Comment et quand ressusciterons nous ? (1 Cor 15.45-49)

1 Corinthiens 15.45-49 : c’est ainsi aussi qu’il est écrit: “Le premier homme Adam devint une âme vivante”, le dernier Adam, un esprit vivifiant.  Mais ce qui est spirituel n’est pas le premier, mais ce qui est animal; ensuite ce qui est spirituel. 4 Le premier homme est tiré de la terre,-poussière; le second homme est venu du ciel.  Tel qu’est celui qui est poussière, tels aussi sont ceux qui sont poussière; et tel qu’est le céleste, tels aussi sont les célestes.  Et comme nous avons porté l’image de celui qui est poussière, nous porterons aussi l’image du céleste.

Chers frères et soeurs en Christ,

L’Evangile de Paul que nous venons d’entendre  s’inscrit dans une longue méditation sur la résurrection. 

Paul s’adresse, là, à des chrétiens, tels que nous. Des chrétiens  qui voudraient bien posséder une bonne fois pour toute une réponse claire et précise sur le quand et sur le comment de  la résurrection.  C’est la raison d’ailleurs pour laquelle Paul nous explique  pourquoi la résurrection est d’abord et avant tout un article de foi incontournable. D’où ses propos :

« Si l’on prêche que le Christ est ressuscité des morts, comment certains parmi vous peuvent-ils dire qu’il n’y a pas de résurrection des morts ! S’il n’y a pas de résurrection des morts, le Christ non plus n’est pas ressuscité. Mais si le Christ n’est pas ressuscité, alors notre prédication est vide, vide aussi notre foi.. »

Autrement dit, notre témoignage de chrétien, tout ce que nous faisons là entre nous, n’a strictement aucun sens si son fondement premier, la résurrection, n’est pas solidement attestée, proclamée et prêchée. Et Paul va même plus loin en renchérissant que si nous n’attestons pas cela : « nous en arrivons à être, dit-il, des faux témoins ».

C’est la résurrection, comme événement fondateur de toute notre foi, qui justifie  la mission des disciples c’est à dire notre mission qui est de l’adresser, sans cesse, à tous les hommes et toutes les femmes sans exception.  

Mais dire cela et  le répéter ne résout en rien, la première et seule  question qui nous vient à l’esprit  : « que voulons-nous dire aujourd’hui,  quand nous utilisons le mot résurrection ? De quoi s’agit-il ? ». Avouons que nous en sommes même arrivé  à la crainte, à défaut de l’employer, d’avoir à entendre le mot lui-même.

Car sous le signe de cet événement que nous avons traduit en français, dans la langue chrétienne, par le mot résurrection, s’ouvre précisément une absence de représentation, une impossible figuration. Nous ne voyons pas de quoi il s’agit. Un vacillement de la langue qui tente de dire un événement qui échappe à notre compréhension. « À quoi ressemble l’explication de ce mot ? » se plait à répéter le philosophe Wittgenstein. Il ne suffit pas de dire que les mots grecs parlent bien d’éveil et de relèvement pour dire ce qui n’est ni simple ni forcément humain.…Effectivement, Christ est  bien celui qui est élevé et éveillé des morts. Nous nous plaisons de le confesser. Pour autant, il n’en reste pas moins qu’il  n’est pas forcément plus simple ni plus banal de croire au réveil de la mort une fois crucifié. Crucifixion dont nous voyons bien  en quoi cela consiste même si nous ne l’avons jamais vu, à savoir agoniser pendu par des clous rouillés sur deux grands pieux… La résurrection par contre reste un événement sans description donc sans mot et c’est bien ce qui nous dérange profondément.  Au même titre que cela a bousculés les premiers témoins comme nous le rappelle l’Evangile de Marc :

« ..Les femmes étant entrées dans le sépulcre,  virent un jeune homme (..), vêtu d’une robe blanche, et elles s’épouvantèrent.  Et lui leur dit: Ne vous épouvantez point; vous cherchez Jésus le Nazarénien, le crucifié: il est ressuscité, il n’est pas ici… Mais allez, dites à ses disciples et à Pierre: Il vous précède en Galilée; là vous le verrez…  Et sortant, elles s’enfuirent . (..) et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur… »

Pour écrire la résurrection, les premières communautés chrétiennes ont fait bouger le langage, ont transmis dans l’écriture même de leur témoignage le bouleversement qu’est le sens de l’événement qu’elles entendaient transmettre. Ce que nous finirons par désigner par le mot de résurrection est un irracontable. C’est le suspens même de la narration évangélique, le bord et le tranchant de l’Evangile lui-même.

