Prédication du 02/02/20

Hebreux 2.14-18 : Puisque ces enfants ont en commun la condition humaine, lui-même l’a aussi partagée, de façon similaire. Ainsi, par sa mort, il a pu rendre impuissant celui qui exerçait le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le diable, et libérer tous ceux que la peur de la mort retenait leur vie durant dans l’esclavage. En effet, assurément, ce n’est pas à des anges qu’il vient en aide, mais bien à la descendance d’Abraham. Par conséquent, il devait devenir semblable en tout à ses frères afin d’être un grand-prêtre rempli de compassion et fidèle dans le service de Dieu pour faire l’expiation des péchés du peuple. En effet, comme il a souffert lui-même lorsqu’il a été tenté, il peut secourir ceux qui sont tentés.

Chers frères et soeurs en Christ,

L’une des grandes insistances de Paul dans sa lettre aux Hébreux, dont nous venons d’entendre quelques versets, est de nous remémorer le sens et l’importance de ce que nous appelons l’incarnation comme fondement de la liberté chrétienne. Comme Paul l’explicite dans les premiers mots de sa lettre : « Dieu nous a parlé par le Fils… Rajoutant : (..)Puisque les hommes ont tous une nature de chair et de sang, Jésus a partagé cette condition humaine… ». En disant cela il rejoint Jean qui dans son prologue, nous le savons, souligne que : « La parole est devenue chair ». Aussi bien Paul que Jean nous rappellent que Jésus incarne la parole de Dieu. Et dire que Jésus incarne la parole, qu’il incarne le verbe, cela signifie qu’en lui Dieu s’adresse à nous, cela signifie que Dieu nous atteint. Cela signifie qu’en Jésus, Dieu nous touche et nous transforme… Et, pour ce faire, c’est en tout que Jésus est devenu semblable à nous. Et qui dit « semblable » dit partager les mêmes faiblesses à savoir les tentations, les épreuves et bien sûr, la mort elle-même. Il fallait que Christ s’approche de nous au point de se faire l’un des nôtres, pour que la distance entre Dieu et l’humain soit comblée. Par ses actes, ses paroles et ses attitudes, Jésus manifeste un Dieu soucieux et proche des êtres que nous sommes. Et par son consentement à aller jusqu’au bout de l’amour, c’est à dire à donner sa propre vie pour ceux qu’il aime tout en pardonnant à ses bourreaux, Jésus nous a dévoilé l’être profond de Dieu. Au point qu’en Jésus-Christ, Dieu n’apparaît puissant qu’à aimer et pardonner. La Bonne Nouvelle c’est cela. La Bonne Nouvelle c’est découvrir que Dieu est Amour, et que sa Puissance n’est pas autre chose que la puissance d’aimer en allant jusqu’au bout de l’amour qui est cette vie que l’on donne lorsqu’on a déjà tout donné… Voila pourquoi l’amour n’est pas un attribut de Dieu parmi ses autres attributs. Les attributs de Dieu sont les attributs de l’amour. A savoir que l’Amour est tout-puissant, sage, beau, infini.

