A l’occasion de travaux de rénovations (et donc de changements éventuels) dans le tempIe, il est étonnant de voir émerger pour certains membres de la communauté, une « liaison amoureuse » avec les pierres qui se devraient d’être inamovible dans le temps . Ces pensées « amoureuses » n’ont pourtant strictement rien à voir avec la foi chrétienne du Nouveau Testament. Elles reflètent plutôt l’idéologie des autres religions, principalement celle du judaïsme et même du paganisme.
Effectivement, le judaïsme primitif était centré sur trois éléments : Le temple, le sacerdoce, et le sacrifice.
Lorsque Jésus est venu, il a mis fin à cela, en les personnifiant lui-même. Jésus s’est voulu le temple incarné en une maison nouvelle et pleine de vie, faite de pierres vivantes… De surcroît, comme l’explique bien Paul, il est le prêtre ayant établi un nouveau sacerdoce. En conséquence, le temple, le sacerdoce, et le sacrifice du judaïsme sont tous accomplis en la venue de Jésus-Christ.
Dans le paganisme Gréco-romain, ceux que la tradition appelle les païens avaient leurs temples, leurs prêtres, et leurs sacrifices.
On peut dire à juste titre que le christianisme fut la première religion ayant jamais émergé sans aucun temple. Dans l’esprit des premiers chrétiens ce sont les personnes qui constituent un endroit sacré et non l’architecture. Les premiers chrétiens avaient compris qu’ils formaient eux-mêmes « collectivement » le temple et la maison de Dieu.
Ainsi, les premiers chrétiens croyaient que Jésus est la présence même de Dieu et que le corps du Christ, l’Église, constitue un temple.
Il est à remarquer que dans le NT nous ne trouvons nulle part les termes « église » (ekklesia), « temple, » ou « maison de Dieu » associés à un bâtiment.
La première mention de l’ekklesia (église) se rapportant à un endroit de réunion chrétien a été écrite autour de l’an 190 par Clément d’Alexandrie (150-215). Clément est la première personne à employer l’expression « aller à l’Église ». Dans tout le Nouveau Testament, l’ekklesia se rapporte toujours à un ensemble de personnes, et non à un endroit. Dans chacune de ses 114 apparitions dans le Nouveau Testament, le terme Ekklesia, se réfère à une assemblée de personnes. Néanmoins, la locution de Clément « aller à l’Église » ne se réfère pas à un bâtiment particulier pour le culte. Elle vise plutôt une maison privée dont les chrétiens du 2ème siècle se servaient pour leurs réunions.
Alors que les rassemblements chrétiens augmentaient en effectifs, ils transformèrent leurs maisons pour les adapter à leur nombre grandissant. L’une des trouvailles archéologiques les plus exceptionnelles est la maison de Doura-Europos en Syrie moderne. C’est la plus ancienne place de réunion chrétienne identifiable. Il s’agit simplement d’une maison privée remodelée en lieu de rassemblement chrétien, aux alentours de l’an 232.
La maison de Doura-Europos consistait essentiellement en un bâtiment dont un mur avait été abattu entre deux chambres à coucher pour créer une grande salle de séjour. Grâce à cette modification, la maison pouvait accueillir environ soixante-dix personnes. Des maisons transformées comme celle de Doura-Europos ne peuvent légitimement être qualifiées de « bâtiments d’église. » Elles étaient simplement des maisons aménagées pour s’adapter à de plus grandes assemblées. De plus, ces maisons n’ont jamais été appelées « temples, » terme employé par les païens et les juifs pour leurs lieux sacrés.
En l’an 312 de notre ère, Constantin est devenu le César de l’Empire occidental. Vers l’an 324, il est devenu empereur de tout l’Empire Romain. Peu après, il a commencé à ordonner la construction de bâtiments d’église, favorisant ainsi la popularité et l’acceptation du christianisme. Il partait du principe que si les chrétiens possédaient leurs propres édifices sacrés, à l’instar des juifs et des païens, leur foi serait considérée comme légitime.
En outre, tous les indices historiques tendent à démontrer que Constantin était un égocentrique. En faisant construire l’église des apôtres il a fait ériger des monuments aux douze apôtres. Ces douze monuments entouraient un tombeau unique, situé au centre. Ce tombeau lui était réservé, faisant ainsi de lui le 13ème apôtre et chef des autres.
Ainsi Constantin a non seulement perpétué la pratique païenne d’honorer les morts mais il a également cherché à y figurer parmi les plus importants.
Il a attribué à ces bâtiments des noms de saints tout comme les païens qui appelaient leurs temples du nom de leurs dieux.
Parmi les plus grands bâtiments, plusieurs ont été construits sur les tombes de martyrs. Cette pratique était basée sur l’idée que les martyrs possédaient les mêmes pouvoirs autrefois attribués aux dieux du paganisme. Les chrétiens ont complètement adopté cette vision des choses.