Ce qui nous ramène au même point que ces premières communautés chrétiennes qui confronte Paul à la simple  question  qui nous habite tous: « Comment les morts ressuscitent-ils ? Dans quel corps reviennent-ils ? » 

Convenons en, Paul n’en sait strictement rien. La seule chose qu’il peut dire avec certitude, c’est que notre corps ressuscité sera tout différent de notre corps terrestre. 

Rappelons-nous qu’après sa résurrection, il est arrivé que Jésus aille se faire reconnaître par ses disciples, comme les compagnons d’Emmaus qui ne l’ont pas reconnu spontanément. Souvenons nous  Marie de Magdala, qui a commencé par le prendre pour le jardinier et qui veut aussitôt le saisir avec les mains… « Ne me touche pas ! » En établissant cet écart, le ressuscité  nous fait comprendre que la seule voie possible de le connaître, c’est la foi, que les mains ne peuvent pas atteindre le ressuscité. Ce n’est que du dedans, du dedans seulement, que l’on peut s’approcher de lui.  Ce n’est pas pour autant que les disciples ont compris. Thomas n’aura de repos qu’il n’ait mis ses doigts dans les plaies du Seigneur. Et Jésus se laissera faire car il sait  que ce n’est pas ça la voie qui conduit à la résurrection. Il se laisse faire, oui, mais il ajoute aussitôt : « Bienheureux ceux qui ont cru et qui n’ont jamais vu ».

Nous en sommes tous là. Au point de se demander qui nous regardons à travers le Jésus des Evangiles et des Ecritures car comme dit Origène le Père de l’Eglise : « Quand le Christ était dans la chair, tous ceux qui le voyaient ne pouvaient pas le voir ; ils voyaient son corps, mais  ils ne pouvaient  voir celui qui est le Christ… » Effectivement, Pilate, qui voyait Jésus, ne voyait pas  le Christ. Ni Judas le traître ne le voyait pas comme Christ. Ni même Pierre qui tout en le confessant se mis à le renier…  Au fond, personne ne l’a vu, parce que pour le voir, il faut entrer dans la condition de sa personne divine.

Et sur ce point, nous savons bien, qu’entre nous, dans l’expérience humaine la plus profonde, il n’est quasiment pas possible de connaître vraiment un être, de le connaître dans son unicité, de le connaître dans son secret… Il n’est quasiment pas possible de le connaître  sinon qu’en l’aimant, sinon qu’en s’identifiant à lui, sinon qu’en s’oubliant pour l’accueillir, sinon qu’en se retirant avec humilité devant son mystère…  

Ainsi il n’est quasiment pas possible de connaître le Christ  Jésus, dont toutes les fibres sont pénétrées de cette Présence divine, sinon qu’en  s’identifiant avec le mystère de son intimité par la foi seule et par l’amour .  Si nous comprenons un tant soit peu cela alors nous comprendrons pourquoi  Paul nous amène à faire une distinction entre un corps animal et un corps spirituel. 

Distinction qui  nous surprend certainement comme elle a du surprendre les auditeurs de Paul qui étaient habitués, comme nous le sommes encore aujourd’hui, à la distinction classique  entre le corps et l’âme.  Mais pour Paul, formé à la méditation de la Torah et des Ecritures,  cette opposition n’existe pas.   En revanche, ses méditations  l’ont entraîné à opposer deux sortes de comportements, celui de l’homme terrestre à travers l’image d’Adam et celui de l’homme spirituel inauguré par Jésus le Messie de Dieu. 

