Prédication 6 juin 21 (Marc 14.22-26)

Chers frères et soeurs en Christ,

Les paroles que nous venons d’entendre  sont celles du début du récit de la Passion et de la mort de Jésus. Ce récit commence vraiment  avec le dernier repas, avec la Cène. Ce dernier repas avant l’arrestation est un repas très spécial, puisqu’il s’agit du repas pascal. Un repas très ritualisé, un repas liturgique, entrecoupé de chants de psaumes et de prières d’action de grâces. Il s’agit de célébrer le repas qui commémore la libération d’Israël, l’exode d’Égypte.

Jésus le fait à la façon d’un exilé, à la façon d’un juif de la diaspora. Il le fait  de la façon la plus classique et la plus  simple qui soit. C’est à dire en partageant le pain non levé, la matza comme on l’appelle en hébreu , ce pain de la liberté  qui vient nous rappeler que nous devons  nous concentrer sur notre moi profond, sur notre intériorité en éliminant tout sentiment de suffisance causé par notre ego toujours surdimensionné… Et puis, en plus de ce pain habituellement on partage quelques légumes du printemps, symbole du renouveau et de la régénération, que délicatement on prend soin de tremper dans un bol d’eau fortement salée qui nous rappelle les larmes des ancêtres fuyant le pays de la servitude… On mange aussi quelques herbes amères souvenir de la douleur de  l’esclavage. On prends ces herbes avec un bout de pain afin d’associer la liberté à la souffrance. La signification de ce geste est qu’il nous faut admettre que les épreuves font partie intégrante de chacune de nos vies.  Et qu’au lieu de  rester prostrée dans la douleur, il nous appartient alors d’élucider ce que celle ci  peuvent bien vouloir nous dire au moment ou nous les subissons.

Nous ne savons pas si, conformément au rite, Jésus, après la  coupe, a entonné  la prière prononcée en ces circonstances   qui dit que : « Voici le pain de la misère que mangeaient nos pères [ … ]. Que celui qui a faim vienne et mange; que celui qui souffre vienne célébrer le repas pascal… »

Toujours est-il que, comme Marc nous le rapporte,  Jésus a ajouté à la prière liturgique rituelle quelque chose de très important, d’incroyable et d’inouï .  Sur le pain il ajoute : « Prenez, ceci est mon corps », et sur le vin : « Ceci est le sang de l’alliance, qui sera versé pour tous. »

Ces paroles sont incroyables car en disant cela, Jésus renverse, tel à son habitude,  l’ordre des choses.  Il nous fait faire un grand retour en arrière en  nous ramenant au Sinaï, au moment où Moïse lisait, au peuple la loi de l’alliance entre Dieu et l’homme. Nous avons entendu ce passage du livre de l’Exode dans nos lectures.

Au temps de Jésus, ces paroles pouvaient sembler bien lointaines. D’autant plus lointaines que le peuple était dispersé comme l’avait prédit le prophète Jérémie. Mais précisément, à cette heure, Jésus  a recours à une autre prophétie de Jérémie. Celle faite au lendemain de la faillite de la première alliance, après la destruction et l’incendie de Jérusalem. Celle qui dit que Dieu viendra établir une nouvelle alliance et promulguer une loi écrite, non plus sur des tables de pierre, mais dans le cœur de tous les hommes sans exceptions aucune.

En se référant à cette prophétie, Jésus nous explique que désormais, personne n’a plus pouvoir  d’enseigner à l’autre le chemin de Dieu. Dieu est au coeur de chacun. Désormais, la domination autoritaire de l’homme sur l’homme au nom de la religion est finie. Cela est  caduque. Dieu est intérieur à chacun.  En nous amenant à comprendre cela, Jésus nous indique que désormais personne ne pourra plus  plus intimider personne, en prétendant le soumettre à des lois, à des préceptes, à des citations des écritures, à des morales et à des commandements assenés au nom de Dieu. Cela est dépassé. Jésus nous invite à laisser  chacun respirer Dieu du fond de son  cœur, en toute liberté, sans aucune contrainte.

Jésus essaye de nous faire comprendre que nous n’avons plus à parler de  Dieu comme nous le faisons habituellement c’est à dire en disant n’importe quoi. C’est si facile de parler de Dieu. C’est si facile d’imaginer un Dieu que l’on fabrique en le tirant de notions toutes faites. C’est si facile de proposer aux gens des doctrines insignifiantes, de leur promettre un je-ne-sais-quoi ou de leur annoncer un monde autre.  Tout cela est facile. Par contre c’est autrement plus difficile que d’amener nos frères et soeurs en humanité à  reconnaître et à révéler Dieu au coeur même de leur vie. Pourtant, si nous y pensons bien c’est exactement cela que Jésus a toujours fait.

En Jésus  il y a la passion de l’homme jusqu’à la mort sur le bois de la croix. Il n’y a pas besoin d’autre chose pour attirer notre attention, pour nous convaincre, pas d’autre chose que ce poids d’humanité, que cette authenticité dans l’amour de l’homme, que cette reconnaissance dans l’homme du Règne de Dieu.

