Malgré les dispositions de l’article 5 de la Charte constitutionnelle accordée le 4 juin 1814 lors de la Première Restauration et en vertu desquelles « chacun professe sa religion avec une égale liberté et obtient pour son culte la même protection », le second retour de Louis XVIII après les Cent Jours fut suivi dans le département de l’Hérault d’un certain nombre d’incidents qui, sans avoir été sanglants comme à Nîmes, furent cependant assez violents dans quelques localités situées à l’Ouest de Montpellier, notamment à Pignan, Montagnac(l) et Villeveyrac (2).

L’aspect de cette « Terreur Blanche » est fort complexe : à la fois politique et sociale, elle donna lieu à des manifestations nettement confessionnelles. Nous trouvons en effet, dans la presque totalité des cas, deux fractions de la population qui s’affrontent : d’une part, une minorité protestante composée de notables, détenteurs d’une grande partie des terres et des moyens de production, politiquement fidèle à l’Empire malgré ses professions officielles de loyalisme envers les Bourbons, et dont l’influence dans la cité était prédominante malgré son infériorité numérique ; en face, la grande masse des travailleurs à gages, des artisans, des petits fermiers, de condition plus que modeste, catholiques et royalistes, qui voyaient le moment venu de prendre une revanche sur la classe dirigeante, de confession opposée, qui s’était montrée autoritaire pendant les Cent Jours.

En 1675, un autre arrêt du même Conseil adjugea le temple à la communauté « pour servir de maison commune à la dite communauté, en payant par elle à l’hospital des pauvres du dit lieu la légitime valeur du sol du dit temple et les matériaux d’iceluy eu egard à la valeur d’iceux » (7).

Après la révocation de l’Edit de Nantes (1685), et malgré l’« abjuration générale », beaucoup de protestants restèrent intérieurement fidèles à leur ancienne foi. Aussi, après la réorganisation officieuse des Eglises réformées qui commença en Bas-Languedoc à partir de 1715, celle de Villeveyrac fut reconstituée et certains de ses membres prirent part aux assemblées clandestines qui se tinrent dans la région et, à partir de 1768, on recommença à inscrire dans un registre les baptêmes, mariages et sépultures.

Lors de l’organisation du culte réformé en’application des Articles organiques du 18 germinal an X (8 avril 1802), Sète et Villeveyrac formèrent une section de l’Eglise consistoriale de Montagnac. La commune de Villeveyrac comprenait environ 1400 habitants, dont 227 protestants d’après les chiffres officiels et 406 d’après un état fourni par le Consistoire central de Montpellier (8).

En février 1806, les membres de la section de Sète et Villeveyrac demandèrent à être rattachés à l’Eglise consistoriale de Montpellier, ce qui leur fut accordé par un décret en date du 4 avril de la même année (9) et, par un autre décret du 11 décembre 1808, ils obtinrent l’autorisation « d’acheter à leurs frais une maison ayant servi de temple à leurs ancêtres avant la révocation de l’Edit de Nantes » et qui se trouvait « dans un état de masure » (10).

* *

Après les Cent Jours et le second retour de Louis XVIII, des incidents politico-religieux se produisirent ; dans les derniers jours de juillet 1815, des royalistes dévastèrent le temple et les cultes furent interrompus.

Un certain calme étant revenu, le pasteur de Sète, David Cazelles, chargé de la desserte, écrivit le 6 novembre 1816 au préfet pour l’aviser de son intention de célébrer à nouveau le culte dans le temple de Villeveyrac le dimanche suivant (10 novembre) ; il avertit aussi le maire mais celui-ci lui répondit que le culte était susceptible de troubler la tranquillité publique. Le pasteur se rendit néanmoins au temple mais à peine avait-il commencé la prière qu’il vit arriver le maire accompagné de gardes nationaux en armes ; le premier magistrat de la commune invita le ministre à se retirer sous prétexte qu’il commençait à y avoir des remous dans le village. Cazelles descendit de chaire après avoir exhorté les fidèles au calme et, étant sorti du local, il constata qu’il n’y avait au dehors aucune agitation.

