Chers frères et soeurs en Christ,
Jésus vient de passer sur l’autre rive. Autrement dit, il a creusé une distance. Il a ouvert un vide, suscitant un nouveau possible, autrement dit un nouvel appétit… Et, donc, nous le retrouvons dans la synagogue de Capharnaüm où il prononce justement le grand discours sur le pain de vie qui débute avec les quelques versets que nous venons d’entendre.
Alors que les gens lui demandent comment il est arrivé là, Jésus, lui, déclare : « Amen, amen, je vous le dis » . Et par cette formule il tient à ce que ses auditeurs, dont nous sommes, soient attentifs : « Attention, ce que j’ai à vous dire est grave et difficile à entendre, mais c’est pourtant incontournable »
Voilà bien le sens de « Amen, amen, je vous le dis »
Nous voilà donc prévenus ; effectivement, le discours sur le pain de vie est certainement l’une des choses les plus difficiles à comprendre ; la preuve en est que, par trois fois, les auditeurs, dont nous faisons également partis, vont interrompre Jésus par des objections… Et, ce qui fait la difficulté de ce discours, et, aussi sa splendeur, c’est qu’il articule tous les éléments de la révélation du mystère du Christ éternel… Révélation qui résonne depuis la longue méditation de Jean dans son prologue : Christ est le Verbe, la Parole et le Sens. Il est venu dans le monde, et, à ceux qui croient en lui il apporte la vie sans fin.
« Amen, Amen, je vous le dis »,
Tous ceux qui sont là ont, bien entendu, apprécié, dans l’épisode précédent, le partage du repas, de ce que communément et tout aussi faussement nous appelons la multiplication des pains qui vient d’avoir lieu… A ce propos, Jésus souhaite leur dire, il souhaite nous dire, répéter et insister sur le fait qu’encore une fois nous n’avons rien compris. Nous n’avons rien compris parce que, comme tous ceux qui sont là, nous en restons et nous nous attachons à une interprétation primaire, basique et bêtement littérale de la parole… D’où la précision de Jésus : « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous me cherchez, non parce que vous avez vu des miracles et des signes, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés ».
Effectivement cela est difficile à comprendre, d’autant plus pour nous qui, dans ce monde de consommation, nous trouvons tout dans l’immédiat d’une portée de main. A tel point qu’il n’y a plus de distance, il n’y a plus de désir, il n’y a plus que des objets à posséder… En conséquence, il n’y a plus d’appétit puisqu’il n’y a plus que des repus.
Les yeux à hauteur du ventre pour ne pas avoir besoin de penser…
Le ventre rassasié d’images médiatiques qui dispensent de réfléchir…
La faim de sécurité rassasiée d’assurances sur la vie, sur l’avenir, sur l’inattendu, la nouveauté, le changement…
Et, c’est bien en cela que nous en oublions l’essentiel et le fondamental, à savoir que notre vie avec ses hauteurs et ses profondeurs, ses lumières et ses obscurités, ses joies comme ses peines… nous en oublions que la vie est un don de Dieu. Et donc nous en oublions aussi que nous ne sommes que des intendants de cette possession divine. Et, qui sait, peut être qu’un jour, au cours du temps, il nous faudra nous expliquer sur comment nous avons gardé ou non ce don, comment nous avons entretenu cette vie terrestre… La vie, toute vie, est la propriété de Dieu, et nous nous devons de la bien garder, nous nous devons de l’entretenir…
D’ailleurs, et parce qu’il est d’une très grande actualité que de le dire, de même nous devons pour garder la vie en garder, autant que force peu, la santé. Non seulement nous devons en prendre soin et pour cette seule raison nous devons, cela va de soit, éviter les maladies… À cet égard, il ne fait aucun doute que la procédure médicale qui s’appelle « vaccination » et qui est proposée aujourd’hui, apparaît convaincante pour de nombreuses personnes qui la choisissent. Puisse Dieu faire que la conviction dans le résultat de cette procédure s’avère justifiée en pratique. D’autres, avec autant de raisons tout autant légitimes, parce qu’ils se sentent responsables de leur santé, pensent que le choix le meilleur est de s’abstenir de cette procédure pour le moment. Puisse Dieu faire que cette abstention s’avère sans conséquence. Qu’importe l’attitude et les nombreuses bonnes raisons des uns et des autres.
Mais si nous nous retrouverons, en ce jour, ici dans le temple de Dieu, alors, ce n’est pas uniquement pour nous soucier de notre santé ou du bien-être de nos existences. Nous nous retrouvons parce qu’il y a, pour nous disciples du Christ quelque chose de beaucoup plus important que toutes les contingences de l’existence comme le bien être, la santé, le vécu. Et cette chose plus importantes que toutes c’est le Christ lui-même. Chist qui se révèle être une valeur supérieure à la valeur de notre bien être quotidien, supérieure à la valeur de notre santé, et supérieure, comme l’ont montré la longue lignée des témoins et martyrs qui nous ont précédé, à la valeur de notre propre vie elle même…
Exactement ce que nous précise Jésus :
« Oeuvrez non pas pour être repus par une nourriture périssable mais pour cette nourriture qui vous insuffle la vie sans fin et que vous apporte le Père Très Haut … »
Autrement dit il nous est demandé de ne pas nous tromper de nourriture…
D’ailleurs, il ne nous viendrait pas à l’idée, a priori, en toute conscience et de façon délibérée, d’aller consommer des aliments génétiquement modifiés ou même contenant des nanoparticules métalliques qui permettent aujourd’hui, selon les brevets déposés, d’influencer jusqu’à notre système nerveux. Et ce que nous disons de l’alimentation reste valable de toutes les interventions qui nourrissent nos existences et qui posent la question de savoir si nous sommes sûr encore d’être des individus libres, autonomes et souverains. De savoir si le centre de contrôle de notre comportement dépend toujours de notre humanité où s’il a, sans que nous en soyons même conscient, déjà été déplacé ailleurs.
