Prédication du 5 avril 20

Philippiens 2.5-11 : Que votre attitude soit identique à celle de Jésus-Christ:  Lui qui est de condition divine, il n’a pas regardé son égalité avec Dieu comme un butin à préserver, mais il s’est dépouillé lui-même en prenant une condition de serviteur, en devenant semblable aux êtres humains. Reconnu comme un simple homme,  il s’est humilié lui-même en faisant preuve d’obéissance jusqu’à la mort, même la mort sur la croix.  C’est aussi pourquoi Dieu l’a élevé à la plus haute place et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom  afin qu’au nom de Jésus chacun plie le genou dans le ciel, sur la terre et sous la terre  et que toute langue reconnaisse que Jésus-Christ est le Seigneur, à la gloire de Dieu le Père. 

 

Chers frères et sœurs en Christ,

Aujourd’hui, dans le contexte pandémique et préoccupant qui est le notre,  Paul nous offre  un hymne à la joie. Toute sa lettre aux Philippiens d’où est extrait le passage que nous venons d’entendre, toute cette lettre est un hymne à la joie. Dans cette épître le mot « joie » ou « réjouissez-vous » revient sans cesse. Et, c’est d’autant plus extraordinaire que Paul se trouve dans l’épreuve puisqu’il est lui-même,  confiné, comme nous le sommes… Mais lui, c’est entre les quatre murs d’une cellule de prison en l’attente, semble-t’il, d’être condamné et exécuté… Mais, pour lui,  malgré ces circonstances extrêmes, toute sa joie est la certitude d’avancer vers le Christ. 

Très simplement, là, à partir de ce qui semble être  un des cantiques habituel des philippiens, à partir d’un cantique qui est un chant de louange  à l’humilité du Christ, Paul nous demande de ne pas nous refermer sur nous-mêmes dans un ego démesuré. Il nous demande de ne pas nous refermer sur nous-mêmes en méprisant nos frères et soeurs en humanité, en les tenant pour  des incroyants,  des moins que rien ou des ignares.  Il nous demande de ne pas nous refermer sur nous-mêmes pour avant tout, nous mettre à leur service  avec humilité.

Dans tous les cas, comme beaucoup de commentateurs le font à partir de ce cantique, Paul ne cherche pas à nous faire un cours de théologie sur le dogme des deux natures du Christ. A ce sujet, tout a été dit sur ce passage et bien plus encore… Mais c’est oublier qu’un cantique c’est fait pour être chanté et pas pour être un cours de théologie. Nous sommes donc loin de tout  énoncé dogmatique. Paul souhaite avant tout dire et faire comprendre  aux philippiens, comme à chacun de nous,  ce que le Christ a fait bien plus que de ce que le Christ est.

Pour Paul, Christ n’est pas simplement le nom de famille de Jésus. Ce n’est pas son titre, ni un quelconque qualificatif révélateur qui mériterait toute notre attention.  Christ est cette « source première » qui existe depuis l’origine de tout, depuis l’origine du temps, depuis l’origine de l’espace, à l’origine de tout souffle, de tout « Esprit »… Et  cette source première, cette source infinie c’est transformée dans des formes finies, visibles, comme les roches, l’eau, les plantes, les organismes, les animaux et bien sûr à travers nous les êtres humains comme à travers tout ce que nous voyons avec nos yeux ou percevons simplement avec nos sens… «  En effet, nous dit Paul les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient depuis la création du monde, elles se comprennent par ce qu’il a fait. » Alors nous pouvons affirmer que tout le visible, sans exception, est l’effusion et l’incarnation de Dieu. Et c’est bien ce que Paul affirme lorsqu’il dit: « Il n’y a que le Christ. Il est tout et il est en tout »
C’est cela l’incarnation qui pour nous, chrétiens, a été renouvelée avec Jésus lui même. Réalisons que Christ est cette lumière qui n’est pas tant ce que nous voyons directement mais bien ce qui nous permet de voir tout et le reste. Christ est ce qui nous éclaire sur ce qu’est le monde et sur ce que nous sommes. Lorsque dans l’Evangile de Jean, Jésus fait la déclaration « Je suis la Lumière du monde » nous pouvons bien sûr le regarder lui comme lumière, et, c’est généralement ce que nous entendons. Mais nous pouvons aussi entendre que Jésus comme Christ, nous permet de voir le monde au plus profond, au plus tenace de ses obscurités et de ses ténèbres… Ce qui laisse supposer une espérance incroyable puisque désormais ,quelles que soient les circonstances que nous vivons, les ténèbres complètes n’existent plus.