Il mit aussitôt au courant le consistoire de Montpellier ; ce corps ecclésiastique, après avoir entendu son rapport et pris connaissance des termes de la lettre que Cazelles se proposait d’envoyer au préfet, décida que ce pasteur irait présenter ladite lettre à ce haut fonctionnaire et désigna plusieurs de ses membres pour l’accompagner dans cette démarche (11).

Dans sa réponse en date du 14 novembre, le préfet invita le pasteur Cazelles à prévenir à l’avenir le maire du moment où il désirait faire ses exercices religieux et « à se concerter avec lui sur tout ce qui sera jugé convenable pour que l’ordre ne soit troublé ni d’une part ni de l’autre ». Le même jour, il écrivit au maire pour lui rappeler « les paroles sacrées du Roi » et lui faire observer que l’intention de Sa Majesté était « que toutes les religions soient protégées et que chacun se livre librement à l’exercice de son culte » (12).

Le dimanche 24 novembre, le pasteur se rendit à Villeveyrac « non pour y prêcher, mais pour des fonctions particulières ». Le maire ayant été retenu à la campagne où il habitait en raison du mauvais temps, il ne put le voir. « Des vociférations et des menaces contre les protestants, se faisoient entendre dans un cabaret voisin du temple et sur la place vers dix heures du matin » (13).

Trois semaines plus tard, nouvelle tentative de Cazelles pour célébrer le culte mais cette fois il y eut des incidents plus graves dont le récit figure dans une lettre adressée au préfet et dont nous avons déjà publié le texte in extenso par ailleurs (14). Voici le résumé des faits tels qu’ils y sont relatés.

Le 15 décembre 1816, le pasteur et un certain nombre de ses paroissiens, au moment où ils se rendaient au temple, entendirent « des vociférations et des menaces atroces (qui) se faisoient entendre d’un cabaret voisin… ; (elles) étoient mêlées avec le cri

de vive le Roi ». Seules six personnes entrèrent dans l’édifice car « les autres avoient été effrayés par les cris forcenés qu’on poussoit contre nous ». Le service consista seulement en prières ; il n’y eut aucun sermon. Pendant ce temps, les cris redoublèrent et, à la sortie, « les gens qui étoient dans le cabaret, parcoururent le village, en dansant au son du tambour, et en proférant contre les protestants et en particulier contre le pasteur des menaces terribles : A bas les brigands… à bas les huguenots ; il faut que le temple soit détruit… Nous le tenons (le pasteur) nous voulons le tuer… Sur ces entrefaites, M. le maire sortit (de la maison commune), leur enleva les baguettes du tambour, mais ils n’en continuèrent pas moins leurs danses et leurs vociférations. M. le maire ne prit aucune disposition pour nous protéger… La garde nationale n’étoit point en armes : Bien plus ceux qui nous insul-toient, étoient en partie de ce corps… en rentrant chez moi, je fus menacé de la main par un nommé J… sergent de la garde nationale. Des cris, les vociférations et les menaces continuèrent toute la journée, et bien avant dans la nuit ; deux protestants furent malmenés, et tous les autres étoient dans les plus grandes alarmes ».

Après ces scènes violentes, les réformés n’essayèrent plus de célébrer leurs offices dominicaux.

En février 1817, le consistoire local de Sète envoya au consistoire central de Montpellier une lettre l’avisant qu’étant « instruit par des informations non équivoques que son pasteur ne pourroit se rendre à Villeveyrac sans courir risque de recevoir quelque sanglant outrage et peut-être de perdre la vie, a pris délibération par laquelle il s’oppose formellement à toute nouvelle visite de son pasteur dans cette annexe, jusqu’à ce que l’ordre et la tranquillité y soient parfaitementrétablis » (15).

Le consistoire central, assemblé le 25 du même mois, décida qu’une copie en serait envoyée au préfet, accompagnée d’une lettre dont il arrêta le texte et qu’il chargea son président de lui adresser en son nom. En voici quelques passages, aux termes particulièrement énergiques :

« …le Consistoire a vu à regret que tant que la conduite des autorités constituées de Villeveyrac serait en contradiction avec la charte, et avec ce qu’exige le repos public, il n’y aurait aucune garantie pour le culte protestant. Vous avez eu la bonté… de chercher à nous rassurer. Vous nous avez même annoncé que vous aviez donné des ordres pour maintenir la tranquillité dans cette commune, aux jours indiqués pour notre culte… ce n’est point une tranquillité momentanée, à jours fixes, et des mesures partielles, qui peuvent opérer notre sécurité. Il est au contraire à désirer que toutes les fois que le ministère de M. Cazelle l’appellera à Villeveirac, il y trouve la sécurité et la protection que les loix lui assurent… » (16).

