Prédication 7 juin 2020 : 1 Cor 10.14-17

1 Cor 10.14-17 : C’est pourquoi, mes bien-aimés, fuyez l’idolâtrie. Je vous parle comme à des personnes intelligentes; jugez vous-mêmes de ce que je dis. La coupe de bénédiction que nous bénissons n’est-elle pas la communion au sang de Christ ? Le pain que nous rompons n’est-il pas la communion au corps de Christ? Puisqu’il y a un seul pain, nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps, car nous participons tous à un même pain.

 

La video qui suit est un document sonore essentiellement. Vous pouvez donc écouter la prédication et la lire en même temps si vous le souhaitez. A la fin se trouve un lien pour ouvrir et télécharger en PDF.

Chers frères et sœurs en Christ,

A travers les quelques mots de Paul que nous venons d’entendre nous sommes interpellés sur le sens même du repas de la liturgie chrétienne, nous sommes sollicités sur le sens même du partage du pain et du vin. 

Et, Paul nous interpelle sur ce sens parce que pour les chrétiens de Corinthe, comme pour nous tous, nous nous méprisons en cédant à la tentation si naturelle de mettre le sacré en dehors de nous mêmes, en cédant à la tentation de rebâtir un temple factuel, de reconstruire un tabernacle imaginaire dans le seul but d’y enfermer le Christ lui-même c’est à dire Dieu; et de l’enfermer comme un simple objet pour nous en retourner à nos affaires quotidiennes. A ce propos, jadis, l’abbé Pierre vilipendait vertement ses frères et sœurs catholiques pour qui la « présence » du Christ était « réelle » dans l’hostie eucharistique mais qui trouvait cette présence seulement « symbolique » dans tous les diminués et les exclus de l’existence auquel Jésus n’a pourtant pas cesser de s’identifier en les côtoyant…  Tous, autant que nous sommes, nous avons succombé à cette tentation et ainsi nous n’avons pas vu que nous tournions le dos à l’Evangile.

« Mes bien-aimés, fuyez l’idolâtrie » nous exhorte Paul.Si Paul nous invite à fuir l’idolâtrie avant même den nous poser la question du sens du pain et du vin c’est bien que nous idolâtrons ce moment qu’est le partage du pain et du vin, la sainte cène, le moment eucharistique ou quelque soit le nom que nous lui donnons.

La communion au sang et au corps du Christ c’est « la vive flamme d’amour où se rencontrent le coeur du Christ et le coeur des bien-aimés de Dieu » a pu dire Ignace d’Antioche.

Le mot communion en grec, évoque un lien d’intimité, d’appartenance, une solidarité profonde.   Souvenons nous comment le Christ l’a dit en d’autres termes en employant le mot « alliance » : « Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang versé pour vous ». L’alliance au sens biblique, c’est bien une appartenance réciproque, un engagement mutuel. C’est un pacte dont la grande formule était : « Vous êtes mon peuple et je suis votre Dieu. »

Pour nous faire comprendre le sens de ce pacte Paul ose dire que nous faisons partie du même corps que le Christ « Le pain que nous rompons nous dit Paul est communion au corps du Christ. » Ce qui signifie que si nous faisons réellement un seul corps avec lui, il nous rend capables de mener désormais la même vie que lui. Quand Saint Augustin dit à ceux qui communient « Devenez ce que vous recevez, recevez ce que vous êtes », il dit bien que nous devenons corps et sang de Jésus-Christ, c’est-à-dire à notre tour, vies offertes pour la naissance d’une humanité nouvelle. Car effectivement, quand nous participons au partage du pain et du vin, nous ne sommes pas seuls concernés : Jésus a bien dit qu’il donnait sa vie pour la multitude, et quand il se donne en nourriture, c’est bien en vue de la multitude.Et c’est bien à la multitude que nous sommes envoyés. La communion a cette ampleur universelle. Elle atteint le monde entier. Si ce n’est le cas, alors elle n’est qu’une pure magie qui fait de Jésus une simple idole.

