«…tous ceux qui se servent du poignard périront par le poignard. »

Jérémie 6.13-15

Car depuis le plus petit jusqu’au plus grand, Tous sont avides de gain; Depuis le prophète jusqu’au sacrificateur, Tous usent de tromperie. Ils pansent à la légère la plaie de la fille de mon peuple : Paix ! paix ! disent-ils; Et il n’y a point de paix;

Ils seront confus, car ils commettent des abominations; Ils ne rougissent Pas, ils ne connaissent pas la honte;

Matthieu 26.51-54

Et voici, un de ceux qui étaient avec Jésus étendit la main, et tira son épée; il frappa le serviteur du souverain sacrificateur, et lui emporta l’oreille. Alors Jésus lui dit : Remets ton épée à sa place; car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée. Penses-tu que je ne puisse pas invoquer mon Père, qui me donnerait à l’instant plus de douze légions d’anges ? Comment donc s’accompliraient les Ecritures, d’après lesquelles il doit en être ainsi?

 

Chers frères et sœurs en Christ,

Aujourd’hui, l’Evangile que nous venons d’entendre nous renvoie, de façon implicite, à l’actualité pesante de la guerre . Je suppose que pour chacun c’est une préoccupation. Personnellement cela me traverse. Voilà pourquoi, contrairement à  mon habitude, ma prédication va s’exprimer en « je ». Une fois n’est pas coutume. Mais ma conscience ainsi que le sens de mon engagement dans le ministère de Jésus le Christ vivant  ne me laisse pas d’autre choix.

J’ai appris, par expérience, que la vérité des mots ne fait aucun doute même si parfois la mission à laquelle cette vérité des mots nous appelle reste difficile. Pour autant cela n’a rien d’exceptionnel surtout lorsqu’il est possible de se remémorer la longue lignée des témoins de la foi qui nous ont précédé et qui n’ont eu cesse, dans des circonstances particulièrement difficiles,  de briser le silence de la nuit. Parfois même pour nous apprendre que  l’appel à la Parole vivante est souvent une vocation d’agonie… Et si, toutefois, nous n’en sommes  pas encore là,  il n’empêche que nous devons élever la voix. Et nous devons le faire avec toute l’humilité et la simplicité  qui convient à notre vision limitée, tout en priant pour que  notre propre être intérieur soit sensible à la direction et au sens que nous indique le souffle de vie, l’Esprit du Dieu vivant.   Nous avons tous profondément besoin de perspectives et d’espérance  au-delà des signes des temps avec leurs  nuages noirs et ténèbres qui semblent si proches autour de nous.

Tellement c’est banal de le dire, cela ne vous surprendra pas que je vous dise que je n’aime pas la guerre.  Et, chacun parmi nous, du moins je le pense, pourra me rétorquer qu’il en est de même pour lui. Avec de bonnes raisons qui ne sont pas que conceptuelles, qui ne sont pas que du registre de l’idée surtout lorsque nous n’en avons pas connu. Et, puisse Celui qui est la vie de notre vie nous tenir toujours éloigné de cette coupe.

Les raisons pour lesquelles je n’aime pas la guerre sont simples.

Cela à certainement son importance, mais la lignée qui me précède a été détruite et effacée du coté de mon père réfugié et fortement impacté du coté de ma mère. Malheureusement, beaucoup de familles qui ont été marqué par des faits semblables. Mais je déteste aussi  la guerre parce que les circonstances de l’existence ont fait que je me suis retrouvé à de nombreuses reprises à la côtoyer, à la voir, devant moi, s’exercer au quotidien, à en mesurer très directement le tragique, les drames et les horreurs qu’elle occasionne en fauchant des vies sans compter. Cela je l’ai vécu au Liban, en Palestine, au Kurdistan, en Irak, en Bosnie et au Kosovo…  Et, pour moi, aujourd’hui, en voyant l’image d’un immeuble détruit et écroulé comme le théâtre de Marioupol  cela me remémore  les décombres,  avec leurs effluves insupportables de morts, de ceux que je parcourais à Beyrouth, à Gaza ou à Sarajevo… Voir des colonnes d’exilés fuyant l’innommable agression que subit l’Ukraine me rappelle ces colonnes hagardes  que j’ai accompagné  à Banja Luka ou Gorazde…

Et de surcroît si je n’aime pas la guerre c’est bien parce que je comprends le prophète Jérémie lorsqu’il se lamente à dire : « Paix ! paix ! ; mais,  il n’y a point de paix ». Autrement dit, les guerres, comme  celle d’Ukraine qui nous scandalise et nous horrifie  à juste titre aujourd’hui,  les  guerres comme celles dont nous ne nous sommes pas ou très peu souciés et qui pourtant ont occasionnés des centaines de milliers de morts… 700000 dans celles du Soudan, quelques 600000 en Syrie, 300000 sur plusieurs pays africain du seul fait de Boko Haram, 100000 au Yemen… Et hier, à fin des années 90, en Bosnie, là, derrière l’Italie, à une petite distance de Trieste 100000 morts …

Toutes ces guerres ne se justifient jamais pour elles mêmes.