La situation était donc extrêmement tendue…

De son côté, le maire Oudral écrivait le 25 mai au préfet pour se plaindre du comportement anti-catholique des protestants (17) et, le 15 décembre suivant, le préfet signalait au Ministre de l’Intérieur que dans cette commune, il y avait encore des « sentiments de haine et de fureur » (18). Cependant les cultes purent reprendre peu après sans incidents mais il fallut longtemps pour que toutes velléités d’intolérance disparussent complètement.

NOTES

1.    — En ce qui concerne cette localité, nous nous permettons de renvoyer à notre communication sur

« La Terreur Blanche et ses suites à Montagnac… », in « Pézenas Ville et campagne, Xllle-XXe siècles ». Actes du XLVIIIe Congrès de la Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, tenu à Pézenas les 10 et 11 mai 1975. Montpellier, Université Paul Valéry, 1976, in-8°, pp. 339-348.

2.    — Souvent aussi appelée, dans les documents anciens, Vallemagne, du nom de cette abbaye qui donna

certainement naissance au village (Eugène Thomas, Dictionnaire totographique du département de l’Hérault, Paris, Imprimerie impériale, T865. ln-4°, p. 228).

3.    — Circonscription civile correspondant à la commune actuelle.

4.    — Cité par P.-L. Cazalis de Fondouce, in Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme fran

çais, t. XLI, (1892), pp. 54-56.

5.    – id., ibid. t. IX (1860), p. 370.

6.    — Arch. Egl. réf. Montpellier.

7.    — Arch. dép. Hérault, Ç 2951.

8.    — Arch. Egl. réf. Montpellier, Délibérations du Consistoire local, Reg. 3, f° 19 v°.

9.    — id., 1er reg. du Consistoire central, p. 21, 22, 23.

10.    – id., ibid., p. 49-50, 52-53.

11.    — Voir Annexe I, p. 36-37.

12.    — Arch. Egl. réf. Montpellier, 1er reg. Consistoire central, p. 114-115.

13. -Id, ibid. p. 115.

14.    — Annales du C.R.D.P. de Montpellier, 3e recueil, pièce 37.

15.    — Arch. Egl. réf. Montpellier, 1er reg. Consistoire central, p. 113.

16.    -Id., ibid., p. 118-119.

17.    — Arch. dép. Hérault, 39 M 80. Voir Annexe 11, p. 37.

18.    — Arch, nat., F^ 9 10.665, dossier Montagnac.

ANNEXE I

Extrait du procès-verbal de la séance du Consistoire local de l’Eglise réformée de Montpellier du 12 novembre 1816

L’an mille huit cens seize et le douzième jour du moi de 9bre, Le consistoire de l’Eglise réformée de Montpellier assemblé à l’heure et dans le local ordinaires…

Monsieur Cazelles pasteur de l’Eglise de Cète et de Villeveirac fait part au consistoire de ce qui lui est arrivé dimanche dernier dans son annexe de Villeveirac ; détail contenu dans une lettre qu’il se propose d’adresser à Monsieur le préfet et dont la teneur suit :

Monsieur le Préfet

D’après la lettre que j’ai eu l’honneur de vous écrire le six du courant, je me suis rendu dimanche dernier dix du présent mois dans la commune de Villeveirac, pour y exercer le culte interrompu depuis dix-huit mois : Mais avant de rien faire, je crus convenable d’en prévenir M. le maire, qui habitant la campagne, ne vint à Villeveirac que ce même dimanche à dix heures du matin.

Après lui avoir fait part de mes intentions, il me répondit « Monsieur, je ne prends aucune responsabilité sur moi. Venez avec une lettre du Préfet, et je vous donne ma parole d’honneur qu’ayant alors plus de pouvoir, je ferai tout mon possible pour maintenir la

tranquillité. Ne venez pas troubler celle dont nous jouissons. Au reste, M. je ne vous con-nois point, où sont vos titres ? D’ailleurs, vous n’êtes ici qu’une poignée de protestants, faut-il une église pour si peu de monde ? Enfin, vous êtes bon et sage, agissez dans cette affaire comme vous jugerez bon.