Et, c’est bien pour cela  que Paul fait référence au livre de la Genèse parce qu’il y a, là, dans ce livre, la vocation de l’humanité. Il y a longtemps que nous aurions dû nous entrainer à méditer  la création dans la Genèse, non pas comme le reportage d’événements d’un quelconque passé, non pas comme un simple  déroulement historique mais comme des récits de vocation. Des récits d’un appel extraordinaire qui ne nous parlent pas de la Création en soi mais bien du Créateur et de la relation que nous avons, ou pas, avec lui.  Créés par le Nom au dessus de tous les noms, nous dépendons de lui, nous sommes suspendus à son souffle vital, à ce souffle et cet inspir qu’il a insufflé en chacun de nous…. Et c’est bien pour ça que cet acte créateur nous est présenté comme un projet loin encore d’être achevé.. Rappelons nous, parce que nous l’oublions, que la dernière phrase du poème de la Création du livre de la Genèse parle littéralement d’un enfantement, d’un engendrement, d’une « naissance » : « Telle est la naissance du ciel et de la terre lors de leur création ». Et qui dit « enfantement » dit appel à devenir. Un appel qui nous concerne tous, puisque Adam ce nom collectif qui englobe toute l’humanité, tous les êtres humains,  a pour vocation d’être à l’image de Dieu, c’est-à- dire d’être habités par l’Esprit même de Dieu. Adam, le terreux modelé avec la glèbe du sol est appelé à devenir le temple  même  de l’Esprit de Dieu.

Pour autant, et cela aussi nous le savons, Adam, c’est le type de comportement  qui  ne répond pas à sa vocation ; il préfère se laisser inspirer par cet être maléfique, qui tel un rampant, lui distille, comme un venin la défiance vis-à-vis du Créateur.

Et, ce créateur, il le déteste au point de vouloir prendre sa place. Il n’a qu’une hâte celle d’effacer la parole disant qu’il a été fait à l’image de Dieu en la remplaçant par celle disant qu’il se fait à l’image de lui-même et de rien d’autre. D’où son goût pour le rien ; Et, qu’il n’y ait rien à part lui, lui permet d’être tout. C’est cela que Paul appelle un comportement terrestre, tel celui du reptile qui rampe à ras de terre. 

Par contre, Jésus-Christ, le nouvel Adam, bien au contraire, et quelle que soient les situations, ne se laisse souffler ses comportements que par l’Esprit de Dieu. En cela il accomplit la vocation qui devrait être celle de tout être humain.  Et c’est le sens de la phrase de Paul : « Frères, l’Écriture dit : l’Adam des premiers temps était un être humain qui a reçu le souffle vital  alors que l’Adam des temps derniers, à savoir Christ, est devenu l’être spirituel qui donne l’Esprit de vie. »

Autrement dit,  le comportement d’Adam mène à la mort par épuisement du souffle vital,  alors que le comportement du Christ, comme temple de la grâce de l’Esprit de Dieu, mène à la vie sans fin… 

Étapes d’opposition et de continuité, chacun de nous porte en lui  ces deux hérédités, celle d’Adam et celle de Jésus Christ, comme deux gènes. L’hérédité originelle de”l’être physique“, innée, du risque du manque d’humanité fraternelle, des possibilités du mal, de la fragilité de notre liberté… Et hérédité de l’être spirituel  par notre appartenance au Christ ressuscité, vainqueur de toutes les logiques mortifères. Et, de fait, nous sommes tous, sans cesse, tiraillés entre ces deux comportements.  Et notre histoire individuelle, comme notre histoire familiale et  collective, comme celle de toute l’humanité est ce long chemin qui avance sillonnant entre toutes les idolâtries qui nous réduisent  et tout ce qui peut remplir nos existence d’un souffle de vie, de l’éveil à  l’inouïe c’est à dire nous combler de lEsprit de Dieu.

Comprenons alors que notre vrai questionnement n’est pas de nous arrêter à savoir…  Mais bien d’arriver à comprendre, à chaque jour qui passe,  comment  par notre manière d’être, par la réflexion et la prière nous pouvons nous  dépouiller des agissements du vieil être d’argile  pour revêtir l’être nouveau qui nous remplit du souffle d’humanité afin d’avoir cet élan pour aller vers la vie sans fin, à l’image de celui qui vient des cieux à savoir  le Christ de Dieu.

A lui soit la gloire qui, soyons en sûr,  incontestablement par son amour sera aussi la notre.

Amen

Pasteur Jean-Paul NUNEZ

 

 

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