Le bon berger qui nous mène au large -Jean 10, 7-18 (Agnes Kauffmann)

Jean 10, 7-18  : Jésus donc leur dit encore: En vérité, en vérité, je vous dis que moi je suis la porte des brebis.  Tous, autant qu’il en est venu avant moi, sont des voleurs et des larrons; mais les brebis ne les ont pas écoutés.  Moi, je suis la porte: si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé; et il entrera et il sortira, et il trouvera de la pâture.  Le voleur ne vient que pour voler, et tuer, et détruire: moi, je suis venu afin qu’elles aient la vie, et qu’elles l’aient en abondance.

Moi, je suis le bon berger: le bon berger met sa vie pour les brebis;  mais l’homme qui reçoit des gages, et qui n’est pas le berger, à qui les brebis n’appartiennent pas en propre, voit venir le loup, et laisse les brebis, et s’enfuit; et le loup les ravit, et il disperse les brebis. Or l’homme à gages s’enfuit, parce qu’il est un homme à gages et qu’il ne se met pas en souci des brebis. Moi, je suis le bon berger, et je connais les miens et je suis connu des miens,  le Père me connaît et moi je connais le Père; et je mets ma vie pour les brebis.  Et j’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie; il faut que je les amène, elles aussi; et elles écouteront ma voix, et il y aura un seul troupeau, un seul berger.  A cause de ceci le Père m’aime, c’est que moi je laisse ma vie, afin que je la reprenne.  Personne ne me l’ôte, mais moi, je la laisse de moi-même; j’ai le pouvoir de la laisser, et j’ai le pouvoir de la reprendre: j’ai reçu ce commandement de mon Père.

S’il n’y avait plus de portes à ce temple, ce serait assez problématique. Les uns seraient exclus dehors, mais bien pire encore, les autres, et donc nous ici présents, nous serions enfermés entre quatre murs. Ce temple deviendrait alors une prison. Si nous sommes entrés dans ce temple de notre plein grès ce matin, c’est parce que l’on sait que nous pouvons en ressortir. Et ceci est vrai pour tous les lieux dans lesquels nous entrons, y compris nos propres maisons. Il suffit de penser au premier confinement, pour se rappeler que nos propres foyers ont pu avoir des allures d’enfermement. C’est vital de pouvoir être libre d’entrer et de sortir. Et bien, d’une certaine façon, c’est de cela dont nous parle le texte d’aujourd’hui quand Jésus dit : « c’est moi qui suis la porte des moutons ». Et il s’agit encore de cela quand Jésus dit « C’est moi qui suis le bon berger. » Car Jésus apparaît ici comme le berger qui mène le troupeau à l’intérieur de l’enclos, dans le confort de la sécurité, mais aussi, vers l’extérieur, à travers les nouveaux horizons des pâturages.

Où est-ce que Jésus nous mène ? Qui est-il ce berger pour nous ? Voilà quelques questions auxquelles nous sommes invités à méditer aujourd’hui.

Le voleur et l’employé

Commençons par cette figure du bon berger à laquelle Jésus fait appel. Celle-ci peut nous sembler familière. Elle est en tout cas largement employée dans l’Ancien Testament. Tout d’abord parce que de nombreux protagonistes importants sont des bergers. Abel, le frère de Caïn, en est le premier représentant, on peut évoquer aussi Jacob, Moïse, David et bien d’autres encore.

Cette image du berger sert aussi à représenter un rôle particulier : celui de Dieu vis-à-vis de son peuple. Dieu apparaît alors comme celui qui, par excellence, prend soin de son peuple, le connaît et le guide. On pourra citer, par exemple, le psalmiste, dans le psaume 23, qui commence ainsi : « L’Éternel est mon berger : je ne manquerai de rien ». Or ce rôle, qui revient en premier lieu à Dieu, est aussi confié aux puissants, aux pouvoirs politiques et religieux afin qu’ils prennent soin de leur peuple. C’est ce qu’on a pu entendre à travers le passage du livre d’Ézéchiel. Le berger c’est celui qui doit prendre soin. Mais, dans le texte mentionné, ce n’est pas ce qui arrive. Le prophète dénonce les mauvais bergers qui s’engraissent au profit du troupeau et qui ne prennent pas soin des brebis les plus fragiles.