Comprenons bien cela : la communion n’est pas une espèce de rite magique qui précipite Jésus sur la terre, mais, par cette chaîne d’amour qui se constitue autour de Jésus nous avons là toute l’humanité qui devient présente au Christ de toute éternité.Voilà pourquoi ce moment de Sainte Cène n’est en rien une dévotion personnelle qui nourrit l’ego.Chaque fois que nous nous approchons de la table sur laquelle se trouve le pain et le vin de la communion, il ne peut y avoir un quelconque calcul ou une hypothétique assurance pour soi-même. Nous n’y venons jamais pour nous-mêmes, mais pour y faire un don permanent aux autres,pour y faire un don permanent à toute l’humanité. Et c’est pourquoi il ne faut pas cesser de communier, même si on est dans l’aridité la plus absolue, parce qu’on communie d’abord et avant tout pour les autres.« Le pain vivant donné pour la vie du monde », selon les propres termes de Jésus est un acte communautaire qui nous oblige à reconnaître l’autre et tous les autres, avec leurs différences et leur histoire,et de nous mettre à leur service…A la sainte Cène nous prenons en charge toute l’humanité en rassemblant celle-ci autour de la table du Seigneur, qui ne fait aucune différence de classe, de condition, de race, d’âge, de culture, de sexe… qui veut être en chacun une source qui jaillit en vie éternelle.

Nous voulions un signe, nous en réclamions un.. Et bien nous l’avons.

Prenons conscience de l’extraordinaire association morale qui a levé, subitement, dans le sillon ensemencé par Jésus. Cette communauté sociale, dans laquelle nous tous ici nous inscrivons, depuis plus de 20 siècles, reste le grand miracle de l’histoire. Réalisons que le spectacle qu’offre la célébration de la Sainte Cène est sans pareil. Aucune autre institution, comme aimait le rappeler sans cesse le pasteur Wilfred Monod, n’est en capacité de réunir le grand patron et le simple employé, le professeur de médecine et le réprouvé de l’existence, le fortuné et l’exclu autour de la même table. Aucun rêveur, aucun réformateur , aucun anarchiste n’a jamais proposé d’inviter le magistrat et le délinquant au même repas, pour les faire boire dans la même coupe.Et pourtant, la Sainte Cène opère ce miracle ; l’homme de peine porte le calice à ses lèvres et le passe à l’universitaire de renom, qui boit après lui… Réalisons que nous sommes là dans un bouleversement de l’ordre social, un ferment de réforme sans limite, une image de l’humanité future, le germe de la « nouvelle terre où la justice habitera. »Identifions enfin que chaque fois que nous partageons ce petit morceau de pain et cette petite gorgée de vin, ils nous font grandir, ils nous font vivre comme des sages et non plus comme des bouleversés de notre temps pour reprendre les mots de Paul.

Que de labeur et de douleur pour obtenir, seulement le contenu de cette coupe. Le vigneron nous le dira. Quelle épopée pour obtenir ce morceau de pain L’agriculteur nous le racontera… Des mois d’efforts et de collaboration obstinée avec les changeantes nuées et les rayons du soleil. Et réalisons aussi que le jour où toute l’humanité sera pleinement assurée de pouvoir manger ce pain à satiété, cela marquera réellement l’avènement du genre humain à la dignité. C’est alors qu’il se dégagera, définitivement, de l’animalité. Jusque-là, toutes les agitations de la politique, tout le branle- bas des régimes quels qu’ils soient, ont pour secret ressort la conquête du pain.

C’est pourquoi, devant le pain et le vin de la table eucharistique, le premier sentiment quise doit d’étreindre notre cœur se doit être un sentiment de communion avec l’humanité souffrante. Le mémorial du supplice de Jésus nous rappelle que l’humanité a fait pire que de refuser du pain aux affamés. Elle a foulé aux pieds celui qui était le pain vivant. L’âme humaine a donné la mesure de son ignominie dans la crucifixion du saint et du juste. Pour autant, il n’y a pas de quoi enfler la voix, ni de maudire les bourreaux.Il n’y a dans ce crime rien d’extraordinaire tant c’est la banalité de toute cette histoire qui épouvante nos consciences.

