Prédication du 22/03/20

Ephesiens 5.8-12 : Autrefois vous étiez ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur. Marchez comme des enfants de lumière ! Car le fruit de la lumière consiste en toute sorte de bonté, de justice et de vérité. Examinez ce qui est agréable au Seigneur; et ne prenez point part aux oeuvres infructueuses des ténèbres, mais plutôt condamnez-les. Car il est honteux de dire ce qu’ils font en secret; mais tout ce qui est condamné est manifesté par la lumière, car tout ce qui est manifesté est lumière. C’est pour cela qu’il est dit : Réveille-toi, toi qui dors, Relève-toi d’entre les morts, Et Christ t’éclairera.

Chers frères et soeurs en Christ,

« Réveille-toi, toi qui dors, Relève-toi d’entre les morts, Et alors Christ t’illuminera. »
Quelle magnifique exhortation en ces temps difficiles. Ce que dit Paul, il ne l’a pas inventé… puisque juste avant il énonce « C’est pourquoi il est dit ». Son propos est donc certainement la reprise d’un refrain bien connu, peut-être l’extrait d’un cantique ou d’un chant de ralliement des premiers frères chrétiens :
« Réveille-toi, toi qui dors, Relève-toi d’entre les morts, Et alors Christ t’illuminera. »
En disant cela, Paul nous rappelle que de tout temps et en toutes circonstances nous avons tendance non seulement à nous endormir mais de surcroît à nous complaire dans les logiques mortifères tant nos consciences humaines sont anesthésiées.
Paul nous le rappelle souvent. Aussi ses exhortations à nous réveiller et à nous relever ne manquent pas. « Frères, dit-il aux romains, c’est l’heure de vous réveiller du sommeil.. car le salut est là.» « Réveillez-vous pour vivre justement » exhortera-t’il encore aux corinthiens.
Pour autant, la question est bien de savoir comment se réveiller et se relever. N’en doutons jamais : la réponse se trouve et vit dans le creux de notre liberté et même plus précisément dans le creux de notre liberté chrétienne. C’est à dire dans notre intériorité, là où se conçoivent nos options de vie chrétienne c’est à dire dans notre conscience, dans notre capacité à penser et à agir. L’étincelle, la lumière qui éclaire et suscite notre foi en Christ jaillit de notre intériorité. Ainsi, l’issue d’une épreuve quelle quelle soit, commence par une action intérieure éclairée par la foi. L’issue d’une épreuve commence à partir des forces spirituelles présentes en soi, que la foi peut ranimer, rassembler, dynamiser en un mot « réveiller ». Et, Paul ne nous dit pas autre chose : « Frères et sœurs, vous n’êtes pas dans les ténèbres. Parce que vous êtes éclairés par le Seigneur, alors comportez vous comme des enfants de lumière… Et, cessez, renoncez à vous laisser gangréner par la gestuelle des ténèbres »
A sa façon, Pierre nous l’explique dans une de ces lettres : « Je réveille, nous dit-il, votre pure intelligence en rappelant ces choses à votre mémoire, afin que vous vous souveniez des paroles qui vous ont été dites… ». Effectivement la ressource du réveil, la force du relèvement c’est, et cela reste, « les paroles qui nous ont été dites ». C’est, et cela reste, la Parole, la Parole vive rappelée sans cesse et tout le temps. C’est bien ce qui est nécessaire aujourd’hui. Nous avons souvent l’impression d’être particulièrement réveillés pour cultiver et étaler notre intelligence naturelle ou académique mais nous le sommes généralement beaucoup moins pour ce qui est de notre intelligence spirituelle surtout quand les temps sont difficiles comme ceux que nous vivons, ces temps difficiles où nous sommes désormais «confinés »… Et même doublement « confinés » en étant trop souvent devant un écran qui remplit l’espace vacant à grand débit.
N’en doutons pas, quelles que soient les circonstances du moment, il n’y a pas d’autre moyen de réveiller notre « intelligence spirituelle » que l’écoute de la Parole, avec le secours de l’Esprit, jointe à la prière. Il est étonnant et paradoxal de réaliser qu’au fond se réveiller et se relever en situation de confinement et de distanciation sociale, en situation de quarantaine donc d’isolement impose une expérience du vide. Dans tous les cas, il ne faut pas faire comme la connexion intégrale nous y incite sans cesse et sur tous les écrans à savoir remplir tout avec n’importe quoi. Ceux qui peuvent nous éclairer en ces temps sont ceux qui comme toutes les communautés monastiques et mystiques s’y connaissent dans la dialectique du tout et du rien, en commençant par faire ce que nous ne faisons pas et que nous avons beaucoup de mal à faire : Se taire. Se taire pour découvrir, comme l’écrit Novalis « le siège de l’âme qui est là où le monde intérieur touche le monde extérieur ». Se taire pour prendre le temps d’écouter tous les témoins, qui depuis Moïse et les prophètes, inspirent notre foi et nous motivent, et donc nous réveillent et nous relèvent en toutes circonstances. D’ailleurs, nous avons là, à notre disposition depuis des millénaires, le premier des antidotes à l’assaut des plaies et des virus quels qu’ils soient et qui commencent toujours par l’envahissement de la pensée ce que le langage des psychologues appelle « l’anxiété ».