Si nous comprenons cela, alors nous comprenons ce que Paul veut nous dire lorsqu’il précise, là dans sa lettre que « en désarmant celui qui exerce les pouvoirs mortifères, c’est-à-dire le diable, Christ a libéré et affranchi tous ceux qui dans leurs existences étaient maintenus en esclavage  ».
Ce qui, a contrario, revient à dire que nous sommes comme des esclaves, tant que nous ne connaissons pas et ignorons l’amour que Dieu a pour nous.
Notre problème c’est que ces termes ne nous parlent plus. Nous savons vaguement ce qu’est l’esclavage, mais il va de soi que c’est une condition abolie. L’esclavage est un terme qui ne parle plus à notre cœur et ne frappe plus notre imagination. Et, dans nos assemblées, ce n’est plus que par figure et image que nous employons, parfois, le terme « d’esclave du péché ». Il n’en était évidemment pas de même aux temps de Paul. L’esclavage était une situation sociale parfaitement évidente. Et, lorsque les écrivains bibliques employaient ce terme pour décrire la situation de chacun envers le péché et envers la corruption ce n’était pas une innocente comparaison, rhétorique et fleurie, mais la référence à la plus dure et à la plus cruelle condition de l’homme.
La disparition de l’esclavage formel a édulcoré le terme. Pour autant, ne nous leurrons pas, malgré le temps, la situation décrite est restée la même. A travers toutes les nombreuses servitudes, à travers toutes les nombreuses logiques mortifères qui sont les nôtres nous trouvons aujourd’hui l’équivalent de l’esclavage. Et, dire cela ce n’est pas seulement de la rhétorique… Il ne s’agit pas là de moderniser le vocabulaire et de changer un mot pour mieux se faire comprendre. Il s’agit de se référer explicitement à la condition concrète de l’homme d’aujourd’hui, exactement comme les prophètes et Paul se sont référés à la situation concrète de leur temps.

La condition concrète de l’homme aujourd’hui c’est cette modernité qui nous satisfait à bien des égards, c’est ce temps dans lequel nous sommes qui nous a permis, comme jamais auparavant, à l’accumulation de biens matériels. Et, insidieusement, ce remplacement de l’être par l’avoir nous laisse croire que notre accomplissement personnel passe par l’assouvissement infantile de nos désirs, par la fascination pour l’argent et par le culte de son propre ego. Tels de nouveaux Narcisse nous sommes tous victimes de ne pas nous reconnaître dans notre propre reflet tant nous sommes victimes de notre propre méconnaissance. Chacun de nous, quoiqu’il en dise, est devenu un individu atomisé totalement soumis à des impératifs comme ceux du marché et de la propagande. Les nouveaux Narcisse que nous sommes, embrassons une culture de masse pensée pour une consommation de masse pour des hommes et des femmes rendus toujours plus semblables dans leurs goûts et dans leurs aspirations. Nous avons accouché d’un monde malade de son propre vide où tout s’achète et tout se vend. Tous les moyens et médias de communication, sous quelques formes que ce soit, se livrent à une apologie constante de la légèreté et de l’insignifiance, le tout en ricanant. Tout un peuple d’experts, de chroniqueurs et de bonimenteurs se chargent de nous expliquer à quel point nous devons aimer ce temps dans lequel nous sommes en aimant sa vacuité dérisoire et son consumérisme. Aujourd’hui, il n’est nul besoin de connaître l’exil pour s’opposer au monde, c’est Baal et Babylone qui sont venus à nous avec en prime le tentateur et diviseur, celui que les Ecritures appellent le diable, qui se manifeste de façon séduisante en surfant sur la vague de nos existences avec comme devise « tout est possible » et « tout est permis »… C’est à se demander pourquoi le monde a autant péroré autour de la « mort de Dieu » pour aller se jeter à plat ventre, tels des esclaves, devant le règne de Mammon le dieu argent dans une caricature de civilisation où le cynisme et le chacun pour soi passent désormais pour de la sagesse et où plus rien n’a de valeur puisque tout a un prix…
C’est dans un contexte en bien des points identiques que Paul a pu dire que « en désarmant celui qui exerce les pouvoirs mortifères, c’est-à-dire le diable, Christ a libéré et affranchi tous ceux qui dans leurs existences étaient maintenus en esclavage  ».
Comprenons qu’à partir de cette proclamation de Paul, nous devons prendre conscience que la force du message de l’Évangile annonçant la victoire du Christ en gloire tient précisément à ce que cette victoire est annoncée de façon permanente dans le monde tel qu’il est. Et c’est bien dans ce monde où nous vivons que la Parole de Dieu est le fondement et la raison de notre liberté, comme elle a pu l’être pour Jésus notre maître exemplaire et sauveur. C’est dans ce monde-ci que la parole de Dieu agit et pour lequel notre liberté d’enfants de Dieu est requise.
Voilà pourquoi, du fait même de cette liberté acquise par Christ , chacun de nous est investi de cette responsabilité qui fait que nous devons agir car la Parole de Dieu ne peut se manifester qu’au travers de ce que nous sommes et de ce que nous faisons.
Et nous pouvons d’autant mieux le faire que nous pouvons suivre l’exemple de ce seul être libre qu’a été Jésus le Christ de Dieu. Libre, il a choisi d’accomplir la Loi. Libre, il a choisi de vivre la volonté du Père des cieux. Libre il a choisi de s’incarner. Libre, il a même choisi d’affronter la mort… Libre il nous a montré que la liberté ce n’est pas être soumis à un quelconque fatalisme ou attendre ce que Dieu pourrait accomplir… La liberté consiste à connaître la volonté de Dieu pour choisir ou non de la réaliser. Jésus nous a appris que parce que Dieu est libre, il ne supporte pas d’être obéi par des esclaves. Parce que Dieu est amour il ne supporte pas d’être aimé par crainte et par avilissement. L’amour présuppose toujours la liberté. Et alors comprenons que par Jésus le verbe incarné, c’est de la liberté même de Dieu que nous, disciples, nous sommes tous investis.