Or il y a un fait qui reste incontournable pour notre salut. C’est bien celui de rester humain, pleinement humain à l’image et à la ressemblance de Dieu. Réalisons que si un changement s’opère dans notre nature humaine, comme dans la nature humaine en général, alors le Christ éternel qui est venu sauver l’humain qui est, malgré tout, à l’image de Dieu… alors le Christ, constatera que des corps repus, rassasiés et gavés ne sont plus en capacité de distancer, de discerner, de penser et de comprendre les signes des temps…
Dire cela ce n’est en rien fictif ni dystopique…
Aujourd’hui, tous, du moins dans nos pays, nous avons en majorité accepté l’idée que nous sommes en train de vivre une sorte de changement, évidemment technologique, mais aussi mental, qui modifie presque tous nos gestes, sans doute aussi nos priorités et, en définitive, la vision même de ce qui constitue l’expérience et nos existences.
De fait, nous devrions nous rendre compte que, dans les usages les plus élémentaires de notre quotidien, nous adoptons des réflexes physiques et mentaux qu’il y a seulement quelques années ans nous aurions eu du mal à tolérer chez les nouvelles générations. Et, ce qui est interessant de réaliser c’est que personne ne nous a imposé ce modèle de vie qui ne nous appartient pas. A la rigueur, il nous a été proposé. Et, ainsi, c’est par cette torsion que nous avons acquis une posture mentale qui, il y a vingt ans, pouvait sembler grotesque, difforme et barbare, et qui est maintenant, à en croire les faits, notre façon de nous sentir à l’aise, vivants et même élégants dans le flux de la vie quotidienne.
Nous en sommes même à l’idée d’une humanité dites « augmentée » qui commence à faire son chemin et celle d’en faire partie est devenue plus séduisante que n’était effrayante, au début, la perspective d’y être déportés. Nous avons donc fini par nous abandonner à une mutation dont nous avions ouvertement nié l’existence pendant un certain temps. Et, désormais, nous consacrons notre intelligence à l’utiliser plutôt qu’à la boycotter.
« Merci d’avoir laissé entrer les monstres dans votre humanité » c’est par ces mots que s’est émue la réalisatrice Ducournau à l’occasion de la remise de la Palme d’or du dernier festival de Cannes. Elle a été fortement applaudi pour avoir exalté le film de genre qui occulte le fait que l’idéal transhumaniste et posthumain qui vient et qui est même déjà là va nous priver de notre rapport au monde, à l’humanité et à nous-même.
Alors, dans la suite à ce qui se passe au bord du lac de Tibériade, le Christ, peut constater que pour nous complaire dans les nourritures terrestres périssables, nous en avons abandonné l’image de Dieu. Image modifiée par l’homme déchu avec son esprit déchu, et ce jusque dans les profondeurs de notre nature humaine…
La question qui se pose reste alors de savoir s’il peut encore trouver, en nous la brebis à cause de laquelle Il a délaissé les quatre-vingt-dix neuf autres dans la montagne pour aller sauver l’unique brebis perdue, à savoir la condition humaine, et la prendre dans ses bras…
« Il vaut mieux être frappé de mille foudres, disait à ce propos Jean Chrysostome , que de voir le doux visage du Seigneur se détourner de notre défaut d’humanité, et son œil ne plus vouloir nous regarder »
Cette crainte devrait, en ces temps si particulier, pouvoir chasser toutes les autres craintes de nos cœurs de chrétien.
Et de construire la résistance à la destruction de notre humanité afin de garder vivante la mémoire de notre identité passée et présente, et d’attiser les feux du désir pour le vrai Dieu. N’oublions jamais que là où il y a mémoire, où il y a désir, il y a espérance.
Voila pourquoi, devant les nombreux saboteurs du royaume de Dieu, nous devrions prendre le temps de méditer l’émouvante conclusion de l’essai de Soljénitsyne, Vivre sans mentir.
Face à la tentation de céder à la peur du temps, Soljénitsyne disait :
« (..) cessons aussi de récriminer contre ceux qui ne nous laissent pas respirer librement : c’est nous-mêmes qui nous en empêchons ! Si nous nous contentons simplement de courber l’échine, attendons encore, et soyons sûr que nos frères biologistes ne tarderont pas à trouver le moyen de lire dans nos pensées et de modifier nos gènes. »
« Et, rajoutait-il, si nous cédons là aussi, nous prouverons que notre humanité s’avère irrécupérable, et c’est à nous que s’appliquera alors le mépris de Pouchkine :
Que sert à des troupeaux d’ être libres ?
Le lot qui leur échoit est d’ âge en âge :
Le joug, les grelots et le fouet… »
Nous sommes certainement comme ceux qui sont là dans la synagogue de Capharnaum et qui demandent :
« Que faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? »
Réalisons, une bonne fois pour toutes, que Dieu n’a pas ses œuvres à la façon dont les riches ont leurs pauvres, dont l’administration a ses fonctionnaires et les multinationales leurs succursales…
D’où la réponse de Jésus : « L’œuvre de Dieu c’est que vous croyiez… »
Effectivement, Dieu veut être cru et non pas démontré.
Croire est un a priori de bienveillance parce qu’il n’y a d’amour que cru.
Croire, c’est incontestablement le geste sur l’avenir qui vient. Et même c’est le seul geste qui pourra nous nourrir car comme l’exprime parfaitement Jésus : « Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim et celui qui croit en moi n’aura jamais soif. »
Amen
Pasteur Jean-Paul NUNEZ