De même dans l’évangile selon Jean, Jésus se présente en opposition aux voleurs et aux employés. Lui, le bon berger, se démarque des mauvais bergers dont Ézéchiel fait allusion. Le voleur c’est celui qui s’empare de ce qui ne lui appartient pas, qui s’approprie ce qui n’est pas à lui. Ce faisant, il détruit ce qu’il cherche à s’approprier. L’employé, quant à lui, c’est celui qui est payé pour garder les moutons qui ne lui appartiennent pas. Son profit n’est pas dans le bien-être des moutons mais dans son salaire. Ainsi, cela n’a pas de sens pour lui de se mettre en danger pour préserver la vie des moutons. Pour l’employé, il n’est pas question d’investir plus que ce qui est inclu dans le contrat. Son investissement et son lien avec les moutons s’arrête le jour tombé, une fois que le troupeau est rentré. Ce qui l’intéresse, ce n’est donc pas la vie des moutons, c’est son salaire, c’est avant tout son propre intérêt.

La question qui peut nous venir à présent est de savoir de qui Jésus voulait parler. Faisait-il référence aux anciens chefs d’Israël à la manière d’Ézéchiel ? Et bien sa critique peut être facilement éclairée par la lecture du chapitre précédent (que je vous invite à lire). Le chapitre 9 de l’évangile selon Jean relate l’histoire d’un aveugle qui recouvre la vue grâce à Jésus le jour du sabbat. L’aveugle recouvrant la vue est amené vers les pharisiens qui l’interrogent et remettent en question son témoignage. Ils font même venir ses parents pour confirmer son témoignage. Mais comme le sabbat a été rompu, Jésus ainsi que celui qui a recouvré la vue sont considérés comme pécheurs. Ainsi, celui qui était aveugle est insulté et exclu de la synagogue et de la société juive.

Les voleurs et les employés dont parle Jésus sont ce que représentent les pharisiens, c’est à dire la religiosité. Ils représentent ceux qui pensent appliquer la loi de Moïse mieux que les autres, ceux qui croient avoir compris Dieu et sa volonté. Paul dans ces épîtres parle précisément de cela. Il écrit : « C’est lui aussi qui nous a rendus capables d’être ministres d’une alliance nouvelle, non pas de la lettre, mais de l’Esprit ; car la lettre tue, mais l’Esprit fait vivre. » Lorsqu’il mentionne la lettre qui tue, il ne parle pas de la loi de Moïse, qui est bonne en tant que telle. Mais il parle de la façon dont l’homme s’approprie la loi de Dieu pour la faire sienne. D’une certaine façon, l’homme la subtilise, il la vole comme les voleurs mentionnés par Jésus. Quand l’homme s’approprie la loi de Dieu, il la rend humaine et figée. Cette loi n’est alors plus que jugement humain et condamnation. Cette loi devient alors meurtrière comme le brigand. Elle exclut comme les pharisiens ont exclu celui qui était aveugle. C’est ainsi que la lettre tue car elle n’est là que pour condamner.

Le lettre représente aussi le fonctionnement des employés. En effet, quand l’homme s’approprie la loi de Dieu, il s’appuie sur l’illusion que si nous faisons bien les choses, si nous remplissons le contrat établit, alors nous serons récompensés à la hauteur des efforts accomplis dans la journée. Mais alors, on oublie que toute capacité vient de Dieu comme l’écrit l’apôtre : « Non pas que de nous-mêmes nous soyons capables de considérer quoi que ce soit comme venant de nous-mêmes : notre capacité vient de Dieu ». Il s’agit là des employés qui n’impliquent pas leur cœur pour les moutons, qui n’ont pas le soucis des moutons parce qu’ils sont attachés à la lettre avant d’avoir le soucis de l’autre.

Ainsi, le voleur comme l’employé, c’est celui qui croit avoir compris la loi de Dieu, et se faisant se l’est appropriée, la subtilisée, la remplacée en une loi de pierre, en une loi d’efforts et de rétribution en une loi qui exclut celui qui était aveugle, en une loi qui tue.

L’appel du bon berger

La vérité ne se situe donc pas dans une loi de pierre, elle ne se trouve pas dans la lettre, mais elle se trouve dans l’Esprit, qui advient lorsque l’on se tourne vers le Seigneur. « Jusqu’à ce jour [écrit l’apôtre Paul], quand on lit Moïse, il y a un voile sur leur cœur  ; mais lorsqu’on se tourne vers le Seigneur, le voile est enlevé. Or le Seigneur, c’est l’Esprit ; et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. » Ce n’est plus dans la loi que se trouve la vérité, mais dans la rencontre avec le Seigneur. Or c’est précisément l’invitation adressée par Jésus, celui qui est le bon berger et qui nous appelle à sa rencontre.