Elles ne se font que pour  la paix qu’elles prétendent vouloir établir. Ne dit-on pas  « Si vis pacem, para bellum » « Si tu veux la paix prépare la guerre ».

Cette expression complètement  idiote suffit, en vue d’une paix probable, à réhabiliter, toujours et partout, la guerre tout entière, avec ses destructions, ses souffrances et ses morts.

Il m’est  inconcevable de voir que la guerre, et elle seule,  est tenue comme le seul moyen de sauvegarder la sécurité et l’indépendance des peuples.  Comme il m’est tout aussi  insupportable de réaliser que les déclarations et les démarches de paix que tous les gouvernements ne cessent de répéter à la fois par devoir et par habitude sont invariablement précédées et suivies de mesures  visant à accroitre, à developper, à exporter leur potentiel militaire. Et cela se fait dans l’indifférence complice des opinions publiques dont nous faisons parties.  Réalisons que nous, qui ne cessons à juste titre de penser à la planète que nous pourrions transmettre à nos enfants, nous nous sommes résignés  à ce que nous appelons la paix ne soit devenus que l’équilibre des terreurs militaires.

Alors, en entendant Jésus nous dire : « Rengaine ton poignard, car tous ceux qui se servent du poignard périront par le poignard. » je réalise combien il est extraordinaire de voir que si nous sommes paralysés devant le risque de la paix, nous en acceptons, toujours,  de prendre le risque de la guerre.  Et, il ne suffit pas, pour ce faire, de pouvoir invoquer la folie de tel dictateur ou autocrate pour justifier une agression inqualifiable comme cela se passe en Ukraine. Car au delà de  possibles pathologies mentales celui là a agit  tout aussi rationnellement mais de façon  tout aussi   inhumaine que tous ceux qui ont attaqué et dévasté, ces dernières décennies, l’Irak, la Serbie, la Syrie, l’Afghanistan, Gaza, le Soudan, la Libye, le Yémen, le Myanmar, le Haut Karabag, sans parler de toutes la autres folies  au prix de drames inimaginables, de destructions innommables  et bien sûr de millions d’exilés.  Cela me remémore le mot de Georges Bernanos qui disait « L’homme moderne a les tripes sensibles mais il a le cœur dur. »

J’espère me tromper, mais je suis persuadé, qu’à travers ce qui se passe, au-delà de la seule guerre d’Ukraine, nous  sommes en train de vivre une  immense rupture de notre monde, violente et brutale, avec des conséquences que nous sommes loin de d’imaginer. Et si nous en doutons alors il suffit de voir combien les boniments nous enlève toute réaction devant  la menace du suicide de l’humanité à travers  la force nucléaire qui s’est, peu à peu, intégrée à notre univers et à notre pensée.

Nous, qui, ici, nous revendiquons disciples du Christ devons être inquiet de cette accoutumance. Mais surtout je me demande comment nous pouvons  répondre à la question que Jésus vient de nous poser dans notre Evangile :  « Certes, mon Père peut me donner les moyens avec des légions d’anges de mener une guerre juste mais alors,  si cela se fait, expliquez moi  comment  les Ecritures pourront s’accomplir ? »

Cette  question doit nous accompagner.

De même, que doit nous accompagner la lamentation du prophète Jérémie qui  n’en prends que plus de force : « Paix ! paix ! ; mais,  il n’y a point de paix » J’entends bien ce que nous dit Jérémie tant nous sommes restés très maladroits dans nos efforts pour échapper à la fatalité de la guerre.

Pire, quelle que soit notre répugnance devant cette fatalité, nous n’osons même plus nous révolter ouvertement contre elle.  Sans y prendre garde, nous l’entretenons. D’ailleurs  parce qu’on nous l’a enseigné depuis des siècles, et qu’on nous le répète encore aujourd’hui et que, par discipline, nous en arrivons à le croire : les ennemis de la guerre, dont je fais parti,  les ennemis de la guerre que je revendique d’être, les ennemis de la guerre en deviennent les ennemis de la paix. Nous en  sommes arrivés à être prisonniers de cette alternative simple qui nous oblige à accepter la guerre au nom d’un soit disant réalisme, sous peine de tomber dans les illusions généreuses et naïves de ce qu’on appelle le « pacifisme ». Et, comme ennemi de la guerre, cela je le récuse. Je ne suis pas pacifiste car je ne suis pas de ceux qui se voulant « au-dessus de la mêlée », restent impuissant à faire l’histoire.

