Une première, oui, encore une , avec ce culte présenté par Karine Michel, la stagiaire de Jean-Paul Nunez,
accompagnée par les musiciens de la paroisse et invitée ensuite à un repas partagé.
Talentueuse et courageuse cette ” petite” !
Prédication Marc 13,33-37 Veillez !
Chers frères et sœurs, dans ce texte, Jésus s’adresse à ses disciples, et à nous. Il le dit au dernier verset : ce qu’à vous – les disciples – je dis, je le dis à tous. C’est donc à tout auditeur ou lecteur que ce texte s’adresse.
Et Jésus annonce ici à ses disciples – et donc à nous – une chose bouleversante : le Seigneur, notre Dieu, est un Dieu qui s’en va ! C’est ce que vivent les disciples lors de l’Ascension, ils sont laissés face à une absence, un vide, une disparition. C’est ce que nous vivons, face à un Dieu que nous n’avons jamais vu de nos yeux, et que nous ne verrons pas. Notre Dieu est un Dieu qui s’en va !
Et se faisant – autre chose bouleversante – il nous confie le monde.
Dans la parabole que nous venons d’entendre, le Christ est le maître de maison, et il est effectivement parti en nous laissant à nous, les serviteurs, la charge de la maison « monde ». Et comme le maître dans cette parabole, le Christ nous confie toute autorité sur cette maison : toute initiative, toute responsabilité, tout choix relève des serviteurs que nous sommes.
C’est à la fois exaltant et terriblement angoissant. Que nous, serviteurs, soyons responsables en lieu et place du maître, de toutes choses.
Et pourtant, nous n’avons rien à craindre, car si le maître s’absente, c’est bien parce qu’il a confiance en celles et ceux à qui il confie la maison. L’amour de Dieu pour nous le porte à avoir cette confiance absolue en nous et en notre possibilité de porter cette charge.
Mais dans cette parabole, nous ne sommes pas n’importe lequel des serviteurs, nous sommes le portier. C’est à nous que s’adresse l’exhortation : Veillez ! Et nous sommes donc placés face à un choix : être parmi les veilleurs ou les dormeurs ?
Comment allons-nous vivre la gestion de la maison, en attendant le retour du maître ? Choisissons-nous de travailler à la bonne marche de la maison, à la sérénité et au confort de tous ou choisissons-nous de profiter de l’absence du maître pour nous la couler douce ? Choisissons-nous l’engagement ou la passivité ?
Bien souvent, nous nous laissons gagner par le sommeil, et nous préférons vivre parmi les dormeurs. Quand le chat n’est pas là, les souris dansent, dit le proverbe. Alors sommes-nous des souris qui dansent, c’est-à-dire des serviteurs qui dorment, voire font la grasse matinée, ou des serviteurs qui s’engagent et prennent à bras le corps la charge qui leur a été confiée, qui endossent la responsabilité qui leur incombe maintenant ?
Or, quelle est la charge que nous laisse le maître, en nous confiant la maison, si ce n’est d’annoncer l’Évangile ? Entendons-nous bien, cette charge ne nous demande pas d’aller dans les rues crier à la face du monde des dogmes – le prosélytisme n’est pas ni autorisé ni souhaité – mais plutôt de faire de la place à la Bonne Nouvelle dans nos vies, et d’en témoigner dans nos actes et nos paroles, au quotidien. Et cela n’est pas si simple qu’il y semblerait, car nous avons peut-être tendance à nous endormir. Certes, cette Bonne Nouvelle, nous en parlons et la vivons entre nous le dimanche au culte, mais au dehors, ne sommes-nous pas parfois un peu plus indifférents ? Ne cloisonnons-nous pas souvent notre vie entre vie d’Église et vie sociale, en oubliant que l’Évangile est une constante et intarissable source qui ne cesse d’abonder, dans tout ce que nous faisons, pour peu qu’on la laisse irriguer chacune de nos activités, chacun de nos propos ? Finalement, notre fréquente indifférence fait que nous vivons la Bonne Nouvelle comme une fausse Bonne Nouvelle, pour laquelle on ne mouille que le bout d’un orteil, comme on le ferait avec une eau trop froide. Pourtant, nous savons que la Bonne Nouvelle n’est ni froide, ni même tiède. Elle est la chaleur d’un amour, brûlant, qui nous transforme de l’intérieur et nous pousse à briller dans le monde.