Les acteurs de ce drame sont de ceux que nous rencontrons tous les jours. Ils ressemblent à l’image que nous renvoie notre miroir.

Caïphe? C’est celui qui n’approuve pas les changements à l’état de choses établi, ni dans l’ordre religieux, ni dans l’ordre social.

Judas? C’est celui qui aime l’argent;

Pierre? celui qui a peur du qu’en dira-t-on;

Pilate? celui qui se cramponne à une belle situation.

Le peuple versatile c’est la foule qui, comme le montre les sondages, change d’opinion selon le dernier media entendu ou vu…

En réalité, Jésus a succombé sous les gens communs et même sans aucun doute honnêtes dont nous sommes tous. Reste la question de savoir de quel côté nous nous serions rangé à ce moment-là. Nous pouvons en douter tant fermentent en nous les passions et les lâchetés qui poussèrent l’innocent au Calvaire. Quand nous nous taisons, par timidité, quand nous nous rendons complice des méchants par calcul, pour ménager nos seuls intérêts; quand nous nous positionnons simplement un avantage matériel, quand nous médisons encore et toujours, chaque fois, chaque fois, nous crucifions Jésus. A notre tour, nous le tuons; car tout mensonge, tout manquement en parole ou en acte, est un coup de lance dans le flanc de celui qui est la Vérité.Voilà pourquoi , à la table sainte, nous ne communions pas seulement avec l’humanité souffrante, mais aussi avec l’humanité pécheresse dont incontestablement nous faisons partis.

Pour autant, convenons qu’à côté de l’humanité souffrante et pécheresse, il y a aussi une humanité croyante, une humanité régénérée.Et c’est aussi avec celle-là que nous communions.En particulier, avec tous les chrétiens, de quelque nom qu’ils s’appellent. Avec tous ceux qui ont saisi en Jésus-Christ, à la fois la certitude personnelle de la grâce, du salut et la certitude collective d’une société juste. A la table sainte, nous communions avec les amis, les disciples et les rachetés du Sauveur avec tous les Paul de l’histoire, tous les Jean, Augustin,François d’Assise, avec tous les Luther, Calvin, Pascal, Martin Luther King, Mère Teresa,avec la grande nuée de témoins, avec ceux qui vivent dans l’invisible, mais aussi avec ceux qui respirent sur la terre, d’un pôle à l’autre pôle, qui luttent, aiment, prient, espèrent contre toute espérance, anonymes comme les feuilles de la forêt, mais travaillant comme elles à purifier, jour et nuit, l’atmosphère de notre globe.

Tous ceux là qui nous nous ont précédé, pour prêcher l’Évangile, pour proclamer au monde la vie bonne nous ont enseigné qu’il est plus question de qui nous sommes dans le Christ éternel que de ce que nous faisons. Enracinés et fondés en Christ,affermis dans la foi, désormais Christ n’a pas d’autre corps sur terre que le nôtre, ni d’autres mains que les nôtres, ni d’autres pieds que les nôtres. C’est par nos yeux que s’exprime son éternelle compassion de Christ pour le monde ;c’est par nos pieds qu’il s’en va faire le bien. C’est par nos mains qu’il va bénir aujourd’hui l’humanité.

« Puisqu’il y a un seul pain, nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps, car nous participons tous à un même pain ». Chacun de nous est appelé à être le visage de Christ, ses oreilles, sa bouche, son toucher. Cela demande d’abord de résister au cynisme de notre époque, qui est suspicieuse à l’égard de tout, et surtout de l’Église. Cela implique ensuite du courage. Le courage de nous laisser regarder par les autres, de les laisser nous sourire. Celui de les écouter en particulier lorsque nous sommes en désaccord, avec la certitude que si nous leur ouvrons nos esprits et nos coeurs, nous leur offrirons la Parole de Dieu. Et puis, enfin, ayons le courage de tendre la main pour toucher les autres avec l’éternelle compassion du Christ.Soyons toujours conscient de cela : « Le pain que nous rompons est communion au corps du Christ.»  Amen

Pasteur Jean-Paul Nuñez

 

Pour lire et télécharger la prédication en PDF :  A200614 1 Cor 10.14-17

 

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