Predication 7 mars 21 (Jean 2.13-22)

Jean 2.13-22 : La Pâque juive était proche et Jésus monta à Jérusalem. Il trouva les vendeurs de boeufs, de brebis et de pigeons ainsi que les changeurs de monnaie installés dans le temple.  Alors il fit un fouet avec des cordes et les chassa tous du temple, ainsi que les brebis et les boeufs. Il dispersa la monnaie des changeurs et renversa leurs tables. Et il dit aux vendeurs de pigeons: «Enlevez cela d’ici, ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce.»  Ses disciples se souvinrent qu’il est écrit: Le zèle de ta maison me dévore.

Les Juifs prirent la parole et lui dirent: «Quel signe nous montres-tu, pour agir de cette manière?» Jésus leur répondit: «Détruisez ce temple et en 3 jours je le relèverai.»  Les Juifs dirent: «Il a fallu 46 ans pour construire ce temple et toi, en 3 jours tu le relèverais!» Cependant, lui parlait du temple de son corps. C’est pourquoi, lorsqu’il fut ressuscité, ses disciples se souvinrent qu’il avait dit cela et ils crurent à l’Ecriture et à la parole que Jésus avait dite.

 

 

Chers frères et soeurs en Christ,

Il est difficile de dire ce que Jésus est venu chercher,  dans le temple de Jerusalem, à l’approche de la Pâque. Certainement, qu’il vient  simplement reconnaître la présence vivante de Dieu au milieu de son peuple.  Mais voilà qu’en ce lieu, il découvre que l’idolâtrie, le mercantilisme, la superficialité, la cacophonie ont envahi le sanctuaire.  Là où il espère rencontrer des croyants, il tombe sur un champ de foire avec marchands de bœufs, de brebis et de pigeons, ainsi que des changeurs assis à leurs comptoir..
Alors Jésus, à l’aide d’un fouet fait d’une corde, chasse ces vendeurs et ces changeurs. Il est de coutume d’interpréter cette scène comme une manifestation de colère de sa part renvoyant à ce qu’a  écrit  le psalmiste : « Le zèle de ta maison me dévore »…

Mais convenons en, c’est aimer l’homme en vérité que de bousculer les systèmes, les processus les mécaniques  qui  l’empêche de s’épanouir et d’être célébré. Certes, Jésus est, là,  particulièrement dur et résolu. Il ne peut tolérer que la maison du Père soit polluée, même s’il s’agit de petits et, d’une certaine manière, d’indispensables commerces.  Pour autant, Jésus sait bien que, dans un temple qui accueille ces petits commerces, on en arrive vite  à vendre et à acheter la vie d’un homme pour seulement… trente deniers. Mais, le marché qui scandalise Jésus par dessus tout c’est notre rapport à la religion, au rite et au sacré et tout ce qui leur est annexe.

Arrêtons de penser avec suffisance que nous serions loin des erreurs des pharisiens et des sadducéens  qui mettent en colère Jésus. Comme eux, nous brisons tout autant les Ecritures en les ensevelissant sous une montagne de traditions humaines. D’ailleurs, nous ne semblons jamais nous interroger sur ce que nous faisons en matière de rite et de pratiques et pourquoi même nous le faisons. Au lieu de cela, nous suivons allègrement nos traditions religieuses, sans jamais chercher à connaître leur origine. Réalisons que la plupart de tout ce que nous, chrétiens, pratiquons  à l’église n’ont jamais été déterminées ni par Jésus le Christ de Dieu, ni par les apôtres, ni même par les Écritures.

Aussi choquant que cela puisse paraître presque tout ce que nous faisons en tant qu’ « église » a été emprunté bien davantage  à la culture païenne, à la culture de ceux qui adoraient les dieux de l’Empire Romain de la période post-apostolique  que par des injonctions et des exemples du Nouveau Testament.  Autrement dit, le fait d’appartenir à l’église institutionnelle et le fait de prendre  le Nouveau Testament au sérieux, ne peut nous amener qu’à une crise de conscience.