Il est étonnant de retrouver chez Victor Hugo, lors d’une séance à l’Assemblée une exégèse de l’exhortation de Paul : « La grande erreur de notre temps, dit l’écrivain aux parlementaires, a été de pencher, je dis plus : de courber l’esprit des hommes vers la recherche du bien-être matériel, et de les détourner par conséquent du bien-être religieux et du bien-être intellectuel. […] Il importe, messieurs, de remédier au mal, il faut redresser, pour ainsi dire, l’esprit de l’homme ; […] il faut relever l’esprit de l’homme, le tourner vers Dieu, vers la conscience, vers le beau, vers le juste et le vrai, vers le désintéressé et le grand. C’est là, et seulement là, que vous trouverez la paix de l’homme avec lui-même, et par conséquent la paix de l’homme avec la société ».
Les mots du grand humaniste nous éclairent et nous rendent attentifs à ce que nous dit Paul pour nous rappeler que les deux seuls moyens pour produire les réveils spirituels demeurent toujours l’écoute de la Parole et la prière.C’est bien en nous réveillant, en nous relevant grâce à ces deux ressources que nous pourrons alors rejeter les œuvres des ténèbres. Et alors, nous pourrons marcher effectivement comme des enfants de lumière, soigneusement, comme étant sages et en saisissant l’occasion parce que justement les jours sont particulièrement mauvais.
Les jours sont mauvais parce que là, aujourd’hui, devant un monde qui vient de changer en si peu de temps… chacun de nous assiste littéralement au « bouleversement », de sa propre vie sociale comme de sa vie communautaire.
Pour autant, il y a quelque chose que nous pouvons partager. Ce que nous pouvons partager c’est ce qui traverse chaque croyant. Ce que nous pouvons partager c’est comment nous comprenons psychologiquement, spirituellement et personnellement, ce que Dieu essaie de nous dire. Mais attention en disant cela, en utilisant l’expression « ce que Dieu essaie de nous dire » , il ne faut pas en conclure, comme certains le font, que Dieu fait que la souffrance nous enseigne ce que doit être le monde. En faisant l’expérience de ce qui se passe, en ayant tous accès, d’une façon ou d’une autre à cette souffrance, qui contourne âges, sexes, religions, peuples ainsi que nations, nous sommes au milieu d’un moment propice à l’apprentissage. Il ne fait aucun doute que cette période nous allons l’évoquer longtemps et même pour le reste de notre vie…
Mais pour que Dieu nous atteigne, n’en déplaise à quiconque, nous devons permettre à la souffrance de nous blesser. Comprenons par là que le moment difficile que nous sommes en train de vivre n’est plus celui d’une relation académique avec le monde. Cette relation doit se faire sentir, alors, nous devons la sentir. C’est le vrai sens du mot «souffrir». A savoir « endurer en partageant » pour permettre à la douleur de quelqu’un d’autre de nous influencer et de nous toucher de manière réelle. La souffrance que vie le monde en ce moment doit nous blesser parce que nous devons aller au-delà de nos propres sentiments personnels et prendre le tout. Ce qui commence déjà à être le cas. Aujourd’hui, nos sentiments d’urgence et de dévastation ne sont pas exagérés. Ils répondent à la situation humaine réelle. Nous ne sommes pas en train d’appuyer sur un quelconque bouton de panique car chacun de nous est désormais devenu le bouton de panique. En fait, nous sommes la solution, puisque c’est nous qui avons créé le problème. Ne nous soustrayons pas à la tâche en rétorquant, non sans raison, que les principaux fautifs sont les détenteurs du pouvoir, les décideurs financiers, économiques, politiques. Cela est juste évidemment, dans le sens que c’est sans nul doute à eux prioritairement qu’il revient d’agir à la hauteur de leurs capacités décisionnaires. Pour autant, sans l’implication de chacun et une mobilisation générale débitrice de tous, il est impossible de parvenir à une issue littéralement « salutaire ». Notre condition humaine est ainsi faite : nous héritons de ce que nous ont légué nos anciens. Pour le meilleur et pour le pire, nous avons hérité. Et nous ferons de la génération suivante l’héritière de ce que nous aurons fait ou pas fait. Mais à aucun moment nous ne pouvons pas nous exonérer d’un devoir de responsabilité humaine sur l’état sociétal de notre temps, même si nous ne l’avons pas choisi pour autant.
A lors, à l’écoute de la Parole et dans la prière, accueillons la pression de l’événement redoutable que nous sommes en train de vivre comme une opportunité providentielle pour nous réveiller en conséquence afin que, comme Paul nous le dit « Christ nous illumine ». Ce moment dont nous ne savons pas encore ce qui’l adviendra, est propice au réveil intérieur. Particulièrement en ce temps de Carême qui nous amène à la Passion et au cri du crucifié : «Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?». Ces mots nous rappellent que malgré lui le scribe du livre a témoigné du cri le plus humain qui puisse jamais être crié après Job. En assumant sa mort, Christ nous donne l’exemple le plus haut en accomplissant le plus grand mystère. Et ce mystère est le plus ordinaire, celui d’une existence humaine que la puissance de Dieu peut seule remplir. Là où le fils de Dieu est passé, chacun de nous doit passer; parce qu’il est né, mais aussi parce qu’il doit renaître. Celui qui vit, meurt ; mais, soyons sûr, que le sépulcre est bien et sera toujours le lieu de la résurrection.
Alors, ne soyons pas accablé par ce temps, ne soyons pas réduit à la gestuelle des ténèbres… N’attendons plus et faisons simplement notre la Parole vive et la prière :
 « Réveille-toi, toi qui dors, Relève-toi d’entre les morts, Et alors Christ t’illuminera. »
Amen

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