Prédication 16 aout 20 (Romains 11.13-32)

Romains 11.13-25,29-32 : Je vous le dis donc, à vous les païens : dans la mesure même où je suis, moi, apôtre des païens, je manifeste la gloire de mon ministère, dans l’espoir d’exciter la jalousie de ceux de mon sang et d’en sauver quelques-uns. Si, en effet, leur mise à l’écart a été la réconciliation du monde, que sera leur réintégration, sinon le passage de la mort à la vie ? Or si les prémices sont saintes, toute la pâte l’est aussi : et si la racine est sainte, les branches le sont aussi. Mais si quelques-unes des branches ont été coupées, tandis que toi, olivier sauvage, tu as été greffé parmi les branches restantes de l’olivier pour avoir part avec elles à la richesse de la racine, ne va pas faire le fier aux dépens des branches. Tu peux bien faire le fier ! Ce n’est pas toi qui portes la racine, mais c’est la racine qui te porte. Tu diras sans doute : des branches ont été coupées pour que moi je sois greffé. Fort bien. Elles ont été coupées à cause de leur infidélité, et toi, c’est par la foi que tu tiens. Ne t’enorgueillis pas, crains plutôt. Car, si Dieu n’a pas épargné les branches naturelles, il ne t’épargnera pas non plus. Considère donc la bonté et la sévérité de Dieu : sévérité envers ceux qui sont tombés, bonté envers toi, pourvu que tu demeures en cette bonté, autrement tu seras retranché toi aussi. Quant à eux, s’ils ne demeurent pas dans l’infidélité, ils seront greffés, eux aussi ; car Dieu a le pouvoir de les greffer de nouveau. Si toi, en effet, retranché de l’olivier sauvage auquel tu appartenais par nature, tu as été, contrairement à la nature, greffé sur l’olivier franc, combien plus ceux-ci seront-ils greffés sur leur propre olivier auquel ils appartiennent par nature !

(..) Car les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables. Jadis, en effet, vous avez désobéi à Dieu et maintenant, par suite de leur désobéissance, il vous a été fait miséricorde ; de même eux aussi ont désobéi maintenant, par suite de la miséricorde exercée envers vous, afin qu’ils soient maintenant eux aussi objet de la miséricorde. Car Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire à tous miséricorde.

Chers frères et soeurs en Christ,

Paul qui se prépare à l’évangélisation de la partie occidentale de la Méditerranée envoie aux chrétiens de Rome un exposé de son message. Rappelons nous la thèse principale de sa lettre  telle qu’il l’énonce au début : « l’Evangile est la dynamique et la force de Dieu,nous dit Paul, pour sauver tout homme qui croit, le Juif certes mais aussi le non-Juif. Car la justice c’est à dire l’ajustement de Dieu aux hommes se révèle par la foi, et, pour la foi selon qu’il est écrit : Le juste vivra par la foi ».Tout cela Paul nous l’explique d’abord négativement à savoir que personne, ni le Grec  ni le Juif, ne peut se justifier devant Dieu par ses propres moyens. Puis il le développe positivement  en soulignant que sans mettre en compte ni les mérites, ni les œuvres, ni les dettes ou fautes de quelqu’un, Dieu donne gratuitement le salut à tout homme qui croit en Christ, de telle manière que rien, ni personne, ni institution ne peut le lui disputer. Ce faisant, Paul, dans son exhortation  soulève néanmoins un point critique. L’authenticité du message que l’Evangile est la puissance de Dieu pour le salut de tout homme qui croit, est attaquée dans son fondement, et mise en doute, par le fait que les Juifs,  qui sont comme peuple particulier les premiers visés, ne sont indiscutablement pas sauvés par l’Evangile. Paul prends donc  le temps, surtout parce que cela nous concerne, de nous expliquer ce que cela signifie et quels enjeux cela soulève.

D’abord cela signifie que, nous aussi,  nous chrétiens, à l’instar des juifs de l’époque de Paul,  nous ne sommes pas, nous ne sommes en rien sauvés par l’Evangile. Notre foi n’existe  que quand notre témoignage, notre manière d’être se confond avec l’heureuse annonce, toujours nouvelle parce que toujours à entendre, qui se dit et se traduit , en paroles et en actes pour devenir  ce qu’elle est appelé à être  à savoir une action de grâces pour l’humanité.