« les moutons entendent sa voix ; il appelle ses propres moutons par leur nom et les mène dehors. » Le bon berger est celui qui appelle ses moutons, il leur parle. C’est celui qui fait de la lettre une parole vivante qui relève et qui mène à l’extérieur. Et la parole, contrairement à l’écrit appelle à une réponse, elle appelle au dialogue et à l’échange. Et si les moutons suivent le berger c’est parce que le berger les connaît chacun individuellement. Il les connaît par leur nom parce qu’il a le soucis de ses moutons.

Rappelons-nous que ce n’est pas nous qui connaissons d’abord le Christ, c’est lui qui nous connaît en premier, c’est lui qui vient à notre rencontre. Ainsi, s’attacher à la loi de Dieu c’est avant tout s’attacher à cette rencontre. Il ne s’agit pas de s’attacher à une lettre figée mais à une personne.

Le bon berger met au large

Or c’est en suivant le Christ, en suivant son Esprit que cette nouvelle alliance nous mène au large, nous permet d’entrer et de sortir. C’est la promesse du Christ pour nous. En effet, le Christ se présente à nous comme la porte. « C’est moi qui suis la porte [dit Jésus] ; si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ; il entrera et sortira et trouvera des pâturages. » La porte donne accès à la fois à l’enclos et au pâturage. La porte c’est l’ouverture, c’est l’accès, le passage rendu possible. Ainsi, Jésus est la porte qui donne accès, à l’enclos, cette dimension de sécurité et de confort, mais il est aussi la porte qui permet de sortir au large, vers les pâturages. Or, c’est cela qui sauve : la liberté, en Christ, de pouvoir entrer et sortir.

Le Christ n’appelle pas à rester enfermé dans nos espaces de confort. Car rester dans son enclos reviendrait à rester dans l’entre soi, à rester figé sur une seule représentation du monde, sur une seule lecture de la Bible. Rester dans l’enclos c’est rester attaché à une lettre de pierre. Au contraire, si le Christ nous invite à rentrer dans le confort de l’enclos, il nous encourage tout autant à sortir au large dans le pâturage, dans cette zone à découvrir et à explorer sans cesse. C’est bien parce que l’on peut sortir de l’enclos que celui-ci est si agréable et c’est bien parce que l’on peut aller se reposer dans l’enclos que le pâturage est si enrichissant.

Entendons bien que cette figure du berger n’est pas neutre. Le berger représente la vie de nomade, la vie de celui qui ne cesse jamais de chercher le meilleur endroit pour faire paître ses moutons, la vie de celui dont la mobilité est vitale. Ainsi, sur nos chemins de foi, nous sommes invités à bouger sans cesse, à avancer à la suite du Christ, à explorer de nouveaux horizons.

Alors, comment savoir reconnaître le bon berger, le vrai berger, le berger par excellence ? C’est celui qui ne s’approprie pas la loi pour en faire un contrat aux limites claires, pour en faire une lettre morte qui condamne et qui détruit. L’Esprit qui nous permet de donner vie aux Écritures, c’est l’Esprit qui nous est donné par la rencontre avec le Christ. Avec celui qui est capable de donner sa vie pour ses brebis. Le bon berger c’est celui qui a le pouvoir de donner et de reprendre sa vie pour que les moutons aient la vie en abondance. Voilà la clef de lecture de la nouvelle alliance en Jésus-Christ. Toute Écriture doit passer par la porte du Christ pour pouvoir devenir une parole qui donne la vie en abondance.

N’oublions donc pas que nous pouvons parfois être ces brigands qui s’approprient la loi et  expulsent les moutons loin du berger. N’oublions pas que parfois nous sommes tentés d’être des employés, cherchant à être rémunérés pour nos bonnes actions. Mais surtout, n’oublions pas que nous sommes avant tout les moutons bien aimés qui sont rencontrés à l’initiative du Christ, appelés chacun par notre nom.

Notre responsabilité alors, c’est de suivre sans cesse le Christ qui nous mène au large, c’est de ne pas avoir peur de découvrir de nouveaux horizons, de nouvelles manières de voir le monde et de comprendre la nouvelle alliance que nous offre le Christ. Ce n’est qu’en écoutant la voix du bon berger, en y répondant et en la suivant que la lettre de nos Bible peut devenir parole de vie.

La Bonne Nouvelle en Christ c’est qu’il nous mène au large, dans des espaces que nous avons encore et toujours à explorer et à admirer.

Amen

Agnes Kauffmann

Saint-pargoire, 2 mai 2021

Agnès Kauffmann

 

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