Je répondis à Monsieur le maire que ce qu’il me disoit. étoit bien opposé aux promesses de protection qu’il m’avoit précédemment faites. Que je n’avois point discontinué de prêcher la paix et l’union, et que ma conduite passée étoit une garantie suffisante pour l’avenir : Qu’il me sembloit que sa qualité de magistrat lui faisoit un devoir d’empêcher que la tranquillité publique fût troublée : Que s’il ne me connaissoit point, j’ap-pelerois les membres du consistoire particulier de Villeveirac pour lui certifier ce qu’il disoit ignorer.

Après celà je me rendis au temple pour faire seulement une prière et donner la bénédiction à mon troupeau ; mais j’avois à peine commencé la prière, que M. le maire se présenta accompagné de quelques gardes nationaux armés et que s’adressant à moi, il me dit « Monsieur le pasteur, au nom de la loi, je vous invite à vous retirer parce qu’il commence à y avoir de la rumeur dans le village ».

J’obéis à l’instant à M. le maire, en descendant de chaire, j’exhortai mon troupeau à la patience, à la tranquillité et à la résignation. Je sortis le premier, et je ne trouvai dans la rue que deux femmes que je saluai et qui me rendirent mon salut. Tout le monde étoit alors à la grand messe.

Voilà M. le préfet, l’exposé fidèle de ce qui s’est passé dimanche dernier à Villeveirac.

Agréez, Monsieur le Préfet, l’assurance de mon profond respect…

Le consistoire ayant entendu le rapport fait par M. Cazelles et la lettre ci-dessus, arrête que la ditte lettre seroit présentée à Monsieur le préfet par le dit pasteur Cazelles accompagné d’une députation composée de M. Michel président, M. Lissignol pasteur, M. Marc Antoine Bazille, Ancien ; et M. Aubrespi, diacre…

(Arch. Egl. réf. de Montpellier, Reg. du Consistoire local n° 3, p. 117-118).

ANNEXE II

Extrait de la lettre du Maire de Villeveyrac au Préfet de l’Hérault du 25 mai 1817.

Villeveyrac, 25 mai 1817 Le Maire de Villeveyrac à M. le préfet de l’Hérault

Je viens vous faire parvenir un extrait d’une plainte ou procès-verbal que j’ai dressé contre plusieurs individus qui se sont permis de jouer pendant les offices divins… Ce n’est jamais que M. les protestants qui commettent des pareilles actions ; Je vous ai eu donné dans le temps connaissance de pareilles contraventions et toujours de la part des protestants, il semble qu’ils ne choigissent que le temps des offices pour se livrer aux jeux et autres divertissements défendus pendant ce temps là.

(Signé) Houdral maire Arch. dép. Hérault, 39M80).

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

I. — Sources manuscrites

A.    — Archives nationales

TT275 B, dossier 12 (olim TT 288^). Exercice de la R.P.R. 1561-1684.

10.665. Cultes. Dossier Montagrrac.

B.    — Archives départementales de l’Hérault.

C 2951. Aveux et dénombrements et lettres d’amortissement des biens patrimoniaux appartenant aux communautés de la province, 1687-1691.

39 M 80. Police politique.

C.    — Archives de l’Eglise réformée de Montpellier (Temple de la rue Maguelone).

Arrest du Conseil d’Estat, portant Règlement pour les officiers politiques de plusieurs villes de la Religion prétendue réformée de Languedoc, 5 Octobre 1663. Impr. 1er Registre du Consistoire central de Montpellier. 1803-1836.

Registre n° 3 du Consistoire local de Montpellier. 1812-1819.

II. — Ouvrages imprimés.

Annales du Centre régional de recherche et de documentation pédagogique de Montpellier, 3e recueil : Restauration et Monarchie de Juillet en Languedoc-Roussillon (1815-1848), Montpellier, C.R.D.P., 1972.

Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme français, Tomes IX (1860), XLI (1892), LXII (1913) et LXXV (1926).

Année de parution : 1973