« Les lieux sacrés » chrétiens les plus célèbres étaient : Saint-Pierre, sur la colline du Vatican (construit sur le prétendu tombeau de Pierre), Saint-Paul Hors des Murs (présumé tombeau de Paul), l’éblouissante et étonnante église du Saint-Sépulcre à Jérusalem (au-dessus du supposé tombeau de Christ), et l’Église de la Nativité à Bethléem (au-dessus de la caverne où prétendument Jésus est né). Constantin a construit neuf églises à Rome et plusieurs autres à Jérusalem, Bethléem, et Constantinople.
L’histoire du bâtiment d’église est la triste saga de l’emprunt du christianisme à la culture païenne, transformant ainsi radicalement le visage de notre foi.
Petit à petit les chrétiens ont adhéré au concept du temple. Ils se sont imprégnés de l’idée païenne qu’il existe un endroit particulier où Dieu demeure d’une manière particulière.
Et cet endroit est fait « de mains d’hommes. »
Le bâtiment d’église protestant c’est inscrit dans ce processus. La plupart des réformateurs étaient d’anciens prêtres. D’où le conditionnement inconscient de leur pensée par le catholicisme médiéval. Ainsi, bien qu’ils aient légèrement remodelé leurs bâtiments d’église nouvellement acquis, ils intégrèrent peu de variantes fonctionnelles à l’architecture.
Même si les réformateurs voulaient apporter des changements radicaux dans la pratique du culte, les masses n’y étaient pas préparées. Il était clair pour Martin Luther que l’Église ne se réduisait pas à un bâtiment ou une institution. Pourtant il lui était impossible de révolutionner plus d’un millénaire de confusion sur le sujet.
Le principal changement architectural des réformateurs reflétait leur théologie. Ils mirent la chaire en position prépondérante au centre du bâtiment plutôt que l’autel. Le noyau principal de la Réforme était l’idée que les gens ne pouvaient connaître Dieu ni prospérer spirituellement s’ils n’entendaient pas la lecture de la bible qui devait être le centre du culte (de là les prédications). Ainsi lorsque les réformateurs héritèrent des bâtiments d’église existants, ils les adaptèrent à cette fin.
Auparavant les sermons étaient dispensés depuis la chaise, ou cathedra, de l’évêque qui était placée derrière l’autel. Plus tard c’est l’ambon qui est devenu l’endroit d’où les sermons étaient proclamés, un emplacement surélevé, du côté du chœur sur lequel on lisait des leçons bibliques.[L’ambon était emprunté à la synagogue juive. Cependant, ses racines sont plus anciennes et remontent aux pupitres de lecture et aux estrades de l’antiquité Gréco-romaine.
Dès l’an 250, l’ambon a été remplacé par la chaire. Cyprien de Carthage (200-258) parle de faire officier le chef de l’Église publiquement, sur le pulpitum. Le mot « pupitre/chaire » que nous employons est dérivé du Latin pulpitum qui désigne « une tribune. » Le pulpitum, ou chaire, était installé à l’endroit le plus élevé de l’assemblée.
Avec le temps, l’expression « monter en chaire » (ad pulpitum venire) s’est inscrite dans le vocabulaire religieux du clergé.
Vers la fin du Moyen-âge, la chaire est devenue commune dans les églises de paroisse. Avec la Réforme, elle est devenue la pièce centrale du mobilier de l’église. La chaire symbolisait le remplacement de la centralité de l’action ritualiste (la messe) par l’instruction verbale du sermon.
Dans les églises luthériennes, la chaire fut déplacée devant l’autel. Dans les églises reformées la chaire a prédominé jusqu’à ce que l’autel finisse par disparaître pour être remplacé par la « table de communion »
La chaire a toujours été la pièce maîtresse de l’église protestante.
Par contre, en ce qui concerne le banc, il est peut-être le plus grand inhibiteur du face-à-face dans la communauté. Il est un symbole de léthargie et de passivité dans l’église contemporaine et a fait du culte communautaire… un spectacle.
Le mot banc est dérivé du podium latin. Il signifie une assise surélevée par rapport au sol ou un « balcon. » Les bancs étaient absents des églises pendant les premiers mille ans de l’histoire chrétienne. Au début dans les basiliques, l’assemblée se tenait debout pendant le service entier.(Cela se pratique encore de nos jours chez certains orthodoxes orientaux.)
La signification du banc est contenue dans la signification du terme. Il s’agit d’un « balcon » abaissé, un endroit séparé duquel on regarde des représentations sur une scène (la chaire). Il immobilise l’assemblée des saints et fait d’eux des spectateurs muets. Il empêche la communion et l’interaction des membres en face à face.