C’est bien cette crise de conscience que Jésus vient  littéralement fouetter.

Comme les pharisiens et autres sadducéens, nous tenons Dieu  à distance respectueuse derrière une double muraille: celle des pierres et celle des rites…  Convenons, même si cela ne fait pas plaisir de l’entendre, que dans nos temples de pierres, Dieu est pour ainsi dire gardé à vue, assigné à résidence, « confiné » à portée de la main. Et ainsi, depuis fort longtemps, nous ne pouvons plus communiquer avec lui que par la religion. Avec comme  conséquence  que  le temple maintient Dieu  à l’extérieur de l’homme et donc à l’extérieur du monde.  Et ainsi, puisque le domaine de Dieu est le ciel, le temple et le rite il y est donc condamné à y rester. Le monde lui demandant expressément  qu’il n’aille plus se mêler du reste et des affaires des hommes. A la vue de ce que sont devenues nos assemblées, il y a longtemps que nous aurions dû réaliser qu’entre les lieux et les hommes, la religion a choisi le temple au détriment des hommes.

Comprenons alors combien, armé de son fouet, rejetant les vendeurs hors du temple, vidant le lieu de  ses commerces et de ses marchandages, Jésus inaugure un monde neuf où l’expérience de Dieu n’en est plus réduite à tourner en rond entre les quatre murs d’un temple ou d’un rite.

N’en déplaise à tous ceux qui souhaitent rester dans l’entre-soi ecclésial, en Jésus le Christ de Dieu, le Verbe fait chair,  l’expérience de la foi est ouverte à l’homme, à tous les hommes de partout et de toujours et c’est désormais le monde entier qui est le rendez- vous de Dieu et de l’homme.  Par Jésus le Christ de Dieu nous connaissons le seul et véritable temple que Dieu veut habiter. Et ce temple  se situe à l’intérieur de notre cœur.

Quelle extraordinaire vocation que celle d’être la maison que Dieu construit, la maison que Dieu se construit.

Et c’est ce qui est le plus beau et le plus unique dans la foi chrétienne, nous sommes, dans nos personnes, cette splendeur de la vérité, créés à l’image et ressemblance de Dieu et destinés à une vie qui ne finit pas. Détruisez et je rebâtirai. Mourrez et vous vivrez. Dans sa personne, Jésus a exprimé toute notre splendeur qui ne peut s’éteindre. La beauté de Dieu est notre naturel.

Voilà pourquoi lorsque Jésus entre dans nos vies, il y entre comme dans le temple, en renversant ce principe, en  jetant en l’air les étals de nos intérêts mesquins et égotistes et  surtout en réaffirmant la primauté absolue de Dieu. Si Jésus manifeste un zèle, une passion  pour chacun de nous, pour chacun de nos cœurs, pour  chacune de nos vies c’est bien pour que nous nous ouvrions à  l’accueil de Dieu qui est aussi l’accueil du monde.  Jésus a un immense désir d’habiter en nous. Mais plus important encore, il a un immense besoin de nous voir habiter chez lui. De nous recevoir en lui, dans son Être, dans sa vie. Il a un immense désir de chasser de nos vies ce qui n’est pas sa vie pour que nous devenions ce qu’il est.

Ainsi,  l’Évangile  peut devenir comme le fouet que Jésus emploie pour changer le cœur et la vie. Bien plus, chaque fois que ‘Évangile  est ouvert, entendu, mâché et pensé, il chasse l’attachement à soi du cœur  de ceux qui l’écoutent et renverse l’obstination à suivre à tout prix ses propres intérêts. Malheureusement il n’est pas rare que nous nous placions du côté de tous ces  pharisiens et autres sadducéens dont parlent l’Évangile, lesquels, voyant un « laïc », ce qu’était Jésus, dans le territoire sacré du temple, se scandalisent et demandent la raison d’une intervention aussi brutale et « irrévérencieuse ». « Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? », demandent-ils à Jésus. C’est l’opposition sourde que nous faisons encore à l’ingérence de l’Évangile dans notre vie.