Christ est la lumière qui permet de voir les choses dans leur plénitude. Ce qui est la définition d’un authentique chrétien. Par contre, c’est une définition particulièrement exigeante qui exige toujours plus de chacun. Et qui amène à réaliser et vivre qu’il ne peut y avoir aucune raison de combattre, d’exclure ou de rejeter quiconque.

D’ailleurs Paul ne nous dit pas autre chose dans son cantique :

« Que votre attitude soit identique à celle de Jésus-Christ, Lui qui est de condition divine, il n’a pas regardé son égalité avec Dieu comme un butin à préserver,  mais il s’est dépouillé lui-même en prenant une condition de serviteur, en devenant semblable aux êtres humains. »

Pour le dire autrement, le Christ Jésus a accompli la démarche contraire  de tous les hommes. Si l’ambition de  l’homme  est, depuis le jardin d’Eden,  d’être « comme Dieu », lui le Christ veut  simplement  être comme l’homme. Sa divinité réelle est son abaissement. Son dépouillement nous dit précisément Paul. C’est à dire qu’il  va nous montrer son amour total pour l’humanité  en faisant  simplement et humblement preuve d’humanité. Faire preuve d’humanité voilà ce qui nous sauve et ce qui sauvera le monde. Il est beau que, dans notre langue française, «humanité» désigne à la fois l’espèce elle-même et le sentiment qu’elle doit inspirer à chacun envers tous les autres. En Christ, et c’est ce que Paul nous dit dans son cantique, l’humanité n’est pas qu’un groupe à l’intérieur de l’animalité. C’est un programme, c’est un projet, c’est une ligne de conduite, c’est un chemin…  Regardons ce qui se passe aujourd’hui,  en ce moment même, en ce moment précis et partout sur la planète, regardons et réalisons qu’aucun dogme, qu’aucune idéologie,  qu’aucune doctrine, qu’aucune vocation utilitariste n’est capable de rendre compte du geste accompli par chaque médecin, chaque infirmière, chaque nettoyeur, chaque livreur, chaque employé de supermarché, chaque personne mobilisée pour sauver la vie de son semblable  au risque de perdre la sienne.  C’est extraordinaire de réaliser cela dans un monde habituée à voir dans toute action humaine la poursuite de l’intérêt personnel et le primat de l’économique.  C’est extraordinaire de réaliser  que les gestes  qui valent aujourd’hui l’admiration et la reconnaissance sont à l’opposé de ce que nos sociétés encouragent à savoir jouer personnel, ne penser qu’à soi, écraser les concurrents, se moquer des conséquences. C’est cela faire preuve d’humanité.

« Que votre attitude soit identique à celle de Jésus-Christ Lui qui  s’est dépouillé lui-même en prenant une condition de serviteur, en devenant semblable aux êtres humains. »

Entendons bien que Paul, en parlant de «se dépouiller»  a un langage  extrêmement fort.  Il nous  montre que c’est volontairement que le Christ s’est dépouillé, volontairement qu’il a voulu n’être qu’homme et pleinement homme. Il montre sa divinité en ne voulant que notre humanité.

