Paul – Ephesiens 3.3-6 : C’est par révélation que j’ai eu connaissance du mystère tel que je l’ai précédemment écrit en peu de mots. En lisant ceux-ci, vous pouvez vous représenter l’intelligence que j’ai du mystère de Christ. Les générations passées, n’avaient pas eu connaissance de ce mystère du Christ comme il est maintenant découvert aux consacrés et aux envoyés inspirés dans le souffle. Ce mystère, c’est que toutes les nations en partage l’héritage, forment un même corps, et participent à la même promesse en Jésus-Christ par l’Evangile.
Chers frères et soeurs en Christ,
En ce début d’année, il n’y a pas de temps plus opportun pour l’interpellation que cette période de Noël qui culmine par cette fête qui resplendit comme le soleil pour illuminer le monde et que nous appelons l’Épiphanie. L’épiphanie qui n’est rien d’autre que la révélation et la manifestation de la lumière qu’est pour nous Jésus le Christ de Dieu, c’est à dire le logos, autrement dit précisément et littéralement le sens qui est devenu pleine humanité afin d’éclairer chacune de nos routes.
Pour nous faire comprendre cette révélation, qui a été accompli pour tous les peuples, l’Evangile nous parle des mages… Paul, lui, préfère mettre en exergue ce qu’il appelle le « mystère du Christ ».
L’histoire des mages, elle, nous la connaissons bien… Nous savons comment ils sont arrivés là où l’étoile s’arrête.. Nous connaissons comment ils se sont agenouillés devant l’enfant Jésus, après avoir déballés et offert leurs présents… Tout cela nous le savons…Toutefois nous sommes peu attentifs au fait que ces mages se sont empressés de repartir, comme si trouver Jésus au cours de son existence ce n’est jamais être arrivé, mais plutôt toujours être sur le départ. Et s’ils repartent par un autre chemin, donc un chemin encore à faire, c’est parce que Christ est celui qui, incontestablement, nous fait changer de route dans nos vies, autrement dit celui qui littéralement déroute… Tout simplement parce que la foi ne propose jamais d’aller et retour, mais seulement des «aller» simples, toujours pour un tout-autre inconnu…
Contrairement à l’histoire des mages, Paul lorsqu’il s’adresse à ses frères et soeurs éphésiens, ainsi qu’à nous même, Paul tient à nous rappeller la puissance et la dynamique de transformation qui est à l’œuvre chez tous ceux qui ont revêtu le Christ, chez tous ceux qui prennent conscience d’être habité par cette Présence divine qui est en chacun mais qui est aussi en toutes choses depuis le début des temps tels que nous les connaissons…
Comprenons alors qu’au lieu de répéter que Dieu est venu dans le monde par Jésus, il serait peut-être plus juste de dire que Jésus, celui qui étant « né d’une femme sous la loi », pour reprendre les mots même de Paul, celui qui étant né dans un moment du temps chronologique au début de l’ère, temps que nous venons de fêter, que Jésus, a émergé dans notre monde déjà imprégné et rempli de Christ. Plus précisément pour le dire autrement, l’incarnation de Jésus-Dieu-sauve coule de la précédente incarnation qui est celle de l’union d’amour de Dieu avec toute la création physique en devenant la lumière à l’intérieur de tout et de tous.
Voilà pourquoi, nous serions bien inspiré de ressasser et de repenser le prologue de Jean tant il nous laisse entendre cette espérance incroyable et inouïe à savoir qu’effectivement une radiante lumière brille à intérieur de toute chose et quelle ne peut pas être éliminé parce que justement en cela se trouve la vie. Et lorsque Jean nous dit :« Dans le logos, autrement dit dans le verbe et dans le sens était la vie… Et la vie était la lumière de tous les êtres humains », il nous laisse entendre, car c’est bien de cela dont il s’agit, que le mystère de Christ c’est bien la vie sans fin offerte à tous qui que nous soyons.
Entendons bien que ce mystère là, signifie davantage qu’être simplement vivant.