Pour faire l’histoire et  chacun de nous peut la faire, j’ai appris, en parcourant le réalité des choses,  que dans les temps troublés, quand plus personne ne sait ce qui se passe et que les meutes d’indignés et de pseudo-experts submergent l’espace public de pathos et de théories oiseuses, il convient de revenir à ce fondement de notre foi qui s’appelle le discernement, et même plus précisément le discernement de l’Esprit saint. Etymologiquement  le discernement ce n’est pas juger, ce n’est pas faire un choix. C’est rendre juste, c’est essayer d’être juste avec les autres et juste avec soi-même. D’ailleurs Jésus nous met en garde sur ce point :  

« […] vous ne cessez d’interpréter le ciel  qui s’embrase alors que  vous êtes dans l’incapacité  de  discerner les signes des temps! Génération malfaisante et infidèle, qui réclame un signe ! En fait  il ne lui sera  donné que celui de Jonas ».

Je mesure combien cette sentence est difficile à entendre. Je mesure combien c’est compliqué, de littéralement se convertir comme au temps de Ninive  afin de s’éloigner  de cette coutume et propagande  temporelle qui nous façonne et nous pétrie pour en arriver à discerner  au delà de l’indignation. Je mesure que tous les gestes et pr!ères de compassions que nous pouvons accomplir aujourd’hui, entre autre pour nos frères et soeurs d’Ukraine et même de Russie, tous ces gestes sont  importants et bienvenues, sans aucun doute, mais, pour autant, tous ces gestes et prières  ne font pas de nous  des artisans de paix ni même des citoyens du ciel pour reprendre l’expression de Paul. Je mesure combien c’est effectivement difficile de se lever dans une résistance qui écarte toute forme de haine et de violence même si je comprends bien que Jésus le Christ de Dieu est littéralement désarmé excluant de ce fait toute forme agressive dans l’intention comme dans les moyens.

Je fais parti de ceux qui ont du mal à réaliser que la paix de Dieu, le  shalom, cette paix qui n’est que bénédiction et manifestation de la grâce divine, cette paix  qui parcours toutes les Ecritures signifie le triomphe sur  toutes les dissensions, sur toutes les querelles et tensions sociales, et signifie l’aptitude à prévenir toute hostilité et  bien sûr au final toute guerre. « Celui qui établit la paix entre l’homme et son prochain, nous dit le Talmud, entre un mari et sa femme, entre des membres de sa famille ou de sa communauté, entre deux villes ou deux nations… celui là, en rentrant ainsi dans la promesse de l’Eternel,  aucun mal ne l’atteindra. »  Nous avons là toute l’énergie du Royaume qui doit nous permettre de cheminer.

Dans un magnifique sermon qu’il a fait contre la guerre au Vietnam,  en avril 1967, Martin Luther King, qui était, lui aussi, un farouche ennemi de la guerre, nous exhortait à prendre conscience de ce que peut réaliser notre foi au Christ vivant.  Lui qui était convaincu que nous ne pouvions récolter que ce que nous semions, était tout aussi convaincu  que nous étions en mesure d’anticiper la venue du jour où le lion et l’agneau se côtoieront paisiblement et où chaque homme pourra s’asseoir au pied de son cep de vigne ou de son figuier et où personne n’aura plus peur parce que la Parole incarné se fera entendre… Avec lui, aujourd’hui, malgré la grêle des démentis, je crois tout aussi  fermement  que notre foi nous rends capables de tailler dans la montagne du désespoir une pierre d’espérance. Je crois tout aussi  fermement que notre foi nous donne la possibilité de transformer les dissonances criantes de notre monde en une belle symphonie fraternelle.  Je crois que le contraire de la violence, de la haine et de la guerre  ce n’est pas tant de fuir celles-ci qu’en définitive partager l’amour reçu de Dieu qui anime l’éternelle vérité que représente le Christ qui se trouve incontestablement  en chacun de nous.

Prions,

Seigneur, en ces temps difficile,

Donne-nous l’intelligence du discernement,

Donne-nous le respect émerveillé et miséricordieux de tout ce qui vit,

Donne-nous l’amour sans revers de la haine,

Et surtout remplis nous de la force et de la joie de ta paix.

Amen.

Jean-Paul Nuñez

 

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