Le texte de ce matin n’est cependant pas un texte moralisant – comme ne l’est aucun texte de la Bible d’ailleurs. Ce n’est pas un texte qui viendrait nous dire que nous devons veiller constamment, sans repos, et nous dire que ce sont nos actions qui nous rendront prêts au retour du maître. Non, ce texte ne nous dit pas « attention, sois sage, sois poli, mange tes légumes et dis bonjour à la dame ». Ou plus sérieusement, ce texte ne nous dit pas que c’est parce que nous nourriront l’affamé, ou que nous donnerons à boire à l’assoiffé, que nous serons aimés et sauvés.
La foi chrétienne n’est pas une morale. Elle est, pour reprendre les mots de la lettre aux Hébreux, une ferme assurance des choses qu’on espère, une démonstration de celles qu’on ne voit pas. La foi, c’est en fait une mise en tension entre deux mondes : ce monde ci – le présent, avec tout ce qu’on ne voit pas – et les choses espérées – le futur.
La foi rend tout croyant participant d’une espérance, celle d’un monde à venir, quand le maître reviendra. Mais elle le rend aussi présent aux choses de ce monde ci, et attentif au fait que certaines d’entre elles ne sont pas visibles. La foi est l’expérience du divin sur terre, la vision de la transcendance dans le monde.
Autrement dit, le monde à venir, ce qu’on attend, ce qu’on espère, est en fait déjà présent. C’est ça qui fait de nous des veilleurs, la foi en un Dieu qui s’en va et que l’on attend, mais qui est également déjà là, présent, à chaque instant.
Ce qui s’affronte dans notre conception humaine de Dieu et de la vie chrétienne, ce sont deux logiques. L’une procède de la loi et l’autre de la foi. Soit notre vie avec Dieu s’origine « depuis œuvre de loi », c’est-à-dire dans le fait de croire que ce sont nos œuvres qui comptent. L’autre procède « depuis écoute de foi », c’est-à-dire écoute d’une parole, dans la confiance. Tout ça, c’est finalement de savoir si c’est parce que l’on a été gentil avec la dame qu’on a reçu l’Esprit ou si c’est Dieu qui a fait un big-bang dans notre vie.
Et ces deux logiques sont incompatibles, la première exclut la seconde. Si l’on pense que c’est parce que l’on fait bien les choses qu’on est veilleur et qu’on sera prêt pour le retour du maître, on n’est plus dans la foi.
La foi, c’est croire que Dieu est à l’œuvre dans nos vies, gratuitement, par amour. C’est ça, le fondement de notre espérance. Et c’est ça qui nous donne persévérance et endurance dans l’attente. C’est ça qui nous permet de veiller. Parce que c’est ça la charge que nous laisse le maître : annoncer et témoigner de cette foi.
Le reste, les œuvres, les bonnes actions ne sont qu’une réponse à l’amour de Dieu, déjà acquis, déjà présent.
Veiller, ce n’est pas faire mais être. Être dans la confiance – en grec confiance et foi sont un seul et même mot. Et en étant, nous annonçons, nous témoignons. Sans rien faire de plus qu’être. Voilà comment nous pouvons être veilleurs, comment nous pouvons porter la charge de la maison « monde » qui nous est confiée. En vivant de cette confiance, qui n’est autre que la foi.
Veiller, étymologiquement c’est chasser le sommeil, c’est être éveillé.
Ce que Jésus nous demande ici n’est bien sûr pas de devenir insomniaque…mais d’être disponible à ce qui advient – c’est le sens du mot Avent – et d’être éveillé à sa présence dans nos vies et dans le monde.
Et nous pouvons l’être sans crainte, puisque nous avons confiance.
C’est dans la confiance que l’attente à laquelle nous sommes invités se vit alors, face aux actualités de notre monde. Un monde désespérant et angoissant, où la violence et les conflits semblent être bien plus présents que l’amour et la paix dont parlent nos textes bibliques. À cette angoisse du monde, nous pouvons – nous portiers invités à veiller – apporter une réponse, la paix et l’amour de Jésus, Christ, qui s’incarne et nous rejoint dans notre humanité, dans cette désespérance et cette angoisse qui rongent le monde.
Notre attente est plus large que celle que nous vivons dans l’Avent, celle de Noël, qui est simplement un moment de fête, arbitrairement posé dans notre calendrier pour que puissions avoir un temps précis pour nous rappeler de nous réjouir. Notre attente, c’est celle d’un événement hors-norme : la venue de notre Dieu parmi nous, comme un humain, vivant avec nous tout ce que notre condition humaine nous fait traverser de plus beau mais aussi de plus douloureux. Quelle plus belle preuve d’amour que celle d’un Dieu qui s’abaisse pour nous rejoindre dans notre humanité ? C’est un Dieu qui nous dit : « vous êtes fragiles, imparfaits, et moi, je vous rejoins dans cette fragilité, dans cette imperfection, parce que je vous aime et que c’est ce qui vous rend beaux à mes yeux ».