Réalisons que le lieu social du rassemblement de l’église exprime et influence le caractère de l’église.
Penser que le lieu de rassemblement de l’église n’est qu’une question de convenance, est une erreur tragique. Chaque bâtiment que nous voyons produit en nous une réaction. Son intérieur et son extérieur reflètent une image explicite de l’Église et de son fonctionnement. L’espace n’est jamais vide ; il incarne toujours une raison d’être.
L’aménagement social du lieu de réunion d’une église est un bon indice de la compréhension qu’a cette église du plan de Dieu pour son Corps. La position d’une église nous enseigne comment nous réunir. Elle nous enseigne ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Elle nous enseigne aussi ce qu’il convient de dire ou de ne pas dire.
Nous tirons ces leçons de l’aménagement de notre lieu de rassemblement, qu’il s’agisse d’un édifice d’église ou d’une maison privée. Ces leçons ne sont absolument pas « neutres. »
Le lieu social de l’Église est un élément crucial dans la vie d’église.
La dissociation entre le culte et la vie quotidienne caractérise le christianisme occidental. Le culte est perçu comme détaché de la trame intime de la vie et conditionné pour la consommation en collectivité.
Des siècles d’architecture gothique ont tordu l’enseignement sur la réelle signification du culte. Peu de gens peuvent déambuler dans une sublime cathédrale sans expérimenter la puissance de son atmosphère.
L’éclairage est indirect et tamisé Les plafonds sont outrageusement élevés. Les couleurs sont basiques et riches. Le son voyage d’une manière particulière. Toutes ces choses collaborent à nous donner un sentiment de crainte et d’émerveillement.
Nous, les protestants, avons remplacé la grandeur architecturale par un usage singulier de la musique, nous permettant d’atteindre le même but. En conséquence, dans les cercles protestants, les « bons » dirigeants de culte sont ceux qui savent employer la musique pour évoquer ce que d’autres traditions évoquent en se servant de l’espace, c’est-à-dire un sentiment émotionnel d’adoration. Mais tout ceci est dissocié de la vie quotidienne et manque d’authenticité.
Cela ajoute au sentiment que nous passons de la vie quotidienne à une autre vie. Ainsi une transition est exigée. Tout ceci échoue au test du lundi Peu importe la splendeur du dimanche, le lundi matin vient toujours mettre à l’épreuve la réalité de notre culte.
Observons les membres d’une communauté avant le culte. Ils sourient, rient, et même plaisantent. Mais une fois que le service commence, ils deviennent des personnes différentes.
En outre, l’église n’est pas aussi amicale, chaleureuse et personnelle qu’une maison individuelle, structure de réunion fondamentale pour les chrétiens primitifs. Elle n’est pas conçue pour l’intimité ni la communion. Dans la plupart des églises, les bancs de bois sont alignés par rangées, face à la chaire.
Cette disposition instaure une forme de culte « assieds-toi et laisse-toi imprégner » Autrement dit, l’architecture même empêche toute communion entre Dieu et son peuple sauf via l’intermédiaire du pasteur.
Ainsi, la plupart des chrétiens pensent à tort que le bâtiment d’église fait partie du culte lui-même. Nous avons vu qu’il n’existe pas un soupçon de base biblique pour le bâtiment d’église. Cependant, une foule de chrétiens déboursent chaque année une bonne somme d’argent pour « la brique et la pierre ». Ce faisant, ils soutiennent une structure artificielle dans laquelle ils vivotent passivement et sont privés de relations naturelles et intimes avec d’autres chrétiens potentiels. Nous sommes devenus les victimes de notre passé. Nous avons été engendrés par Constantin qui nous a légué le prestigieux statut de possesseurs de bâtiments. Nous avons été aveuglés par les Romains et les Grecs qui nous ont imposé leurs basiliques de structure hiérarchique. Nous avons été captivés par les Goths qui nous ont chargé de leur architecture platonique. Nous avons été détournés par les Égyptiens et les Babyloniens qui nous ont affublés de clochers sacrés. Et nous avons été roulés par les Athéniens qui nous ont infligé leurs colonnes doriques.
Le bâtiment d’église nous empêche de comprendre et d’expérimenter l’église comme un corps de Christ fonctionnel qui vit et respire sous son autorité immédiate.
Il est grand temps, pour nous chrétiens, d’ouvrir les yeux sur le fait que nous ne sommes ni bibliques ni spirituels en prenant fait et cause pour les bâtiments d’église. Et nous portons ombrage au message du Nouveau Testament en appelant « églises » des édifices bâtis de main d’homme.
Comprenons que si chaque chrétien de la planète s’arrêtait de qualifier un bâtiment d’ « église », nous susciterions une véritable révolution de la foi…
Pasteur Jean-Paul Nunez