Nous percevons là,  toute la résonance nouvelle, toute la révolution contenue dans cette perspective. En Christ, il ne s’agit pas d’aimer  un dieu abstrait,  un dieu omniprésent, omnipotent.   Il ne s’agit pas d’aimer un dieu qu’on imagine, qu’on façonne et qu’on idolâtre  à sa propre image. Il s’agit d’aimer l’humanité c’est à dire l’homme avec ses limites, l’homme avec son animalité.  il s’agit d’aimer l’homme avec tout ce qui, en lui, nous rebute et nous répugne, car c’est justement en dépassant tout cela que nous pourrons atteindre au vrai Dieu… Souvenons nous : « Je vous donne un commandement nouveau, c’est de vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés. »  Voilà le testament de Jésus. Voilà  très exactement  le Nouveau Testament, le Testament éternel à savoir aimer l’homme pour être sûr de ne pas manquer Dieu.  Christ ne nous a apporté ni un catéchisme, ni un exemple, mais un salut. Un salut qui nous renouvelle tout entier, et qui devrait se traduire  partout par  un plus grand respect les uns des autres. 

Réalisons, en cette période de Carême, que  cela  est souligné de la manière la plus simple par le lavement des pieds. Cette scène où Jésus s’agenouille devant ceux qu’Il connaît si bien. A genoux devant le traître qui l’a vendu. A genoux devant ce disciple passionné qui le reniera. A genoux devant le disciple  bien-aimé qui va s’endormir comme tous les autres dans le jardin de l’agonie… A genoux devant tous ces hommes rudes et passionnés qui l’ont suivi mais qui vont s’enfuir… C’est devant eux que Jésus s’agenouille et, à travers eux, c’est devant toute l’humanité. 

Et dans ce geste qui est comme son testament, Jésus veut  nous conduire  à la découverte essentielle. Jésus veut que nous  comprenions que le Royaume de Dieu est au-dedans de chacun de nous.  Jésus veut que nous  comprenions  que ce Royaume, Dieu ne compte pas  nous y introduire de force.  Parce qu’il  est Amour et rien qu’Amour, Dieu se propose toujours, il ne s’impose jamais. C’est donc à nous d’ouvrir la porte. C’est donc à nous  de consentir et d’accueillir cet Amour qui ne peut déployer en nous toute sa lumière, toute sa joie, qu’avec notre consentement. Cet amour là, ce Dieu-là est un Dieu qui nous est inconnu.  Ce Dieu-là est un Dieu qui est inconnu de l’immense majorité des croyants accrochés à des idoles comme les apôtres  qui étaient à leurs rêves et ne voyaient pas Jésus. Ils le voyaient devant eux au lieu de le voir au-dedans d’eux. Aussi n’arrivaient-ils pas à le discerner et à le reconnaître. Jésus introduit dans notre histoire une essentielle transmutation des valeurs. Il brise toutes les idoles que nous nous sommes données, tous les faux dieux que nous avons inventés. La grandeur, ce n’est pas de faire la morale, de s’exposer bon croyant, d’être ostentatoire jusque dans la prière, de parler à l’impératif, de juger. La grandeur, c’est de se donner. La grandeur se situe non pas dans la ligne de la domination mais dans la ligne de la générosité. Et c’est pourquoi Jésus à genoux atteste la vraie grandeur, celle du don, celle de l’amour. 

C’est une immense bouleversement, car, justement, maintenant, aujourd’hui, le ciel est au dedans de nous, au dedans de chacun de nous. Comprenons le bien : Chacun de nous révèle Dieu. Il faut  faire preuve d’humanité pour atteindre à ce Dieu-là. Ou, ce qui revient au même, nous pouvons atteindre à ce Dieu-là quand  nous faisons preuve d’humanité.  C’est à dire quand on devient une personne, une source, une origine, un espace, un créateur. 

« C’est, nous dit Paul dans son cantique, aussi pourquoi Dieu l’a élevé à la plus haute place et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom  afin qu’au nom de Jésus chacun plie le genou… » Comprenons que l’espérance de Dieu, c’est que nous fassions preuve d’humanité en faisant pour chaque frère et sœur ce qu’il a fait pour Jésus : leur donner un nom qui est au-dessus de tout nom… Là est effectivement l’espérance de Dieu. Et, cette espérance de Dieu doit devenir notre espérance particulièrement en ces temps de déréliction et de découragement.

Amen

Pasteur Jean-Paul Nuñez

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