Voilà pourquoi, Paul ne cesse de nous dire que nous n’avons pas le droit d’abandonner et de mépriser cette liberté dont nous sommes investis. Pour la simple raison que cette liberté ne repose pas uniquement sur nous mais qu’elle a rapport au Christ éternel : « Vous avez été rachetés à un grand prix ; ne redevenez pas esclaves » Ces mots que Paul dit aux chrétiens de Corinthe s’adressent aussi à nous. Paul souhaite que nous comprenions bien en quoi la liberté de Jésus l’a conduit à mourir pour que chacun de nous soit libre. Le prix insondable de cela c’est le déchirement entre le Père et le Fils, c’est la souffrance du Père laissant son Fils abandonné sur la croix, c’est la souffrance du Fils connaissant la totalité des souffrances humaines. Alors nous ne pouvons pas accepter de perdre cette liberté obtenue à ce prix incommensurable en l’abandonnant à l’aliénation du monde et à son prince malfaisant.
Si nous entrevoyons, si peu que ce soit, la grandeur de ce prix, si nous éprouvons, si peu que ce soit, de quel amour il fallait que nous ayons été aimés pour que ce prix-là soit payé, si nous vivons, si peu que ce soit, la plénitude de grâce que représente ce don, alors nous ne pouvons plus prendre notre liberté à la légère, comme une possibilité offerte entre beaucoup d’autres. Par contre, si nous avons compris quel prix d’amour a été payé, et ce que signifie cette liberté, quels en sont le contenu et le sens, alors nous ne pouvons plus ni la refuser, ni biaiser pour essayer de ne pas vivre en êtres libres. Comprenons que comme chrétiens, c’est à dire comme disciple du Christ, nous pouvons tenter de vivre dans la foi, tenter d’être vertueux, tenter de servir, tenter de faire régner la Justice  si d’abord et avant tout, nous ne valorisons pas la liberté qu’en Christ nous avons reçu, si cette liberté ne s’exprime pas dans nos manières d’être, dans nos attitudes, dans nos postures et surtout dans nos relations, alors, quelle que soit notre bonne volonté et nos bonnes dispositions nous méprisons simplement le sacrifice de Jésus notre sauveur et maître. Ce qui revient à dire qu’en acceptant un tant soit peu l’esclavage confortable d’aujourd’hui, qu’en approuvant un tant soit peu l’aliénation que nous offre le tentateur du monde alors nous nous mettons à oublier et surtout à renier radicalement l’œuvre de Dieu.
Ce reniement n’est pas pensable. Car comme le dit Paul en s’adressant à la descendance d’Abraham que nous sommes, « en désarmant celui qui exerce les pouvoirs mortifères, c’est-à-dire le diable, Christ a libéré et affranchi tous ceux qui dans leurs existences étaient maintenus en esclavage  ».
Il revient à chacun de nous de le faire savoir afin effectivement d’en vivre libre.
Amen

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