La vie que les mages vont vénérer auprès de cet enfant, la vie que Jésus incarne et illustre ne peut être donnée et reçue que comme un cadeau, comme un don comme une grâce. Et, en tant que telle, nous pouvons la rencontrer au pied d’une étoile ou sur nos propres chemins de Damas, nous pouvons la glorifier, la louer et même surtout la partager. Mais, jamais, il ne peut nous appartenir de la définir, de la délimiter, de l’administrer, de la contrôler ou même d’en faire un fétiche, une pensée magique…
Réalisons alors ce que cela veut dire en ce temps où, tous, nous avons fait, de façon explicite depuis au moins deux ans, mais dans les faits depuis bien plus longtemps, le « choix » béat de la vie et d’une « vie-quoi-qu’il-en-coûte ». Regardons, avec quelle crainte, suspicion ou incompréhension nous arrivons à nous comporter à l’égard de tous ceux qui essayent seulement de suggérer qu’il pourrait y avoir des valeurs plus importantes que la sauvegarde de la seule vie biologique à n’importe quel prix, des valeurs telle que la liberté, le courage ou encore l’esprit de la démocratie et le souci d’œuvrer avec d’autres à la préservation et à l’élaboration d’un monde… Déjà, à la fin du siècle passé le penseur Ivan Illich déclarait : « La vie est l’idole la plus puissante à laquelle ait jamais été confrontée l’Église au long de son histoire. Bien davantage que l’idéologie de l’ordre impérial ou féodal, que le nationalisme ou le progrès, l’acceptation d’une vie devenue une chose en tant que réalité divinement conférée se prête à une nouvelle corruption de la foi chrétienne. » C’est tellement vrai surtout si nous prenons conscience que depuis le début de cette pandémie qui nous assaille nous avons tous oublié qu’oublier qu’on va mourir, c’est désapprendre à vivre. Et nous n’en sortons pas indemnes puisque depuis fort longtemps déjà, nous nous mettons à applaudir sottement à toutes sortes d’hypothèses, de pseudos expertises, de postulats, de slogans, de prises de conscience qui sapent notre foi. Le pire c’est qu’en colportant des idées sans distinguer les étiquettes d’origine, elles demeurent dans notre conscience, sans qu’elles s’entrechoquent violemment avec les fondements de notre foi qui devraient aussi s’y trouver… C’est bien la raisons pour laquelle Paul nous le recommande avec véhémence : « Ne formez pas d’attelage disparate avec ceux qui ne croient pas. (..) Quelle communion entre la lumière et les ténèbres ? Quelle entente entre le Christ et Béliar-le-non-sens ? Quel accord entre le temple de Dieu et les idoles ? »… Ces questions que Paul adresse à ses frères Corinthiens soulève celle de savoir pourquoi nous, prétendument chrétiens, qui confessons que Christ est venu nous ouvrir à la pleine conscience, pourquoi nous nous obstinons à vouloir retourner aux ténèbres… Cela pose question de savoir pourquoi nous semblons vouloir nous priver d’être la lumière du monde en nous contraignant à passer le temps dans lequel nous sommes avec un réel désir d’être simplement comme tout le monde, en nous évertuant d’accéder à tout ce qui nous arrive avec un regard « sécularisé » c’est à dire en ayant perdu toute transcendance, dépourvue de « plus haut », et en ayant abdiqué tout idéal et tout dessein…
Dans son testament spirituel le philosophe et dissident de Prague Jan Patocka a écrit, peu avant de mourir des suites d’un interrogatoire policier : « Une vie qui n’est pas disposée à se donner à son sens et ses convictions ne gagne pas d’être vécue. » A travers ces mots, le penseur, dans son exemplarité qui venait là d’engager sa propre existence, souhaitait souligner que c’est parce qu’on s’inscrit au sein d’une humanité et donc d’une incarnation donnée qu’on devient capable de ne pas tout réduire au seul critère infantile du bien-être, de la consommation sclérosante, ou de la distraction primaire qu’on peut en retirer.
Et ce donné et cette grâce dans laquelle nous nous inscrivons, nous la recevons entre autre de la longue lignée des témoins de la foi qui nous ont précédé depuis les mages et même depuis bien avant. Ce donné et cette grâce nous devance, nous excède et nous engage… Paul ne nous dit pas autre chose lorsqu’il annonce : « Les générations passées, n’avaient pas eu connaissance du mystère du Christ comme il est maintenant découvert aux consacrés, ses envoyés, inspirés dans le souffle ».
Pour autant, réalisons que pour se trouver inspiré dans le souffle comme envoyé et consacré, c’est à dire mis à part qui nous donne d’ailleurs le mot dissident… Donc pour se trouver consacré ou dissident par la connaissance du mystère du Christ, il ne suffit pas d’avoir entendu parler du Christ. Encore faut-il avoir été enseigné enlui, initié en lui, imité en lui. Autant de verbes d’enseignements qui sont à la racine même du mot « mystère » comme d’ailleurs de celui du mot « mystique ». Autrement dit, seul Christ nous transmet la « pensée du Christ » en habitant en nous. Seul Christ nous transfigure pour nous porter, pour nous élever à la hauteur de l’inouï, de l’extraordinaire et du merveilleux de la vie sans fin . Car, incontestablement, en nous amenant à entrer dans le mystère, la foi amplifie notre regard et nous permet d’observer toute chose, le monde et ses tribulations avec le regard même de Christ c’est à dire avec les yeux même de Dieu. Et c’est cela qui nous aide à avancer malgré la complexité des choses comme des événements dans leur opaque réalité. Notre foi en Christ nous permet de voir ce qui nous est habituellement obscur en nous aidant à discerner les signes des temps.
Les mages, qui ont été dérouté, nous ont appris que c’est par le principe de conversion que l’Évangile transforme notre rapport à la naissance du Christ et à son émergence dans nos vies… Encore moins faut-il entendre la conversion non dans un quelconque sens moral mais dans son sens courant de passage du doute existentiel à la foi par l’écoute de l’inouï de l’Évangile. La conversion s’entend comme changement de tournure d’esprit, nouvelle qualité d’audition et de compréhension, ouverture à l’inouï, ou encore, d’après le philosophe François Jullien, « effort infini […] pour sortir l’inouï de sous son recouvrement et le voir de face ».
Voilà pourquoi une de nos premières missions pour « sortir l’inouï de sous son recouvrement » c’est d’apprendre à redevenir des dissidents inspirés du souffle afin d’être les catéchètes et les enseignants fidèles de l’Evangile du Christ et de son mystère. A l’instar de tous ces pères et mères de l’Eglise des premiers temps qui passaient l’essentiel de leur existence à enseigner et à catéchiser de manière simple, humble et directe. Ils ne faisaient pas des cours de théologie, ils ne se lamentaient pas sur l’actualité. Ils avaient fait leur le cri de Paul : « Comment le monde peut-il croire si personne ne prêche ? » En osant enseigner à travers leurs simples mots, ils étaient convaincus que les gens pouvaient découvrir à leur tour l’inouï du mystère du Christ. C’est à dire découvrir ce sens de la vie sans fin qui, telle l’étoile des Mages, est en mesure d’illuminer chacune de nos routes et donc chacune de nos existences…
Amen
Pasteur Jean-Paul Nunez