude car nous savons que nous sommes accompagnés, à chaque instant, par celui qui peut tout. Tout.

Et pourtant, nos réactions humaines nous placent très souvent dans la position des disciples : nous avons peur dans la tempête. Alors même que l’on sait qui est Jésus, que l’on sait qu’il est là, alors même que nous avons foi. Est-ce grave ? Non. Mais interrogeons-nous sur ce qu’est cette foi.

Au fond, la symbolique de Jésus dormant n’est pas la marque d’un Dieu absent et qui ne se soucie pas du sort des humains, mais celle d’une foi endormie et qu’il s’agit de réveiller. Cette foi est à la fois une confiance en la protection divine mais également une confiance en Jésus, en son autorité.

En effet, « celui qui a découvert l’identité de Jésus ne peut qu’en tirer la conclusion pour sa propre vie : être disciple, c’est mettre ses pas dans ceux de Jésus, Christ, fils de Dieu » (François Brossier). Et j’extrapole un peu, c’est donc, comme Jésus, dormir pendant la tempête et ne s’inquiéter de rien, avancer sur un chemin de vie en sachant Dieu présent et fidèle.

Ce récit nous invite à réfléchir à ce que cela veut dire d’être vivant à la sortie d’une situation dont on a pu penser qu’elle allait potentiellement nous tuer, réellement ou symboliquement.

Par la figure collective des disciples et par le cheminement proposé à nous lectrices et lecteurs, l’évangile selon Marc nous rappelle ici la Bonne Nouvelle, ce en quoi nous croyons : rien ne nous séparera de l’amour de Dieu, amour assez puissant pour relever Christ des morts. Ni les tempêtes, ni les crises diverses, ni même la mort. L’amour de Dieu ne nous sépare peut-être pas de la tempête, mais la tempête, elle, ne peut pas nous séparer de l’amour de Dieu. Et la foi, c’est une confiance en cela, que l’amour de Dieu est fidèle, toujours présent même quand la barque tangue, que tout semble s’agiter autour de nous et que nos vies sont des tempêtes.

Amen.

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