Ensuite, l’un de ces enjeux, et non le moindre c’est la continuité fondamentale que représente, comme  compréhension nouvelle, la révélation de la croix  dans l’histoire de la Promesse. Voilà pourquoi Paul précise en insistant que « (..) les dons de la grâce et l’appel de Dieu sont irrévocables. »

Jusque là, le Dieu de Paul  était le Dieu d’Abraham et de Moïse. Le Dieu de Paul  était le Dieu d’Abraham parce qu’il était le Dieu de l’élection, le Dieu d’un peuple élu et qu’il s’était choisi afin que ce peuple fasse sa volonté et le sanctifie au milieu des nations. Le Dieu de Paul était le Dieu de Moïse, qui avait fait à son peuple la grâce de lui confier sa Loi et ses commandements. La promesse divine dont jusque là Paul a vécu était celle d’une alliance fondée sur la particularité d’une élection qui  confiait à tout le peuple juif la responsabilité de la sainteté de Dieu dans la création.  La particularité de cette élection exigeant de surcroît la perfection de l’obéissance dans la lettre à toute la Torah ainsi qu’à ses nombreuses prescriptions. Mais quelque chose a changé.

Désormais le Dieu de Paul est toujours et encore le Dieu d’Abraham et de Moïse.  Pour autant, le Dieu d’Abraham et de Moïse s’est révélé  à lui dans la personne de son Fils. Le Dieu de la Promesse s’est présenté à Paul  comme  Père du Christ crucifié.  Ce faisant, Dieu  ne s’est pas présenté comme  le Dieu d’un peuple élu, mais comme  le Dieu qui élit quiconque place en lui sa confiance. En conséquence Dieu justifie, inconditionnellement, quiconque met en lui son espérance et il sanctifie, universellement, tous ceux qui croient, qu’ils soient juifs et non-juifs, indigènes et barbares, jeunes et vieux, hommes et femmes…

Paul n’a pas  changé de Dieu.  Mais pour autant, en se manifestant comme le Père du Crucifié, en lui  révélant son Fils, en lui faisant voir Jésus de Nazareth, crucifié, comme  Christ et  Seigneur, Dieu a changé son Dieu. Dieu a changé l’idée de Dieu qu’avait Paul jusque là quand bien même il était, lui aussi, le Dieu d’Abraham et de Moïse.

Paul a changé, mais  Dieu, lui, n’a pas changé. Paul qui était, jusque-là, un spécialiste reconnu de l’Écriture et de son interprétation, a dû, alors,  se remettre à lire les Ecritures. Il a dû réapprendre à lire pour entendre la parole vivante.  Réalisons bien et n’oublions pas cela : C’est un crucifié, condamné  pour blasphème et maudit par la Loi de Moïse, qui  lui a réappris à lire afin qu’il entende, et surtout qu’il comprenne, le sens véritable de l’histoire de la bénédiction, de la promesse et de l’alliance du Dieu qui était déjà son Dieu. Comprenons bien parce que nous aussi, nous  devrions  prendre le temps de nous remettre à lire les Ecritures, pour réapprendre  afin d’entendre , exactement comme Paul a entendu, Jésus Christ  ressuscité, supplicié et crucifié par la loi de Moïse, nous ouvrir à la pleine compréhension de Moïse le libérateur.Alors à l’exemple de Paul il nous apparaitrait évident que le commencement de l’histoire n’est ni l’élection, ni le baptême, ni la pratique rituelle, encore moins la Loi, mais la Promesse. Alors à l’exemple de Paul, il nous apparaitrait encore plus évident  que la Promesse c’est à dire la parole vivante qui émerge de l’Écriture, n’est pas liée à la particularité d’une descendance, n’est pas liée à la particularité d’une appartenance mais est liée au croire, liée à la foi pour la foi

Nous connaissons tous ce moment où l’Eternel a dit à  Abraham : « Contemple le ciel, compte les étoiles si tu peux les compter… Telle sera ta descendance.  Abraham a eu foi dans l’Eternel, et, pour cela, Dieu le considéra comme juste. »

Souvenons nous de cela et comprenons bien que la paternité d’Abraham, ainsi parle l’Écriture, n’est ni celle d’une famille, fût-elle grande, ni celle d’un clan, ni même celle d’un peuple. Elle n’est pas celle d’une nation, d’une classe, d’une confession ou d’une société élue.  La paternité d’Abraham se fonde, au contraire, sur un acte de liberté qui, tout à la fois, en individualise et en universalise la signification.  Si Abraham a été déclaré juste parce qu’il a cru, alors ce ne sont pas les membres d’une famille, d’un clan ou même d’un peuple qui sont, devant l’Eternel notre Dieu, mais ce sont tous ceux qui croient, juifs et non-juifs, chrétiens ou non-chrétiens, indigènes et barbares, citoyens et esclaves, hommes et femmes…