« Amen, je vous le dis : je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’à ce jour où je boirai un vin nouveau dans le royaume de Dieu. »

Jésus sait, en cet instant au cours de ce repas, ce qui l’attend. Il sait qu’il va entrer dans son agonie, Il sait que Judas l’a vendu, que Pierre va le renier, que Jean va s’endormir, que tous vont s’enfuir… Jésus sait tout cela, mais iI sait aussi que le Royaume de Dieu n’est nulle part ailleurs que dans l’homme, dans ces hommes-là, qui sont des hommes tels que nous sommes, des hommes médiocres qui ont du mal à comprendre, à entendre la Parole, des hommes qui n’hésitent pas à abandonner Jésus dans son agonie, dans sa solitude et dans son échec. C’est comme ça. Mais pour Jésus, quoiqu’il arrive le Royaume de Dieu  c’est l’homme. C’est l’homme ouvert, l’homme transparent, l’homme généreux, l’homme qui laisse passer à travers lui toute cette vie de Dieu dont toute conscience humaine porte à son insu le trésor. Et tant que l’homme n’a pas donné cette réponse, tant qu’il n’a pas offert cette transparence, tant qu’il n’est pas entré dans ce rapport de générosité, le Royaume de Dieu n’est qu’un mot loin d’être une réalité…

Et c’est justement pour appeler cette réalité, pour susciter dans le coeur de ses apôtres, dans le coeur de ses disciples, dans le coeur de chacun de nous   une correspondance et une collaboration, un consentement indispensable,  que Jésus nous a donné  le signe de la Cène comme suprême testament.

Ce signe c’est cet amour de l’homme donné à ses disciples qui doivent s’aider et s’aimer les uns les autres, sous peine de ne jamais atteindre, de ne jamais devenir ce Royaume de Dieu qui est inscrit au coeur de notre coeur.

Nous voulions un signe.. Et bien nous l’avons.

Voilà pourquoi il y a nécessité, chaque fois que nous nous approchons de cette table, pour partager le pain et le vin, ce soit comme la première fois. Chaque fois, nous nous devons  d’être  toujours émerveillés devant un si grand amour qui fait sa demeure en nous.

Ce pain et ce vin  ne sont jamais un droit : on ne les achète pas, ils n’ont pas de prix, même si nous calculons tout le temps, si nous pensons que l’on ne fait rien pour rien, même pour nous qui cherchons toujours ce qui nous convient et qui faisons de la vie elle-même un objet d’intérêt… Ce pain et ce vin sont inestimables.

Ce pain et ce vin, selon les paroles mêmes de Jésus, sont  son propre  corps. C’est un corps qui se donne en entier, sans aucune avarice, sans calcul, sans s’épargner.  c’est un corps qui nous apprend à aimer gratuitement : c’est le corps d’amour de Dieu. L’amour est toujours un don. La vie n’est que don.

« Prenez, ceci est mon corps »,  « Ceci est le sang de l’alliance, qui sera versé pour tous. »

C’est ça qui est extraordinaire car ce corps de Jésus nous renvoie à celui de tous nos frères et soeurs en humanité : celui des pauvres, des faibles, des malades, des exclus de l’existence. Souvenons nous ce que nous a dit Jésus :  « Ce que vous avez fait au plus diminué, au plus réduit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ». A travers cette Parole qui résume tout l’Evangile il nous faut aller à la rencontre de cette fragilité et la protéger contre nous-même. Il faut la protéger contre nous même car n’oublions jamais que c’est dans l’homme, c’est à dire dans chacun de nous,  que Dieu agonise. Dans sa vie propre Dieu ne peut rien perdre puisque éternellement il a tout donné. Là où il peut mourir encore, c’est en nous, c’est en chacun de nous.  Là où il peut être vaincu, c’est au-dedans de nous. Nous ne pouvons pas honorer le corps du Christ, dans le pain , dans le vin  à cette table  si nous méprisons ce même corps  dans les pauvres, les faibles, les malades, les exclus de l’histoire, les réduits du temps.

A la sainte Cène nous prenons en charge toute l’humanité  en rassemblant celle-ci autour de la table du Maître, qui ne fait aucune différence de classe, de condition, de race, d’âge, de culture, de sexe…  Voilà pourquoi, nous n’effectuons pas, en prenant ce pain et ce vin, un geste privé. Au contraire, c’est une action universelle.  Restreindre ce geste à nous-mêmes, ce serait le limiter,  ce serait même comme le renier.

Par contre, nous ne trouverons la croix qui sauve, nous ne trouverons la vie, nous n’accéderons à la liberté, nous ne rencontrerons le Dieu vivant, que dans la mesure où nous serons tous rassemblés autour de la même table, où nous constituerons un peuple de frères et de soeurs, où nous nouerons cette chaîne d’amour qui fait de toute l’humanité une seule personne, en Jésus.


Aimons donc le corps de Jésus dans le signe qu’il nous offre. Aimons le corps de Jésus dans les corps de  tous nos frères et soeurs plus particulièrement lorsqu’ils sont réduits et diminués par les affres de l’existence. La faiblesse d’autrui est toujours celle de Dieu.

Ce jour-là en préparant la Pâque comme Jésus le leur avait demandé, les disciples ne soupçonnaient pas que leur maître allait changer radicalement le sens de cette fête en l’ouvrant sur une autre dimension. Le pain et le vin partagés lors de la cène sont les signes de la nouvelle Alliance que Dieu réalise avec les humains, de manière universelle. Dans ce signe, il y a le partage avec les autres, il y a la joie, l’ouverture, la fraternité.

En participant à ce repas, ce signe, ce geste, ce témoignage nous sommes tous intégrés dans cette alliance, une alliance pour laquelle Dieu, lui qui est en chacun de nous,  ne nous demande aucune contrepartie, sinon celle de croire… qu’il n’y a pas, qu’il n’y a jamais de contrepartie.

« Prenez, ceci est mon corps »,  « Ceci est le sang de l’alliance, qui sera versé pour tous. »

Amen

Pasteur Jean-Paul NUNEZ

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