Du coup, notre attente n’est alors pas une attente angoissée – quand va revenir le maître ? Est-ce que je serais prêt ? – mais elle est une attente joyeuse, parce que nous savons qu’elle est attente du retour du Christ, pourtant toujours là, et d’un royaume dont nous savons qu’il est à la fois déjà là et pas encore. Étonnante contradiction de notre foi, inouï parce qu’échappant à notre entendement.
Car, à l’époque de rédaction des évangiles, leurs auteurs pensaient que Jésus reviendrait dans leur génération. Les premières communautés chrétiennes vivaient cette attente du retour du Christ dans une temporalité courte, à hauteur humaine…mais l’Histoire nous dit qu’il n’est pas revenu ! Pas comme ils l’imaginaient.
De la même manière, il ne reviendra pas comme certains l’imaginent aujourd’hui. Comme les églises primitives ont cultivé la peur du retour du Christ en juge impitoyable, aujourd’hui encore, certains prêchent un retour du Christ qui viendra trier le bon grain de l’ivraie, les justes des méchants, les croyants des incroyants. Et nous voilà de nouveau avec une lecture moralisante de l’Évangile.
Alors qu’en fait, ce texte ne s’adresse pas à la peur mais au désir. Désir de vivre de sa foi, de répondre à l’amour de Dieu par l’amour que nous portons aux autres. Voilà pourquoi l’attente n’est pas un faire, une recherche des bonnes actions. Si action il y a, ce n’est qu’en réponse au geste premier de Dieu vers nous.
Notre attente est un désir, et elle se vit dans une autre temporalité que la nôtre. Elle se vit dans la temporalité de Dieu. Un temps que nous ne connaissons pas. Vous ne savez pas quand EST le moment. C’est bien un verbe au présent qui se trouve dans le texte grec ! Et ça veut dire que le moment est à la fois maintenant, mais aussi hier, demain et à la fin de tout. Le moment est, dans un présent perpétuel.
C’est ce que représente aussi l’Avent et Noël, l’espérance de celui qui vient toujours à nouveau…
Au fond, la foi n’est-elle pas cela : ne pas connaître le moment et découvrir chaque nouveau jour avec confiance ? Vivre chaque nouveau jour comme étant LE moment ?
Ce à quoi nous sommes appelés dans ce texte – comme dans toute la Bible – c’est à vivre sans chercher à connaître le jour et l’heure, mais à vivre pleinement, en témoignant du Royaume de Dieu, un royaume qui adviendra à la fin des temps mais qui est déjà présent, à chaque instant, dans le monde. Vivre en étant disponible à l’imprévu, aux visions nouvelles, aux libérations qui surgissent dans nos vies, à chacun et chacune.
En ce premier dimanche de l’Avent, nous entrons dans un temps d’attente joyeuse et confiante, l’attente de Celui qui nous attend toujours le premier.
De Celui qui va revenir mais qui est déjà là, comme il nous l’a promis !
Que nous soyons capables de le reconnaître ou non :
Là où les croyants se rassemblent pour prier, là où le pardon mutuel permet de cultiver et faire grandir l’esprit de la communauté, le Christ est déjà là, selon sa parole : Là où deux ou trois sont réunis en son nom, Il est au milieu d’eux.
Là où dans la solitude, quand on se retire dans le lieu secret de son cœur pour méditer et prier, le Christ est déjà là, selon sa promesse : Si quelqu’un l’aime, il viendra à lui et il établira chez lui sa demeure.
Là où le croyant s’ouvre à autrui pour témoigner de ce qui le fait vivre en profondeur, le Christ est déjà là, selon son exhortation : Il est avec nous jusqu’à la fin du monde.
VEILLER… C’est donc attendre l’imprévisible et discerner la présence du Christ à nos côtés, chaque jour de nos vies. Car, oui, le Seigneur est un Dieu qui s’en va et qui nous laisse dans l’attente de son retour. Mais il est aussi un Dieu toujours présent.
VEILLEZ… cette exhortation de Jésus nous mobilise, nous relève, nous invite à préparer ses chemins, annoncer son Évangile et apporter sa paix au monde. Il est là. Quelque chose de nouveau se prépare.
C’est une Bonne Nouvelle !
VEILLER, c’est ÊTRE cette bonne nouvelle, VIVRE cette bonne nouvelle.
Amen.