Réalisons qu’Abraham ne se réfère jamais à la Loi  tout simplement parce que  la foi seule lui suffit comme l’explique si bien Paul à ses frères Galates.  Abraham, c’est l’échappatoire entre deux rives parfaitement visibles, entre ces deux lignées  que sont celle des morales populaires d’ordre humaniste si communes en ces temps, et celle des morales religieuses plus lourdes et dites divines plutôt déclinantes à notre époque. Abraham n’a pas de frontières. Il est l’allégorie d’un père invisible appelant les uns et les autres à sortir de leurs origines ou de leurs religions afin de partir vers un lieu sans races, ni religions, ni nations, ni frontières. Abraham, annonce cette voix qui parle sans cesse à notre pathétique christianisme  en nous disant encore et toujours  « Celui-ci est mon fils bien- aimé : écoutez-le ! ». Si nous l’écoutons effectivement nous entendrons Christ qui ne nous parle jamais de conversion, qui ne nous invite pas  à devenir fils d’une nation, d’une religion ou d’un système moral. Nous entendrons Christ  nous inviter, par la foi, par la foi seule, à devenir tout simplement fils de Dieu…

« (..) des branches ont été retranchées, nous dit Paul, rajoutant, et si toi, qui était un olivier sauvage, tu as été gréffé à leur place, et rendu participant de la racine de l’olivier,  ne te glorifie pas aux dépens de ces branches. Sache bien que ce n’est pas toi qui portes la racine, mais que c’est la racine qui te porte. » Nombreux sont ceux qui, en entendant ces mots, font un raccourci pour nous expliquer que la racine dont il est question ici, c’est le peuple juif. C’est  étonnant d’entendre cela.  Durant de longs siècles, l’Église a considéré, le peuple juif et sa théologie comme une menace. Ainsi,  le fait que l’Eglise  regarde les juifs de nos jours avec les meilleures intentions ne semble être que l’expression d’une mauvaise conscience. Nous pourrions aller même jusqu’à dire que cette sympathie n’est que l’avers de son ancestrale antipathie. En attendant si nous écoutons le propos de Paul  consciencieusement nous comprenons bien que la  racine ne peut pas être le peuple juif. La « racine », tel un cep, porte des sarments et s’en voit retrancher d’autres ; tant ceux du judaïsme que ceux aussi du christianisme. Certes, le judaïsme, ce sont les premiers sarments, et n’ayant pas reconnu le Christ ils se sont retranchés eux-mêmes finalement. Mais, il en est de même de tous ces chrétiens, dont nous peut-être, qui se complaisent dans les choses  et dans de vaines gloires du monde… Comprenons bien alors que la racine dont parle Paul, cette racine qui nous porte c’est  Christ. C’est Christ lui-même. C’est  Christ vivant qui s’est relevé de toutes les morts. C’est Christ en qui nous avons pleine confiance à défaut d’avoir une foi vaine et sans aucun sens comme l’explique si bien Paul…

Voilà pourquoi, il n’est plus question de telle ou telle lignée. Notre lignée est spirituelle. Notre lignée  se tourne vers le Père, sous-entendant que seul compte d’être fils de Dieu et non fils de tel ou tel patriarche avec sa patrie, ses rites, ses lois et ses credo. Evidemment que de tel propos, à l’époque de Paul était  considéré comme hérétique et blasphématoire, car il mettait en question la pensée d’un peuple divin organisé autour d’un Temple et de ses Lois. Parlant des généalogies  aux Galates, Paul   ira jusqu’à dire : « ces choses sont allégoriques ». Autrement dit, la postérité spirituelle émanant de Dieu, cette racine qui nous porte, elle ne se transmet pas par le sang et l’intelligence, ou par son système théologique ou idéologique. Cela convient aux seuls princes de la terre, lesquels se transmettent de cette manière les limites de leur pouvoir.  Entendons bien, avec Paul, que la postérité spirituelle se transmet par l’Esprit d’Un seul, par l’Esprit de Christ. Or, celui-là est Un-seul car seul à avoir dépassé la mort, l’intelligence et tous les systèmes gravés dans le marbre du monde. Or, si cette postérité émane de Celui qui a vaincu la mort, ceux qui naissent de lui héritent du même horizon illimité. Tout, tout chez chacun de nous doit tendre pour hériter de cet horizon illimité.  Nous ne pouvons dès lors nous satisfaire d’être un peuple enclos dans une histoire, laquelle serait limité par des frontières génétiques, doctrinales ou même ecclésiales.

Et pour tendre à cet horizon illimité, il nous faut gouter à la liberté en affermissant notre foi, notre confiance, et tel Abraham il nous faut quitter les rivages solides des appartenances et des frontières  doctrinales  pour partir sans savoir précisément où  mais enraciné en Christ seulement pour être porté par Christ  absolument.

Amen

Pasteur Jean-Paul Nunez

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