Alors ne nous y trompons pas. Ce qui met Jésus en colère c’est de voir l’expression de la foi devenir un moyen de trafic et d’intérêts  au lieu d’être une relation filiale et fraternelle.  Comprenons que Jésus veut libérer les hommes, c’est à dire chacun de nous,  d’une image perverse de Dieu que nous enfermons entre les murs d’un temple ou d’un rite.

C’est exactement ce que l’Evangile nous explique lorsqu’il nous laisse entendre que Jésus le Christ a désacralisé les temples de pierre pour sacraliser les temples de chair. Nous portons, en  chacun de nous, le Dieu vivant. Et, pour être sûr d’être bien compris, l’Evangile  le dit explicitement : « Mais le temple dont il parlait, c’était son corps » .

Voilà pourquoi il y a un  marché qui scandalise encore plus Jésus et  sur lequel il est important de porter notre attention. C’est celui qui  se situe à l’intérieur de notre coeur. C’est ce  marché là qui scandalise encore plus  Jésus  car notre coeur est le véritable temple que Dieu  habite. Comprenons que ce marché concerne la façon de concevoir et de mener sa vie. Que de fois la vie se réduit à un long et avare marchandage, privé de la gratuité de l’amour.  Que de fois devons-nous constater, en commençant par nous-mêmes, la raréfaction de la gratuité, de la générosité, de la bienveillance, de la miséricorde, du pardon, de la grâce.  La loi d’airain de l’intérêt personnel, ou de groupe, ou de  communauté ou de nation, semble inexorablement dominer nos vies. Nous sommes tous, plus ou moins, affairés à faire du commerce pour nous-mêmes et pour notre profit sans nous préoccuper de savoir si cette pratique fait proliférer les mauvaises herbes de l’arrogance, de l’insatiabilité et de la voracité.

Les coups de fouet de l’Evangile nous rappellent en nous chassant de nos rituels conformistes, qu’être  chrétien consiste d’abord à s’insurger pour créer en soi et autour de soi une vie autre. Non pas corriger, amender, améliorer la vie telle qu’elle est présentement par une morale meilleure, une orthopédie éthique qui la doterait d’une prothèse pour l’assainir.   Ça, c’est la logique des marchands contre laquelle s’insurge Jésus dans le temple.

N’encombrons pas nos cœurs de marchands de bœufs. Ce qui est en notre pouvoir, c’est de laisser Jésus lui-même faire maison nette en nous, de le laisser balayer tout ce qui nous encombre : nos préoccupations, nos repliements sur nous-mêmes et qui nous coupent des autres et du Père des cieux. Au moment où autour de nous, il y a tant de désolations devant des églises qui se ferment, faire mémoire que nous sommes ce vrai temple de Dieu dont nos églises de pierre ne sont que des signes devraient nous remplir de joie.

« Détruisez ce temple », dit Jésus, « et je le reconstruirai en trois jours». N’oublions jamais que c’est pour cette vérité que Jésus meurt. Répétons le sans cesse tant il reste éternellement vrai qu’il n’y a qu’un lieu où Dieu soit vraiment saint : le cœur des hommes qui croient sans réserve à sa bonté.  Alors qu’importe ce que devient le  temple de pierre du moment que l’homme est vivant.  Nous parlons bien de l’homme qui n’est pas dans son corps comme une chose dans un lieu. Nous parlons bien de l’homme qui n’a pas un corps comme on possède un objet mais qui « est» son corps.

Jésus lui-même n’a pas joué à l’homme comme on joue une comédie. Si Dieu s’est fait corps, c’est pour communiquer avec nous. Et, si le temple de pierre est bien détruit c’est bien pour que nous réalisions que notre corps, le temple de Dieu,  est déjà celui d’un ressuscité…

Amen

Pasteur Jean-Paul Nuñez

Print Friendly, PDF & Email